LES MAIRES DE BÔNE
BÔNE son Histoire, ses Histoires - Louis ARNAUD

Jérôme BERTAGNA
Au mois d'août 1903, en une fin de chaude après-midi de dimanche, la nouvelle de la mort de Jérôme Bertagna se répandit dans les cafés et courut par la Ville comme une traînée de poudre.
Le Maire de Bône qui était aussi Président du Conseil général de Constantine depuis de nombreuses années, était décédé dans sa villa de Mont-Riant, à Saint-Cloud-les-Plages, tout près de l'embouchure de l'Oued-Kouba.
Il était né à Alger, le 12 mai 1843. Il avait donc soixante ans au jour de son décès. Sa famille s'était fixée à Bône, en 1852, alors qu'il n'avait que neuf ans.
Après avoir appartenu pendant quelque temps à l'Administration des Ponts-et-Chaussées, Jérôme Bertagna, avait pris la succession de son père, à la mort de celui-ci, et était entré dans le commerce des farines, et, de là, dans la politique.
C'est peu de temps après la proclamation de la République qu'il fut appelé à faire Partie du Conseil municipal, dont il devait être, en 1881, le premier adjoint.

En février 1888, il succéda comme maire à Prosper Dubourg, qui venait de mourir, après avoir occupé ce poste pendant dix années. Jérôme Bertagna, devait, à son tour, demeurer pendant quinze ans à la tête de la Municipalité de Bône.
Le nom de Jérôme Bertagna restera lié à la transformation du Port de Bône, on pourrait presque dire, à la création du port de Bône, car cet organe essentiel de la prospérité économique du Pays se trouvait jusqu'alors confiné dans les limites de la petite darse, au bas du Cours.
Encore, cette petite darse n'offrait-elle, on l'a vu, que des portions réduites de quais aux navires qui commerçaient avec notre port, alors qu'aujourd'hui, les quais s'étendent sur plus de trois kilomètres de longueur.

L'agrandissement de notre port est son œuvre exclusive bien qu'il ne fut encore que premier adjoint au Maire, lorsqu'elle fut entreprise.
Sa conception avait paru très audacieuse alors, et la Haute Administration ne partageait pas du tout son avis.
Mais Jérôme Bertagna défendit son projet avec acharnement devant toutes les Assemblées algériennes, et il dut demeurer de longs mois à Paris Pour obtenir enfin l'adhésion des Pouvoirs publics.
Il semble bien que cette adhésion ne fut obtenue finalement que parce que l'évaluation des dépenses à engager avait été considérablement sous-estimée. On n'a jamais su si cette sous-estimation avait été le résultat d'erreurs dans les calculs, ou si elle avait été sciemment organisée.
Les prévisions des dépenses totales avaient été, en effet, de l'ordre de neuf millions environ. L'adjudication qui eut lieu le dix-neuf décembre 1885, au profit de Messieurs Danton et Vaccaro, aboutit à un rabais de sept pour cent, ramenant ainsi le total de dépenses exactement à la somme de huit millions cinq cent trente-quatre mille vingt-trois francs.

En réalité, plus de vingt millions devaient être nécessaires pour couvrir le montant des travaux réalisés en 1894, sans avoir pu permettre de mener l'affaire à bonne fin.
Cette différence provoqua un tollé général contre le Maire de Bône, et le Député Ferette, représentant du Département de la Meuse, alla jusqu'à interpeller le Gouvernement sur les dépassements de crédit du Port de Bône.
Les travaux de l'entreprise Danton et Vaccaro n'avaient été poursuivis jusqu'en 1894 qu'avec les plus grandes difficultés, en raison de l'insuffisance des crédits.
Les chantiers fermèrent le 7 juillet. Et l'entreprise fut définitivement résiliée par décision ministérielle du 18 novembre 1895.

Il est difficile de croire que l'énorme écart entre les prévisions établies, et la réalisation du projet, n'ait été que le résultat d'une simple erreur d'appréciation.
En 1894, en effet, lorsque les travaux furent arrêtés, faute de crédit, les dépenses engagées et soldées à cette époque, dépassaient l'ordre de vingt millions au lieu des huit millions prévus. Encore, ces travaux, en 1894, étaient-ils loin d'être achevés.
Il fallut, en effet, quatre ans plus tard, le quinze juillet 1899, procéder à une nouvelle adjudication pour parvenir à l'achèvement complet des travaux envisagés.
Cette dernière adjudication fut résolue au profit de Messieurs Jammy et Galtier, moyennant un rabais de 28 %, ce qui établissait le montant des nouvelles dépenses à six millions environ, et le total général à plus de vingt-six millions, soit dix-huit millions de plus que la dépense prévue au devis estimatif de 1885.

D'aucuns l'ont vivement reproché au Maire de Bône prétendant que son projet d'agrandissement du port, était « une œuvre ruineuse pour le Pays, trop vaste et mal conçue » (ce sont les propres termes des journaux de l'opposition) et que les ingénieurs avaient été ses complices pour tromper leur Administration, en établissant des devis prévoyant des dépenses financières relativement modestes.

Quoiqu'il en soit, on est à même aujourd'hui, après plus d'un demi-siècle, de juger œuvre de Jérôme Bertagna, et de comprendre quels efforts il a dû accomplir pour la mener à bonne fin.
C'est donc, à lui seul, que revient le mérite d'avoir obligé la Haute Administration à admettre l'importance future de notre port à la fois comme débouché maritime des produits miniers de l'Est Constantinois, et comme base stratégique navale, ainsi que la guerre de 1939 à 1945 devait le démontrer.
Peu d'hommes politiques ont été attaqués aussi âprement que lui. Et bien peu, surtout, auront laissé autant que lui, des marques aussi tangibles d'intelligence, de prescience, et surtout de fermeté et de foi, dans les destinées de cette cité qu'il aimait passionnément et dont il était si fier d'être le premier Magistrat municipal.
Jérôme Bertagna pensait, avant tout, à l'avenir de la Ville qu'il administrait. Il usait, en toute occasion, de son influence et de son autorité, qui étaient grandes, pour drainer vers Bône, la plus grande partie possible des disponibilités financières de l'Algérie.
Cela avait suffi pour exciter les convoitises, provoquer des déceptions et faire naître la jalousie des autres régions d'Algérie, qui ne trouvaient plus, après lui, assez de ressources au Gouvernement général pour la réalisation de leurs propres projets.
C'est de là, certainement que sont partis les remous qui ont voulu saper son autorité en le représentant, dans l'opinion française, sous un jour nettement défavorable.
Ses concitoyens qui savaient ce que leur Ville devait au dévouement et à l'intelligence de leur Grand Homme, ne s'arrêtaient pas aux attaques dirigées contre lui. Ils ne voulaient se souvenir que de son inlassable labeur en vue de la prospérité bônoise.

C'est dans cet esprit que fut érigé, en 1907, quatre années après sa mort, la monumentale statue qui domine notre Cours, lequel, à partir de cet événement a changé de nom, pour la troisième fois, pour devenir le « Cours J. Bertagna » après avoir été successivement « Les Allées », et le « Cours National ».
Pour placer le Monument, on avait dû supprimer la jolie vasque couverte de nénuphars et entourée de palmiers et autres plantes exotiques qui se trouvaient devant le théâtre.

Les extrémités des deux parties du Cours qui avoisinaient de chaque côté la petite Place octogonale sur laquelle était la jolie vasque, furent avancées de quelques mètres, coupant ainsi le prolongement à travers le Cours des deux rues latérales de la Place du Théâtre.
Sur la partie Nord, entre le Square de l'Hôtel de Ville et la Statue, on transplanta, avec un rare bonheur, car aucun n'en souffrit, tous les palmiers et les chamerops du petit jardin détruit.
Ils vinrent se mêler aux quelques autres palmiers qui s'y trouvaient déjà, pour faire à l'ancien Maire, un épais fond de palmes ondulantes et vivantes, comme si l'on avait voulu glorifier davantage le souvenir de Jérôme Bertagna.


La statue le jour de l'inauguration
Elle vient d'être dévoilée.

Le Monument repose entièrement sur la partie gagnée sur la chaussée.
Il est placé sur le chemin que suivait, chaque jour l'ancien Maire, pour aller des bureaux de sa maison de commerce, située au 29 de la rue Mesmer, à l'Hôtel de Ville.

Jérôme Bertagna passait, en effet, régulièrement entre le théâtre et le café Saint Martin, rendez-vous officiel de tous ses partisans et amis.
Le sculpteur Sicard a fait un monument grandiose, où les traits et la stature de Jérôme Bertagna sont fidèlement reproduits dans le bronze.
Comme le port qu'il avait conçu, voulu et créé, le Monument fut trouvé beaucoup trop grand aussi.


La pluie tombe
Il fut solennellement inauguré, en avril 1907, par une hargneuse journée pluvieuse, sous un ciel infiniment bas, gris et triste.
C'est le Gouverneur général Célestin Jonnart qui vint lui-même, présider à la cérémonie, au milieu d'une foule innombrable.

Comme tous les hommes d'action, Jérôme Bertagna avait eu naturellement de nombreux adversaires et des contempteurs sournois et bien souvent anonymes, qui ne désarmèrent point après sa mort.
Tandis que la voix du Gouverneur général, sous la pluie qui tombait, et par dessus la multitude de parapluies ouverts, célébrait avec éloquence, les mérites de l'ancien Maire de Bône ; et que l'on entendait revenir dans ses louanges, deux noms à la sonorité pareille et au rythme semblable : « Bertagna-Gambetta » - Le père de Jérôme Bertagna, comme celui de Léon Gambetta, était Sarde, originaire de Nice, sans qu'il y eut, par ailleurs, entre les deux fils, aucune autre affinité d'esprit, ni aucune ressemblance quelconque.
On percevait dans la foule, d'autres voix qui criaient : « Demandez l'envers de la statue ». « Lisez l'envers de la statue ». « Un franc seulement ».
C'était un pamphlet de Maxime Rasteil que l'on vendait, et qui rappelait, en les résumant, toutes les accusations qui avaient été portées, durant sa vie, contre l'homme politique dont on célébrait les mérites avec tant d'éclat.
Ce Maire avait été suspendu, en 1895, puis révoqué, par le Ministre de l'Intérieur Barthou. Il avait fait l'objet de vingt-huit instructions indiciaires, qui toutes avaient été clôturées par des ordonnances de non-lieu.

Le Procureur général Broussard, de la Cour d'Alger, après une enquête personnelle, avait proposé son renvoi devant une Cour d'Assises de la Métropole pour cause de suspicion légitime, l'influence de Jérôme Bertagna et de ses amis interdisant absolument, selon lui, que l'on confiât le soin de juger cet accusé de marque à une Cour d'Assises d'Algérie.
Cette petite brochure, à la couverture grise, couleur du temps de ce jour d'inauguration, rappelait tout cela, mais la foule qui l'achetait était fière quand même de son Grand Homme.
Jérôme Bertagna faisait partie désormais de la rel-gion de Bône. Son culte, à lui, avait été le port qui à ses yeux constituait tout l'intérêt qu'on devait attacher à la Ville.
Cette vocation de la Cité, il l'avait fixée lui-même, dans le cartouche en fer forgé qui orne chacun des deux battants de la grande porte de l'Hôtel de Ville, où l'on voit la lettre « B », initiale de la Ville, traversée de haut en bas, par une ancre, symbole du port, et symbole de l'espérance aussi.


M. JONNART Gouverneur Général prononce son discours

-Ferdinand MARCHIS

Ce fut Ferdinand Marchis qui succéda, comme Maire, à Jérôme Bertagna.
Ferdinand Marchis était né à Bône, en 1851, et il était le premier des enfants de la Ville qui accédait à cet honneur.
Moins hardi dans ses conceptions édilitaires que son prédécesseur, dont il avait été pendant de longues années, le premier Adjoint, son passage à la tête des affaires communales, n'en fut pas moins des plus utiles à la cité.
Il s'intéressa surtout, aux questions de propreté, d'hygiène et de salubrité.
La question scolaire, dont la charge matérielle, c'est-à-dire, la construction des écoles, incombait entièrement au budget municipal, à ce moment là, fut également l'objet de ses constantes préoccupations.

Les rues de la Ville n'étaient pas pavées.
C'était sale et même dangereux, car la poussière provoquait des ophtalmies qui devenaient un véritable fléau pour la population.
Les moustiques, d'autre part, qui faisaient à la Ville une si triste réputation, régnaient en maîtres, et nul n'avait jamais songé à les combattre ou seulement les inquiéter.
Ferdinand Marchis entreprit de paver toute la Ville, pour lutter contre la poussière et la boue.
En trois années, toutes les chaussées furent garnies de ce joli granit d'Herbillon, dont les rares qualités de résistance sont universellement appréciées.
Le Cours National, au sol caillouteux et inégal, parsemé, l'hiver, de flaques d'eau, fut entièrement carrelé.
Les anciens grévilléas, dont la plantation remontait aux temps, déjà anciens, de l'Administration militaire, furent arrachés et remplacés par les ficus qui donnent à notre grande artère de belle ordonnance et la subtile élégance, qui contribuent dans une très large mesure, à son charme et à sa beauté.
La disparition de la boue et de la poussière de nos rues doit être considérée comme un événement des plus heureux pour la Ville. Avec la poussière, disparurent, en effet, presque complètement les ophtalmies.

Ferdinand Marchis entreprit ensuite, avec le même succès, la lutte contre les moustiques, générateurs du paludisme.
Lutte inlassable, inexorable et difficile, car les moindres flaques d'eau dans les caves ou dans les cours, permettaient le dépôt et le développement des larves de ces anophèles, agaçants et dangereux.
On avait, pendant longtemps, cru que la présence de ces insectes, aussi légers qu'indésirables, était due à la proximité du Lac Fetzara.
On attendait donc, avec résignation, son assèchement promis et commencé tant de fois depuis si longtemps.
C'était une grave erreur, car les moustiques, paraît-il, ne s'éloignent jamais à plus de quinze cents mètres de rayon du lieu de leur éclosion.
Alors, puisqu'il était ainsi démontré que l'origine du mal était à Bône même, et non ailleurs, ce fut le combat sans merci, aux eaux stagnantes et polluées.
Un vrai combat de rues, de maison à maison, entre le Service d'hygiène municipal et les moustiques.
Les caves étaient sans cesse visitées et toute humidité suspecte arrosée d'huile lourde. Ce fut bien plus pour lutter contre les moustiques, que pour créer le boulevard Papier que l'Oued-Zaffrania, fut canalisé et recouvert d'une voûte maçonnée hermétique.
Enfin, les moustiques furent vaincus et le paludisme se fit plus rare : si rare qu'on n'en parle presque plus à Bône.

Restait un troisième fléau, les inondations de la colonne.
Ce faubourg, à la formation duquel aucune règle d'urbanisme n'avait présidé, avait été établi sur un sol à peine plus élevé que le niveau de la mer.
Il avait été très difficile, dès lors, d'établir un réseau d'égouts avec une pente suffisante pour amener les eaux ménagères et pluviales à la pompe élévatoire située en avant de l'embouchure de la Boudiimah.
Lorsque le Faubourg ne comptait que quelques villas entourées de jardins, et que les rues n'était pas pavées encore, les eaux de pluie étaient, en très grande partie, absorbées par le sol, presque au fur et à mesure qu'elles tombaient.
Mais lorsque l'agglomération grandit, des maisons furent construites dans les espaces occupés par les jardins, ce qui, avec le pavage intégral des rues, restreignit, à l'extrême limite, les parties de sol meuble autrefois si étendues.
La capacité d'absorption de la terre étant ainsi réduite à fort peu de chose, les eaux de pluie n'eurent donc plus, pour s'écouler, que la voie que leur offraient les égouts.
Mais ces égouts n'avaient presque pas de pente ; au surplus, par les gros temps d'hiver, ils étaient obstrués par les tempêtes d'Est qui refoulaient parfois, ou ralentissaient souvent, le débit de leur déversement dans la mer.
Les égouts qui ne pouvaient se vider, refusaient donc de recevoir d'autre eaux, et de là, commençait l'inondation du Faubourg.

- En février 1906, ce fut une véritable catastrophe.

Rue SADI CARNOT (faubourgs)

Toute la partie de la ville qui s'étendait à l'ouest de la rue Bugeaud et de la rue Sadi Carnot, jusqu'au Ruisseau d'Or fut entièrement recouverte par les eaux.

La rue Gambetta si populeuse à l'origine, et les rues Sadi Carnot et de la Fontaine (Avenue Garibaldi) étaient devenues impraticables pour les piétons, qui sont habituellement fort nombreux, dans le faubourg.

Le niveau de l'eau, s'établit à un mètre dix au-dessus de la chaussée. La marque officielle en a été tracée sur le mur de l'ancienne usine des allumettes Caussemille, aujourd'hui, siège dit Collège technique.


Rue GAMBETTA (ville)


Rue de la FONTAINE (Avenue Garibaldi - faubourg)

L'eau, naturellement, envahissait les rez-de-chaussées où magasins et logements devenaient inutilisables et inhabitables. Certaines rues du centre du Faubourg étaient transformées en véritables canaux où l'on ne pouvait circuler qu'en barques.
Chaque hiver cela recommençait avec plus ou moins d'intensité.
C'était la rançon du Progrès. Le Faubourg se peuplait de plus en plus de maisons nouvelles, et le sol, par contre, qui absorbait autrefois les eaux de pluie, se rétrécissait de plus en plus aussi.

Ferdinand Marchis Parvint à remédier, autant qu'il était possible de le faire, à ce lamentable état de choses, en empêchant les eaux de pluie de dévaler des pentes de l'Edough et des Béni-Ramassés et d'envahir aussi les égouts.
Un canal de ceinture creusé au pied des Pentes montagneuses, aux frais du Gouvernement général, rassembla les nombreux petits torrents, pour les conduire jusqu'au Ruisseau d'Or.

Les risques d'inondations devinrent, dès lors, bien moins fréquents.
Cet événement calamiteux, en tout cas, n'eut plus jamais à atteindre le même degré d'acuité.


Cité AUZAS (faubourgs)

Le passage à la Mairie, de Ferdinand Marchis fut également marqué par la création d'écoles Primaires nombreuses, dont le groupe le plus important est certainement celui construit sur l'emplacement de l'ancien marché au blé.

Le vieux Collège de l'Impasse Lacaille redevint l'école primaire qu'il avait été avant sa création, en 1859, alors que son entrée était rue Saint Nicolas.
L'école du Faubourg d'Hippone, celle de Saint-Ferdinand qui eut pour premiers Directeurs, Monsieur et Madame Parrot, dont le fils, Louis Parrot, ancien élève de nos écoles de Bône, devait, savant émérite, devenir le Directeur de l'Institut Pasteur d'Alger, furent également parmi tant d'autres, dus à son initiative.

Il dota, enfin, la ville d'une nouvelle conduite d'eau entièrement en fonte, de Bône aux sources de Bouglès et de Bourredine, à cinquante-six kilomètres de Bône, tout près du village de Blandan.
Cette entreprise, si elle fut heureuse pour les intérêts de la ville et des habitants, devait lui être fatale en provoquant contre lui une coalition d'affairistes, qui parvint à le renverser.
Ferdinand Marchis, avait succédé aussi à Jérôme Bertagna, comme Président du Conseil général de Constantine.
Il détint ces fonctions de 1903 à 1911 et ne s'en défit que par sa démission volontaire.
Entre temps, il avait été vice-président du Conseil Supérieur de l'Algérie.
Ses concitoyens le réélirent aux Délégations Financières jusqu'à sa mort, survenue le 8 septembre 1930, alors qu'il était âgé de soixante-dix-neuf ans.

Ferdinand Marchis qui à toujours fait preuve d'une intégrité absolue, a certainement été le meilleur et le plus compétent des administrateurs de la Cité.
Un Monument a été élevé à l'entrée du Faubourg qu'il a représenté pendant plus de trente années au Conseil général pour perpétuer son souvenir.
Ce Monument connaît, présentement, un destin qu'il ne méritait certainement pas, non pas seulement à cause de l'honnête homme dont on a voulu honorer la mémoire, mais aussi à cause des magnifiques allégories de l'Effort et de l'Abondance qui s'accotent contre la stèle centrale.
Ces deux superbes statues de marbre, médaillées au Salon, sont dues au ciseau du sculpteur Popineau, Bônois d'adoption.
Ce Monument est dans un état d'abandon presque complet. Le petit Jardin et sa grille qui l'entouraient, et le protégeaient, ont disparu.

Les enfants se mettent à califourchon sur les jolis corps sculptés. Le nez de la statue de l'Effort a été brisé d'un coup de bâton ou de pierre.
C'est triste, lamentable, presque criminel.

Jean BULLIOD

Un autre Maire a eu, aussi. les honneurs du Bronze, C'est le Docteur Jean Bulliod, dont le buste se dresse sous les palmiers de la petite place triangulaire qui se trouve derrière le Monument aux Morts.
Le passage de cet homme, affable et souriant, dans la vie publique ne fut réellement marqué par aucune initiative spéciale, ni aucun événement particulièrement notable.
Sa gentillesse, sa simplicité et la sympathie qu'il inspirait spontanément, l'avaient rendu extrêmement populaire.
Après avoir été, durant le cours de la Grande Guerre mondiale de 1914-1918, le premier Adjoint de la Municipalité Narbonne, il fut porté au premier rang de notre édilité, en 1919.
Sa mort prématurée, survenue deux ans après, ne lui permit pas, sans doute, de donner la mesure de sa juste valeur.
Son petit monument que les grands palmiers éventent et ombragent, est un pieux hommage d'amis nombreux et fervents à sa mémoire.

Leurs prédécesseurs
Depuis la création de la Commune, 31 Janvier 1848, jusqu'à Jérôme Bertagna, en 1888, il y eut seulement cinq Maires de Bône.
Monsieur Lacombe, qui fut le premier de ces cinq Maires, occupa la première magistrature communale pendant dix-neuf années, en trois fois, et Prosper Dubourg pendant dix années.
Entre le Maire Lacombe qui avait été désigné par l'Empereur en 1854, et dont le mandat prit fin, naturellement, avec la chute de ce souverain, et le maire Prosper Dubourg, Célestin Bourgoin avait occupé durant huit années la première magistrature municipale de la Ville.
Il avait, au cours de cette période délicate, sinon difficile, fait preuve d'indéniables qualités. La nouvelle ville était en premier stade de sa création et la République naissante, installait ses bases.
La ville subissait une métamorphose complète dans sa forme et dans son âme.
La Boudiimah était déplacée, les halles aux légumes et aux poissons édifiées, le marché au blé, et l'Usine à Gaz allaient meubler les quartiers bas de cette nouvelle ville aux rues si géométriquement tracées.

Le Maire Célestin Bourgoin avait dû fournir un labeur incontestable dont il était, au moins, juste et logique qu'on lui sût gré. Et cependant, l'Avenue qui porte son nom ne rappela son souvenir que bien longtemps après sa mort.
Il ne fut tiré de l'oubli que vers le début de ce siècle, lorsque la tranquille et silencieuse « Conduite d'eau » d'autrefois, qui traversait ses terres, fut ouverte à la circulation, à l'instar des autres rues de la Cité.
Tout incitait à donner le nom de Célestin Bourgoin à cette importante artère, la plus longue du Faubourg.
Célestin Bourgoin avait, en effet, habité toute sa vie durant, dans sa propriété du Pont-Blanc, qu'on appelle encore le Moulin Bourgoin ?
Il avait contribué, avec Salvator Coll, à la fondation de l'Hospice des Vieillards situé à l'extrémité de la Conduite d'eau, en donnant gratuitement les terrains nécessaires à son installation.
Plus tard, après sa mort, ses héritiers permirent la construction de la nouvelle Eglise, en faisant l'abandon gracieux de la superficie de terrain qui a servi à créer la place sur laquelle cet édifice religieux est placé.
L'hommage était bien tardif, mais il fut tout de même plus important que pour Lacombe qui l'avait précédé, et qui était demeuré bien plus longtemps que lui, à la tête de l'Administration municipale.
A titre d'hommage posthume, Monsieur Lacombe eut sa rue, une bien petite rue, dans la vieille ville.
Cette artère n'a guère plus de trente mètres de longueur et n'atteint certainement pas quatre mètres en largeur. Elle n'a aucun trottoir, et pas la moindre élégance.
Elle va de la place des Numides à la rue Huder, parallèlement à la rue d'Orléans.
Quant à Prosper Dubourg, qui fut un des meilleurs, Maires de la Ville, il eut aussi sa rue après sa mort
Le lit de la Boudjimah avait été dévié en 1878, et la nouvelle artère établie à la place de l'ancien lit désaffecté n'avait pas encore reçu une dénomination définitive.
Elle était alors la rue de Guelma qui s'appelait ensuite, au delà des portes d'Hippone, la route de Guelma, et Prosper Dubourg, dont la demeure était située au Pont d'Hippone, la parcourait tous les jours pour rentrer chez lui, ou venir à la Mairie.
On n'eut donc pas besoin de débaptiser une artère pour honorer sa mémoire.

Lacombe, Bourgoin, et Prosper Dubourg furent d'excellents administrateurs qui ont vraiment marqué leur passage à la tête des affaires communales.
L'Eglise, le Théâtre, le Cours, les Marchés aux légumes et aux poissons, le si joli Fondouk de la rue Bugeaud, l'Hôtel de Ville, enfin, sont des monuments et des créations qui témoignent du souci que ces magistrats municipaux avaient de la Beauté de la Ville qu'ils administraient.

Il est vrai que tous les trois étaient inspirés et guidés par le même architecte communal, M. Gonssolin Père, qui fut pendant près de quarante ans, le véritable organisateur de l'élégance et de l'ordre dans la Cité.
Ces grands serviteurs, dont le dévouement et la compétence se sont continuellement manifestés ; même dans les moindres occasions, n'ont pas eu les honneurs du Bronze, et, l'un d'eux M. Mazauric, n'a même pas bénéficié d'une petite plaque bleue au coin d'une rue, si petite fut-elle, qui eut rappelé son passage, à la tête de l'Administration municipale.
Il est vrai, qu'il n'y demeura que trois ans de 1854, à 1857.
Ce qui est bien peu à côté de Lacombe qui l'avait précédé et qui lui succéda.
Ils étaient morts, ces anciens Maires, avant ce siècle, alors que la Modestie n'avait pas encore été chassée par l'Ambition et l'Orgueil, et que, seule, la satisfaction du Devoir accompli récompensait les actions humaines.
Ce n'est qu'après 1900, à partir de cette ère nouvelle, qu'on a nommée « La Belle Epoque », que la statuomanie fut érigée - c'est bien le mot - en système de propagande démagogique, sous le fallacieux prétexte d'hommage rendu par les citoyens reconnaissants aux grands serviteurs de la Cité.