Le Département de Constantine en 1908
Par M. Paul JOANNE
Envoyé par Roger Sabaton                        N°1

      Avant qu'elle ne fût nommée comme Préfecture du Département de Bône, bône notre commune fut Sous-Préfecture du Département de Constantine.
      Donc avant que dans des prochains numéros, nous fassions connaissance avec les guides de Bône, nous allons nous "instructionner" sur l'ancien Département de Constantine au travers du Guide de M. JOANNE.
      J.P.B.
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LE DÉPARTEMENT
DE CONSTANTINE

I - Nom, Formation, Situation, Limites. Superficie

      Ce département doit son nom à la ville de Constantine, son chef-lieu. Il est formé des tribus qui constituaient avant l'occupation française le beylik du même nom.
      Il est situé dans la partie orientale de l'Algérie, entre le département d'Alger et la Régence de Tunis. Il borde la mer Méditerranée, sur une longueur de 460 kilomètres environ, de l'Oued-Kérouli, par 2°l7' de longitude orientale, au cap Roux par 6°17' (même longitude).
      Il est borné : au nord, par la Méditerranée, à l'ouest, par le département d'Alger, à l'est par la Tunisie, au sud par le Désert.
      On évalue sa superficie à 19.174,765 hectares, dont 6.208,614 en territoire civil comprenant tout le Tell et la majeure partie des Hauts-Plateaux, et 12.966,149 en territoire de commandement. Quant à son territoire du Sud, dit territoire de Touggourt, il comprend les deux parties communes indigènes de Biskra et de Touggourt.

II. - Physionomie générale.

      Les grandes divisions du département de Constantine sont, comme dans les deux autres départements, mais avec des différences essentielles dans leur constitution physique, le Tell, les Hauts-Plateaux, le Sahara.
      On se rendra compte des formes différentes que présente la charpente du sol, si l'on suppose, avec Mac-Carthy, que le pays est traversé dans toute sa profondeur par deux lignes perpendiculaires à la mer, l'une, partant de Bougie et allant se perdre au sud de Ouargla, la seconde, se dirigeant de Philippeville sur l'Oued-Souf.
      " En suivant la première de ces deux lignes, on traversera :
une région de montagnes élevées et de vallées profondes, qui n'est autre chose que le Tell, avec une largeur de 125 kilomètres ;
un bassin de forme ovoïde, d'une physionomie toute particulière, appelé Hodna;
un lambeau du massif saharien, tout près de l'endroit où il va former l'énorme pâté montagneux du Djebel-Aurès;
enfin le Sahara, couvert de dunes, de collines et de plateaux écrasés auxquels succède le vaste bas-fond qui reçoit les eaux de l'Oued-Mia, de l'Oued-Mzab et de l'Oued-Nsa, et que ferme cette épaisse ligne de dunes de sable appelée El-Areg ou El-Erg (les Veines).
      " La seconde ligne coupe:
en premier lieu, un pays en but semblable à celui que traverse la première à son point de départ, c'est-à-dire une continuation du Tell, mais moins large, puisqu'il n'a que 90 kilomètres au plus;
de vastes Plaines, où l'on reconnaît les Hauts-Plateaux avec leurs plantes, leurs sebkhas et leurs chotts;
le massif de l'Aurès, dans sa plus grande épaisseur, qui est de 90 kilomètres;
la plaine inclinée des Zibans, lisière du Sahara; puis le Sahara même, couvert d'abord de chotts et de vastes sebkhas, puis de sables amoncelés. "
      Ainsi, d'après Mac-Carthy, la partie tellienne du département de Constantine n'est que le prolongement du Tell des deux autres provinces; elle s'arrête d'une part à la limite septentrionale du bassin du Hodna, et d'autre part, dans l'est du département à une série de grandes plaines, qui la séparent du massif de l'Aurès, et qui représentent ici la région des Hauts-Plateaux de l'ouest et du centre, mais avec cette différence essentielle que sur les Hauts-Plateaux du département de Constantine les céréales se mêlent à l'alfa.
      Toute la région maritime fait partie du Tell : en font également partie les territoires situés autour de Bordj-bou-Arréridj et de Sétif, ceux de Constantine, de Guelma et de Souk-Ahras. -- Appartiennent aux Hauts-Plateaux la partie méridionale des territoires de Bordj Bou Arreridj et de Sétif, ceux de Saint-Arnaud, Aïn-Mlila, Aïn-Beïda; puis, plus bas, sur une seconde ligne allant de l'ouest à l'est : M'sila, le Hodna, Barika, Ngaous, Batna, Lambèse, Khenchéla, Tébessa.
      Le Sahara fait suite aux Zibans et s'étend jusqu'à la mer de sable. Sa constitution physique diffère de celle du Sahara algérois et du Sahara oranais en ce qu'il s'affaisse en son milieu et forme une sorte de cuvette dont le chott Melrir occupe le fond, Il comprend trois régions distinctes : les Zibans, le bassin de l'Oued-Souf et le bassin de l'Oued-Rir. Les Zibans (singulier : Zab) s'étendent du pied de l'Aurès, à l'Ouest et à l'Est, sur une plaine qui a 150 km de longueur, et dont la largeur varie entre 18 et 45 km. Ils se divisent en quatre fractions : le Zab de Biskra, le Zab-el-Chergui ou de l'Est, le Zab-el-Guebli ou du Sud, et le Zab-edh-Dharoui ou du Nord, et comprennent 32 oasis, placées pour la plupart en dehors des routes suivies. La population est d'origine arabe avec beaucoup de croisements ; le berbère (dialecte chaouïa) n'est parlée que dans la région des Hauts-Plateaux et dans les massifs montagneux qui les séparent du Hodna et des Zibans. L'oasis de Biskra forme, avec la ville française du même nom, qui lui est contiguë, une commune de plein exercice : on y a compté, au dernier recensement, 9.935 Hab. Biskra est la capitale des Zibans qui comptent plus de 500.000 palmiers, sans compter les 450.000 de l'oasis de Biskra même.
      L'Oued-Souf est situé entre le 4° et le 5° degré de longitude Est, au Sud-Est des Zibans et au sud du chott MeIrir. Il comprend 7 oasis. Son bassin est, à proprement dire, une agglomération de montagnes de sables, hautes et larges dunes qui absorbent instantanément les pluies tes plus abondantes. La capitale est El-Oued) ; l'ensemble des palmiers des oasis du Souf est de 190.000; les dattes en sont excellentes.
      L'Oued-Rir est à l'Ouest du Souf. Il comprend une suite d'oasis rapprochées les unes des autres et s'étend du Nord au Sud, jusqu'à Touggourt, sur une bande sablonneuse de 120 km avec 20 km. de large. La capitale est Touggourt.
      En 1856, la plupart des puits étaient ensablés ou taris ; les palmiers dépérissaient à vue d'œil et les habitants, réduits à la misère, songeaient à abandonner leurs oasis. Sur l'ordre du maréchal Randon, alors gouverneur général, le forage de puits artésiens fût entrepris sur plusieurs points du territoire : le succès le plus complet couronna cette généreuse entreprise et le pays tut sauvé grâce à la nappe d'eau souterraine fort abondante due à la rencontre sous sol des vastes bassins sahariens de l'oued Igharghar et de l'oued Mia. Les 43 oasis possèdent ensemble près de 700.000 palmiers et des dizaines de milliers d'arbres fruitiers.
      Au sud de Touggourt est l'oasis de TEMASSIN avec plus de 50.000 dattiers. C'est à Témassin que se trouve la zaouïa du grand maître des Tidjania.
      Le système orographique du département est formé de chaînes irrégulières, dont les rameaux se projettent confusément dans toutes les directions avec prédominance, comme de juste, de l'Ouest-Sud-Ouest-Est-Nord-Est, qui est la direction normale de tout le système de l'Atlas. Les montagnes les plus remarquables, en allant de l'Ouest à l'Est sont :
       Dans la région maritime proprement dite : le Tamesquida (16226 et 1693 m.) au Sud de Djidjelli ; le Goufi (1.183 m.) à l'Ouest de Collo; le Filfila (661 m.), qui s'avance jusque sur la plage, dans la partie centrale du golfe de Stora ; le Djebel-Zhila (550 m.), près du cap Takouch ; I'Edouqh (1.008 m.), au-dessus de Bône; les cimes les plus élevées du littoral s'élèvent tout à fait à l'Ouest du département, à toucher, celui d'Alger, dans la Petite Kabylie, au massif du Babor : le Babor à 2.004 m., le Tababort 1.969 m. ; ce groupe de montagnes est tout à fait grandiose, d'autant qu'il domine la mer et qu'ainsi il ne perd rien de sa grandeur par l'élévation de son socle.
       Dans le massif qui s'étend autour de Sétif et au sud de Bordj-bou-Arréridj : le Mégris, au Nord de Sétif, à 1.757 m.; le Bou-Thaleb, au Sud, en a 1586 ; le Maadid, qui est le " Pic du Midi " de Bordj, atteint 1.848 m. ; les monts au Sud de Mansoura s'élèvent, plus ou moins, à 1.800, tandis qu'à leur midi, la grande lagune du Hodna ne domine les mers que de 400 m. environ.
       Dans la partie du massif qui s'étend de Constantine à la frontière de Tunis on remarque ? le Djebel-Ouach (1.181 m.). à l'Est-Nord-Est, . de Constantine; le Taya (1.208 m.), à l'Est-Nord-Est de l'Ouach, au-dessus des bains célèbres d'Hammam Meskhoutine; la Mahouna (1.411 m.) au Sud-Sud-Ouest de Guelma; les monts de Souk-Ahras qui culminent, au Nord de cette ville, dans le Msid (1.405 m.), en une belle région boisée qui se ressent du voisinage de la mer.
       Le Djebel-Aurès, formé de plusieurs chaînes pour la plupart parallèles entre elles, orientées obliquement de l'0uest-Sud-Est à l'Est-Nord-Est et comprises entre Batna et Khenchéla, au Nord, et les Zibans, au Sud. Son point le plus élevé, le Chelia (2.329 m.), est situé au Sud-0uest de Khenchéla; le Touggourt ou Pic des Cèdres, voisin de Batna, en a 2.094; le Réfaa, à l'Ouest du Touggourt, 2.180.
      " L'Aurès, dit le capitaine de Magron, était en 1879 le pays le plus ignoré de la province de Constantine. C'est un massif montagneux, d'environ 100 lieues carrées, aux crêtes nombreuses, aux pentes rapides et très escarpées, aux vallées rares et très étroites. C'est une sorte de Kabylie placée aux limites du Désert, habitée de temps immémorial par des races autochtones, près desquelles sont venus s'établir les éléments étrangers, sans qu'une fusion se soit jamais opérée d'une manière sensible et de façon à absorber le peuple primitif. " La population (50.000 hab.) est exclusivement composée de Berbères et d'Arabes berbérisants parlant le dialecte chaouïa.
      Quoique moins nombreuses dans le département de Constantine que dans les deux autres départements, les plaines occupent de vastes espaces. Nous citerons :
      Dans la région tellienne : la plaine de l'Oued-Senhadja qui s'étend du golfe de Stora au lac Fetzara ; la plaine de Bône qui, sous des noms différents plaine de Bône, plaine des Kharésas, plaine des Beni-Urgine, plaine de la Mafrag, plaine de l'Oued-el-Kébir, s'étend du lac Fetzara jusqu'au massif' qui avoisine La Calle ; la plaine ou, pour mieux dire, le haut plateau de la Medjana dont la ville de Bou-Arréridj commande la partie centrale : elle ondule à de telles altitudes que les hivers y sont fort rigoureux; il en est de même de la plaine de Sétif, qui s'étend au sud de cette ville et où commence une série d'ondulations plus ou moins accentuées qui se prolongent, dans la direction de l'est, jusqu'aux environs de Tébessa; enfin, au nord de Biskra, la grande plaine d'El-Outaya, où se trouve l'oasis du même nom ; au pied occidental des escarpements de l'Aurès, cette plaine féconde avoisine le Sahara.
      Dans la partie méridionale du département, on voit aussi de grandes plaines, dont quelques-unes sont couvertes d'alfa. Les plus remarquables sont celles du Hodna, qui entourent le chott du même nom. Sous la domination romaine, et même quelques années après la conquête de ce pays par les Arabes, le bassin du Hodna était populeux et fertile. On y récoltait, dit un historien du dixième siècle, des fruits de toute sorte, des céréales et du coton; on y cultivait aussi la canne à sucre. Mais, de cette ancienne splendeur, il ne reste plus que des décombres. Les bouleversements du sol ont changé le cours des eaux et tout a fini par disparaître sous une couche de sable. Grâce à l'administration française, cet état de choses change peu à peu ; de nombreux puits artésiens ont été forés dans cette région et les habitants ont pu reprendre la culture dit dattier.

      La superficie des forêts domaniales et communales est évaluée à 810.288 hectares. Les essences dominantes sont:
- le chêne-liège (242.959 hectares) ;
- le chêne vert (234.155 hectares);
- le chêne-zéen (37.550 hectares) ;
- le pin d'Alep (146.885 hectares) ;
- le pin maritime (2.206 hectares);
- le cèdre (26.592 hectares).
- On compte, en outre, 119.941 hectares peuplés d'essences diverses.

      Les forêts les plus importantes sont celles
- de l'Ouennougha, au sud de Béni-Mansour et à l'est de l'Oued-Okris (12.200 hectares);
- d'Akfadou (8.100 hectares):
- du Babor (6.900 hectares);
- de Guergour, au sud de Bougie (14.000 hectares) ;
- de Dréats, au sud-ouest de Bou-Arréridj (14.500 hectares);
- des Beni-Fourhal, au sud-ouest de Djidjelli (8.229 hectares);
- de Collo (40.000 hectares) ;
- les massifs qui s'étendent au sud de Jemmapes (17.744 hectares);
- à l'est de Duvivier (12.598 hectares) ;
- entre Souk-Ahras et Tébessa (23.826 hectares);
- les forêts du Bou-Thaleb, au sud de Sétif (28.720 hectares);
- du Djebel-Bou-Arif, au nord-est de Batna (10.000 hectares);
- de l'Aurès (25.000 hectares); celles situées :
- à l'ouest de Khenchéla (20.780 hectares);
- au sud-ouest d'El-Kantara (19.481 hectares);
- au sud de Tébessa (20.164 hectares).

      Dire que toutes ces forêts sont vraiment et partout forêt dépasserait beaucoup la vérité; les hommes ont ici grandement dégradé les bois.

      Le tableau ci-après indique, suivant la région à laquelle elles appartiennent, l'altitude d'un certain nombre de localités :

Région maritime.
Région montagneuse.
Région saharienne.
Bougie
Djidjelli
Philippeville
Bône (Quais)
La Calle
Mondovi
Duvivier
Guelma
67
3
60
2
12
24
94
279
Bou-Arréridj
Sétif
Constantine
Le Kroubs
Souk-Ahras
Batna
El-Kantara
Tébessa
915
1.693
660
680
598
1058
517
880
Biskra
Chott Melrir
Touggourt
El-oued
Témassin



124
6
51
68
72



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