N° 220
octobre

https://piednoir.fr
    carte de M. Bartolini J.P.
     Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Octobre 2021
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
https://www.seybouse.info/
Création de M. Bonemaint
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,

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EDITO

REALITES ET CAUCHEMARS

        En octobre, Les couleurs de l'automne s'installent tout doucement. Le froid va arriver doucement, les feuilles tombent avec les belles couleurs de saison. On commence à faire ses réserves de vitamines pour l'hiver !

        Octobre, débute par la journée mondiale du café et du chocolat pour les plus gourmands. Ce sera l'occasion de ressortir les petites couvertures ou ponchos pour lire dans son fauteuil ou devant le P.C., avec une bonne tasse de chocolat chaud.

        En cette période atypique que nous ne finissons pas de traverser, le monde a étrangement ralenti son cours naturel, les mentalités changent sous les épreuves chaotiques que nous subissons.
        Depuis presque deux ans, tout tourne autour d'un virus, le monde semble suspendre son histoire, ses réflexions, sa vie de tous les jours, avec un quotidien masqué.
        Il vit au travers des projections ou des statistiques qu'on lui jette en pâture sans lui laisser le choix de comprendre. Contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, l'individualité est en train de s'accroître au détriment de la solidarité conviviale. L'humain se laisse endormir et le réveil sera douloureux et cauchemaresque.

        Ce mois d'octobre nous emmène tout droit vers la grande fête de la Toussaint, qui va raviver des souvenirs pour notre communauté qui s'était aussi endormie et qui s'est réveillée en 1954 par un cauchemar.

L'obéissance à un homme dont l'autorité
n'est pas illuminée de légitimité, c'est un cauchemar.
Simone Weil

        Amicalement et sincèrement.
Jean Pierre Bartolini          
        Diobône,         
         A tchao.



De Paris à Mondovi
avec les colons du 11ème convoi (1848)

M. B. Palomba

          Si on trouve aujourd'hui beaucoup de publications sur les Convois de 1848 vers l'Algérie, pendant longtemps cette page d'histoire a été plus ou moins occultée ; y compris et surtout peut-être, en Algérie. Pour ma part cela ne fait qu'une dizaine d'années que j'en ai entendu parler grâce au livre de Jacques Roseau et Jean Fauque (3) et que je m'y suis intéressé, j'avais tout ignoré de cette épopée jusque là.

Le contexte :

           Pour comprendre cette aventure, il faut remonter aux origines de la conquête de l'Algérie que Charles X a entreprise, peut-être, mais c'est peu probable pour laver l'affront du " coup de l'éventail ", peut-être pour mettre un terme aux exactions des Barbaresques, mais aussi et surtout sans doute, comptant sur les succès militaires pour détourner l'attention du pays des difficultés sociales (chômage et pauvreté) et de la tentative de restauration de l'Ancien Régime entreprise par son ministre Ultra le Prince de Polignac. Le succès fut au rendez-vous ; la campagne débutée en Avril 1830 fut brillante. Pour autant, elle n'empêcha pas à peine 1 mois et demi plus tard, la révolution de 1830 à la suite d'une tentative de Polignac de réduire entre autre la liberté de la presse. A l'issue de ce qu'on appellera les 3 Glorieuses, Charles X abdique. Il sera remplacé par Louis Philippe qui accepte une constitution. Il sera Roi des Français et non plus Roi de France de droit divin.

           Il hérite donc d'un équilibre social très précaire et d'un territoire nouvellement conquis : l'Algérie.
           Son règne durera 18 ans pendant lesquels il aura une politique de colonisation hésitante, freinée d'ailleurs par la chambre des députés où nombreux étaient les opposants à toute idée de colonisation. Enfin, le chômage et la misère déclenchèrent la révolution de 1848 et en quelques jours, Louis Philippe abdiqua voulant épargner le sang des Français.
           C'était la fin définitive de la royauté et l'instauration de la 2ème république, proclamée en Février1848 par Lamartine. En attendant l'élection d'un Président de la République, un Gouvernement provisoire est mis en place, dont une des 1ères mesures sera la création des Ateliers Nationaux, mesure très bien accueillie par les couches populaires.

           On attendait de ces grands travaux financés par le gouvernement, la réduction du chômage. Or il s'avéra très vite que c'était un gouffre financier et le Gouvernement provisoire moins de 4 mois plus tard, en décida la fermeture ; ce qui provoqua l'insurrection de juin 1848 qui elle, sera beaucoup plus meurtrière que celle de Février. En effet, le Gouvernement provisoire, fait appel à l'armée pour rétablir l'ordre : Cavaignac chef de l'exécutif et Lamoricière ministre de la guerre écrasent la révolte : il y aura plus de 5000 morts, 1500 dans les rangs de l'armée, près de 4000 chez les civils. 15000 insurgés seront arrêtés et emprisonnés. Plus de 4000 d'entre eux, seront déportés vers l'Algérie. (1)
           Ces " déportés " vers les bagnes, n'ont rien à voir avec nos colons de 1848 qui eux seront volontaires pour être envoyés par le pouvoir jusqu'en Algérie afin d'y fonder des villages de colonisation.
           Néanmoins, la situation reste explosive et Lamoricière est chargé d'organiser le " départ volontaire " d'ouvriers Parisiens au chômage. Le 20 septembre 1848, des affiches à l'attention des ouvriers fleurissent sur les murs de la capitale des affiches annonçant l'ouverture d'un crédit de 50.000 millions sur 5 ans pour installer en Algérie 12.000 colons et ce, avant le 1er janvier 1849. (Fig 1)

           Ceux-ci pourront sous certaines conditions devenir propriétaires définitifs de leur " concession". Pour une population le plus souvent au chômage et vivant dans la plus grande précarité; c'était une chance inespérée et beaucoup décidèrent de tenter l'aventure.

Quels étaient les buts de la manœuvre ?

           · Bien sûr lutter contre le chômage. En apparence du moins, car on comptait plus de 100.000 chômeurs à cette époque rien qu'à Paris et Cette opération ne pouvait concerner au mieux que 2 à 3.000 chefs de famille.
           · Coloniser cette nouvelle possession Française où il n'y avait eu jusque là que quelques tentatives et peu de réussite.
           · Enfin et surtout le but (inavoué) était d'éloigner de la capitale des insurgés potentiels, quitte à promettre " Monts et Merveilles ", du genre : " Vous y trouverez un climat sain des plaines immenses et fertiles, un sol vierge, où il ne tiendra qu'à vous de récolter la fortune et le bonheur "... Comment résister quand on est depuis longtemps au chômage et qu'on ne mange pas à sa faim ?
           Il y eut près de 100.000 demandes, il fallut faire un tri : on créa une commission qui ne se montra pas tatillonne ; il fallait faire vite pour respecter le cahier des charges et la date butoir du 31 décembre 1848. Quoiqu'il en soit, il s'agit d'un véritable tour de force du gouvernement que d'avoir organisé en si peu de temps le transfert de plusieurs milliers de personnes de Paris jusqu'en Algérie.

La grande aventure :

           Pour arriver jusqu'à Marseille, c'est la voie fluviale qui fût choisie. Cette solution d'une part était la moins onéreuse et d'autre part, elle permettait de convoyer un grand nombre de personnes.
           A partir du 8 octobre, il y aura 2 départs par semaine, le jeudi et le dimanche. Le 1er convoi partira du quai de Bercy, les autres du Quai St-Bernard.
           Ils durent naviguer successivement sur 4 fleuves : la Seine, la Loire, la Saône et le Rhône. Et pour passer d'un fleuve à l'autre, emprunter des canaux : canal du Loing puis de Briare, Canal latéral de la Loire, et Canal du centre pour accéder de la Loire à la Saône.
           La 1ère partie, jusqu'à Chalons/Saône se fera sur des chalands de Loire. A partir de Chalons, ils emprunteront des bateaux à vapeur jusqu'à Arles. Le dernier tronçon d'Arles à Marseille se fera en train (fig.2).
Fig 2 : Le périple pour rejoindre Marseille

           Le chaland de Loire reste attaché à l'aventure de ces Colons de 48. Il a été choisi pour ses dimensions (27 m de long sur 5 de large) lui permettant de passer facilement les écluses, très nombreuses sur les canaux. C'est un bateau à fond plat sur le quel on a installé une sorte de cabane couverte d'un toit en planche à l'étanchéité toute relative. Chaque chaland comprend 2 compartiments pouvant accueillir 90 personnes chacun. En fait, la surface utile est de 20m/4m ; soit 80m2 pour 80 personnes ! Les colons sont installés sur 2 " banquettes ", la place dévolue à chacun est d'à peine 50 cm ; ce qui ne permet pas de s'allonger. Pendant tout le trajet ils seront confrontés à une très grande promiscuité. (Fig.3 et 4)
Fig. 3 : Aménagement d'un chaland
Fig.4 Promiscuité régnant à bord (dessin de Vivant Beaucé)

Le 11ème convoi :

           Pour comprendre ce qu'a été l'aventure de ces colons, puisque les lecteurs de La Seybouse sont essentiellement Bônois, nous prendrons pour exemple le 11ème convoi, celui de Mondovi qui a débarqué à Bône, et nous suivrons au jour le jour tout au long de leur périple les futurs Mondoviens.

           Le 16 novembre 1848, 922 " colons Lamoricière " quittent le quai du Pont St Bernard pour aller fonder le village de Mondovi près de Bône où ils débarqueront. La foule est nombreuse pour les acclamer comme lors de chaque départ. Aux nombreux discours dont celui de Cavaignac lui-même, succède la bénédiction du drapeau (fig.5)

Fig 5 :

           Ils emportent très peu de choses, ils ont droit à 50kg de bagage par personne de plus de 12 ans. On leur a remis leur carnet de colon qui les suivra tout au long de leur périple et de leur installation en Algérie. Plus tard, seront indiquées les terres qui leur seront attribuées, les aides dont ils bénéficieront. (Fig 6 et 6 bis).

           Fig. 6 et 6 bis : Carnet de colon de La Famille Mougeot (avec l'aimable autorisation de Georges Mougeot que je remercie pour m'avoir confié ce document exceptionnel)

           Le carnet comprend 58 pages où sont énoncés : l'état civil du colon et des membres de sa famille, le règlement, les droits et les devoirs des colons, puis y seront inscrites toutes les aides de l'état (lots formant la concession, cheptel, effets de couchage ou encore rations de vivres ou les indemnités de remplacement), au fur et à mesure de leur attribution lorsqu'ils seront arrivés sur le village de colonisation où ils seront affectés.








Le grand départ :

           Le convoi de 7 chalands s'ébranle tiré par le remorqueur à vapeur " le Neptune " qui les conduira jusqu'à Port à l'Anglais, à quelques km seulement de Paris.
           Puis il sera tiré par une vingtaine de chevaux en Haute Seine jusqu'à Moret. Jusque là et pendant 2 jours, les colons ont interdiction de descendre sur la rive.
           A Moret, les chalands quittent la Seine et empruntent le canal du Loing puis de Briare pour rejoindre la Loire. Ils sont alors tractés par des haleurs, des malheureux qui fournissent un travail harassant pour un salaire de misère. La progression est lente, 2 km/h environ, ralentie par le franchissement de nombreuses écluses. Mais les futurs colons ont maintenant le droit de descendre et marcher en suivant ou en précédant les chalands ; certains prennent de l'avance et l'attendent en buvant une chopine, d'autres en pêchant, ou en chassant, du moins pour les quelques rares possédant un fusil ; tout est bon pour améliorer l'ordinaire.
           L'accueil dans les villes ou villages traversés est très divers ; ils peuvent être encouragés et acclamés par les uns, ou agonis d'injures par d'autres qui les prennent pour de dangereux révolutionnaires, des " partageux ", déportés par le gouvernement.

           Le 21, puis le 24 novembre, ce 11ème convoi connaîtra un incident particulier : il sera immobilisé par une grève des haleurs. A chaque fois, pour ne pas perdre de temps, ce sont les colons eux-mêmes qui tireront les chalands.
           Ils empruntent ensuite le canal du centre qui relie la Loire à la Saône et arrivent à Chalons/Saône le 27 au matin.
           Cette portion du trajet, mis à part bien sûr l'odieuse promiscuité régnant dans les péniches, sera peut-être la moins pénible de leur périple, dans la mesure où ils découvrent de nouveaux paysages, qu'une certaine liberté leur est accordée pour circuler sur les rives et qu'au moins pour les plus miséreux d'entre eux, ils mangent enfin à leur faim puisque le ravitaillement est assuré par l'administration.

           Chalons/Saône : c'est un lieu de transbordement, c'est-à-dire qu'ils abandonnent les chalands pour des vapeurs à aube (4 de 60m de long chacun pour les 922 passagers). Ce mode de navigation plus rapide leur permettra de gagner leur prochaine étape dans la journée ; c'est ainsi qu'ils arrivent à Lyon dans la soirée.

           Lyon : Ils débarquent en amont de la ville. En effet, il existe plusieurs ponts dont le passage serait difficile pour ces vapeurs lourdement chargés. Il a donc été prévu qu'ils dormiraient à Lyon et prendraient le lendemain matin d'autres vapeurs en aval de la ville. Seule l'embarcation contenant les bagages lourds ira amener ceux-ci jusqu'aux vapeurs en partance.
           L'accueil à Lyon, est à l'image du temps, extrêmement froid. L'administration a prévu de loger les colons chez l'habitant, mesure que les propriétaires d'appartements réquisitionnés n'apprécient pas du tout et qui les rend très hostiles vis-à-vis de ces locataires forcés; les heurts sont fréquents et quelquefois violents. Quoiqu'il en soit, le lendemain aux aurores, les colons iront à pied jusqu'au lieu d'embarquement sur de nouveaux vapeurs à aube, ce qui équivaut pour certains à traverser tout Lyon à pied dans le froid du matin.
           Le trajet jusqu'à Arles durera 2 jours. Bien que l'espace soit moins compté que sur les chalands, l'inconfort est toujours aussi grand. Ils passent la nuit du 28 à Bourg Saint Andéol, et arrivent au soir du 29 novembre à Arles ; cela fait 14 jours qu'ils ont quitté Paris …

Fig 7 :Les colons prennent le train à Arles( dessin de Vivant Beaucé)

           Arles : Là encore ils seront hébergés dans des logements réquisitionnés et là encore l'accueil sera exécrable ; certains les recevront pistolet au poing….

           En train vers Marseille : Le lendemain, après une nuit peu réparatrice, ils sont dirigés vers la gare. En effet la dernière étape de leur périple sur le sol de la Mère Patrie se fera en train. (Fig 7) Une nouveauté pour la plupart d'entre eux dont ils garderont un souvenir mitigé car ce voyage durera 5h et il n' y a pas de vitres aux fenêtres : la direction des Chemins de Fer les a fait enlever craignant des dégradations de la part de ces " dangereux révolutionnaires " ; toujours cette même confusion. Or nous sommes fin novembre ; il fait très froid et certains, surtout les enfants, contracteront des affections respiratoires.
           De plus, lors de la traversée de tunnels, l'absence de vitres fera s'engouffrer la fumée de la locomotive dans les wagons, ce qui ne sera pas très apprécié par nos colons

           Marseille : ils y arrivent le 30 novembre au soir et seront hébergés au Vieux Lazaret, lieu dévolu aux quarantaines pour éviter les épidémies. L'endroit est assez sinistre, d'autant que nos 922 futurs Mondoviens, s'y trouvent en même temps que les colons du convoi précédent, devant créer eux la colonie de Jemmapes. Près de 1800 personnes qui dormiront sur une paille où la vermine prolifère !!! Certains en garderont un souvenir urticant…

           Ils y attendront 4 jours le Labrador (fig 8), bateau à vapeur qui doit les amener jusqu'à Bône. Ils embarquent donc le 4 décembre au soir, passent la nuit à bord, et le 5 au matin à 8h, le Labrador appareille pour Bône.
(Fig 8: le Labrador)

           La traversée se fera sans problème particulier. Sauf au sortir de Marseille, l'état de la mer sera relativement satisfaisant et le 8 en fin de matinée, la côte ainsi que la montagne de l'Edough qui domine Bône apparaissent.

           Arrivée à Bône : L'accueil sera triomphal comme en témoigne cet extrait d'un article paru mi-décembre 1848 dans La Seybouse, le journal Bônois de l'époque, que perpétue aujourd'hui Jean Pierre Bartolini: " On distingue les bâtiments de la Casbah d'où partent des coups de canon, puis les remparts de la ville et le minaret de la mosquée de la vieille ville. Du Môle Cigogne où sont réunies les personnalités et les curieux venus accueillir les nouveaux arrivants, une musique militaire retentit. "
           Ils sont accueillis par les officiels sur le bateau, puis dès leur descente, les colons se mettent en marche pour gagner le centre ville à 3 km environ du port de l'époque qui se trouvait à l'embouchure de la Seybouse. Un vin d'accueil leur sera servi après quoi, ils seront répartis dans les différentes casernes de la ville.

           Le lendemain (situation que seuls connaîtront les membres du 11ème convoi) on leur annonce que le départ vers Mondovi ne se fera qu'après la participation de tous les hommes à la 1ère élection présidentielle du pays. Le 10 décembre donc, 340 hommes du convoi participeront à ces élections qui verront la victoire de Louis Napoléon Bonaparte avec plus de 74% des suffrages.
           De Bône à Mondovi : Le départ aura lieu, du moins pour une partie d'entre eux,

           le 11 décembre soit 26 jours après leur départ de Paris. Le reste du convoi partira le surlendemain.
           L'armée a mis à disposition des charrettes et attelages, mais les bagages prennent pratiquement toute la place, et sauf pour les femmes enceintes ou celles trop âgées, les 26 km jusqu'à Mondovi (Koudiat Menna), ils devront les faire à pied, escortés par les militaires. Il n'y a pas de route en état, juste une piste tracée par les caravanes et les troupeaux le long de la Seybouse. Le chemin est difficile, plein d'épineux et de broussailles, les oueds se passent à gué. Ils font une halte au camp militaire de Dréan puis se dirigent vers " la terre promise ".

           L'arrivée à Mondovi : c'est donc le 11 décembre 1848 au soir, après une marche harassante qu'ils arrivent sur l'emplacement de leur futur village. Et là, consternation, rien n'est prêt pour les recevoir. On leur avait dit qu'ils seraient logés dans des maisons en dur; pour le moment ils ne trouvent que les tentes de l'armée, type " marabout " ou des baraques pour les accueillir ; et encore sont-ils entassés à 3 familles par tente avec des séparations incomplètes pour s'isoler. Seule précaution, les célibataires sont logés à part des familles.
           Le camp comme tous les autres villages de colonisation est un rectangle (fig. 8) entouré d'un immense fossé de 4m de profondeur sur 10 m de large qui a été creusé par l'armée pour les protéger des attaques des bêtes fauves. Lions, panthères, hyènes, sans parler des chacals sont très nombreux dans la région, comme partout dans les campagnes de cette Algérie où la colonisation en est encore à ses balbutiements.
Fig 9

           Plan de Mondovi. Tous les villages de colonisation seront bâtis sur le même plan : autour d'une route centrale, des rues perpendiculaires et parallèles.
           Le village sous la direction du Capitaine Blanchet, n'est encore qu'à l'état de plan. Provisoirement donc ils sont logés sous les tentes en attendant les maisons en dur, mais déjà à cette époque " le provisoire durait longtemps " puisqu'on ne comptera que 9 de ces maisons achevées fin 1849….
           Leur ravitaillement pendant les 1ères années sera assuré par l'armée, mais c'est aux colons bien sûr de faire la cuisine. Les repas ont lieu en plein air sur des caisses qui servent de tables et de sièges. Jusqu'20 février ils toucheront une petite indemnité journalière : 10cts/personne, 5cts/enfant.
           Les lots des concessions sont distribués : entre 2 et 10 ha et pas toujours attenants. Très vite, les 1656 ha dévolus au village s'avèrent insuffisants ; il faudra créer un autre village, Mondovi le haut qui prendra par la suite le nom de Barral. Les terres y sont ingrates, la culture des céréales y est peu rentable et par la suite, ils s'orienteront plutôt vers celle des oliviers ou du tabac.

           L'hiver 48/49 fut extrêmement rigoureux, Eugène François cité par Maxime Rasteil raconte qu'il plut sur le village 8 jours sans discontinuer. " Et alors qu'un printemps radieux avait fait renaître l'espoir, l'été torride et le sirocco brûlaient sur pied les récoltes pourtant prometteuses (5)". S'ajoutant aux difficultés avec les populations Arabes, cette épreuve due à une suite d'évènements météorologiques épouvantables, poussa à son comble le désarroi des colons : beaucoup partirent abandonnant leur concession, soit pour trouver du travail ailleurs, soit même pour retourner en France.

           En Avril 1849, une terrible épidémie de choléra s'abat sur l'Algérie, et Mondovi est sans doute l'un des endroits où elle a été la plus meurtrière : on y comptera jusqu'à 250 morts plus ceux décédés dans les hôpitaux. Il n'y a aucun remède connu contre cette maladie qui tue en 48h après une incubation de 4 jours. On essaiera d'isoler les malades dans une infirmerie située en dehors du camp mais ce sera sans effet véritable. On compte sur le repos et le grand air. Par contre, toujours selon Eugène François, certains médecins recommandaient la danse pour activer la circulation du sang. Et dans une guinguette mondovienne, certains colons et colonnes dansent avec frénésie polkas et mazurkas jusqu'à 4h du matin…Personne ne pourra vérifier l'efficacité de la méthode. Néanmoins, au mois d'Août se profile une régression de la maladie.
           Malgré cette épidémie, fin 1849 l'école est construite et le 1er instituteur entre en fonction. L'église St Ambroise est consacrée et la route et la voie de chemin de fer sont tracées.

           En 1850 Mondovi comptait 335 habitants et Barral 338. Ainsi sur les 922 du départ, près d'1/3 d'entre eux avait donc disparu ; les uns victimes du choléra, les autres parce qu'ils avaient renoncé a cette aventure devant tant de souffrances.
           De plus, il faut signaler que la sécurité était très précaire. Il existait 2 types de peuplades indigènes : les Hanenchas plutôt pacifiques et les Beni Salah plus belliqueux dont les tribus se trouvaient au sud de Barral. En 1851 lors d'un soulèvement, ces derniers attaqueront le village qui ne devra sa survie qu'à la présence d'esprit des colons. Pendant que l'un d'entre eux partait au triple galop chercher du secours auprès de la garnison de Bône, les autres installaient des tuyaux aux créneaux de leurs barricades, pour faire croire qu'il s'agissait de canons. Ce qui eut pour effet de retarder l'assaut des Beni Salah et de permettre à l'escouade dépêchée depuis Bône d'arriver à temps. Hélas, le capitaine Messmer qui la commandait sera tué au combat. Pour commémorer cet acte héroïque, une statue à son effigie a été érigée sur la place de Barral, et jusqu'en 1962, une rue de Bône portait son nom.
           Les militaires assureront l'administration du camp jusqu'en 1852 après quoi ils la remettront aux civils.

           Mondovi accueillera plus tard des familles venues du sud ouest de la France, mais aussi du Tarn et de l'Auvergne. 1860 verra l'arrivée de plusieurs familles venant d'Italie. Précisons enfin qu'Il y avait également une importante colonie de Maltais dont certains étaient présents depuis 1838.
           Quoiqu'il en soit, il n'y aura jamais plus d'un millier d'Européens à Mondovi.
           A côté de cette colonisation ouvrière sur des propriétés de peu de superficie, se développera par la suite, favorisée par Napoléon III, l'implantation de grands domaines dévolus à la culture du tabac et de la vigne qui donneront un nouvel élan à cette localité fondée par nos colons de 1848 et amèneront la prospérité.
           A la fin des années Françaises, Mondovi était une petite ville coquète et prospère (fig.10) et les Mondoviens restent très attachés à leur histoire et très fiers des origines de leurs ancêtres.
(Fig.10) Mondovi vers 1960

Conclusion

           Entre 1848 et 1850, 17 convois ont été envoyés en Algérie, représentant environ 15.000 colons tous ou presque ouvriers parisiens, en tout cas résidant à Paris. Seul le 17ème convoi comptera dans ses rangs des Lyonnais qui seront dirigés dans la région de Guelma dans l'Est Algérien.

           Par la suite en 1851 et 52, 6000 nouveaux colons venant d'autres régions rejoindront l'Algérie, bénéficiant de la même prise en charge par l'administration et l'armée.

           Sur l'ensemble de cette population, il y eut plus de 3000 décès. 7000 environ abandonnèrent leur terre devant tant de difficultés, soit pour trouver une autre activité dans les villes, soit pour repartir en France et oublier à jamais cette aventure qui aurait pu être plus belle si elle avait été mieux préparée.

           En effet, on peut dire que seule la 1ère partie jusqu'à Marseille avait été correctement organisée ; comme si on avait voulu, au plus vite et à tout prix, mettre la méditerranée entre ces insurgés potentiels et Paris.

           Après, ce fut le plus souvent l'impréparation la plus totale, rien n'avait été fait pour les recevoir, ce qui leur a fait vivre les 1ères années dans des conditions miséreuses. Et ce d'autant que beaucoup de ces Parisiens n'avaient pas la moindre expérience de l'agriculture.

           Néanmoins, grâce à leur travail acharné, les rescapés créeront 42 villages dont Saint Cloud, Fleurus, Rivoli en Oranie, Ponteba, Montenotte, La Ferme dans l'Algérois, mais aussi dans le Constantinois Jemmapes, Héliopolis, Guelma et bien sûr Mondovi dont nous venons de parler. Autant d'endroit s qu'ils ont su à force de sacrifice mettre en valeur jusqu'à en faire des villages prospères.

           A l'issu de cet exposé reste une interrogation : comment cette épopée remarquable, très proche de ce qu'ont vécu les pionniers américains partis à la conquête de l'Ouest, comment cette épopée a pu être plus ou moins occultée pendant plus d'un siècle? Pourquoi n'a-t-elle pas été valorisée comme l'ont fait les Américains, donnée en exemple ?

           Elle aurait donné peut-être du colon une autre image que celle habituellement répandue ; montrant que la colonisation de l'Algérie n'avait pas été le fait que de colons en gants blancs n'hésitant pas pour certains à " faire suer le burnous ", mais que nombreux avaient été ceux qui ne possédant rien ou presque, avaient fertilisé cette terre avec leurs larmes, leur sueur et leur sang.

M. Bernard Palomba

Quelques références bibliographiques :

1) Claire Fredj, Annales de démographie Historique 2007 n°1 p 127 à 154 : les médecins de l'armée et les soins aux colons en Algérie 1848-51
2) Emile et Simone Martin Larras : Les Convois de 1848 pour le Constantinois
3) Jacques Roseau et Jean Fauque: Le 13ème convoi, Ed. Robert Lafont, Juin 1987.
4) Maurice Bel: Les colonies agricoles en 1848, Nice (1997)
5) Maxime Rasteil : A l'aube de l'Algérie Française, le calvaire des colons de 48. Eugène Figuière Editions, Paris 1930.
6) Michèle Perret : Le 1er Convoi 1848, Ed. chèvre-feuille étoilée, 2019.
7) Simone Martin-Larras ) Convois et Colons de 1848 : site de Noisy les Bains
8) Site de Noisy les Bains
9) Site de Mondovi
10) Vivant Beaucé: Journal d'un colon : publié dans le journal L'Illustration du 1er mai 1851



PACKSAGE A DOUARNENEZ
ECHO D'ORANIE - N° 284
En latin d'Afrique...
Une nouvelle chronique de Gilbert ESPINAL

               Tous étaient réunis là, autour d'Angustias et d'un café tiédasse dans le but d'entendre de la bouche de la conteuse le récit imagé du packsage de la cousine (ou plus exactement du parent) de Douarnenez, Tatapepette.
               Il y avait dans la salle à manger, les mains posées sur les bols (à anses, comme aimait le préciser la patronne pour que sa distinction ne soit pas mise en cause) la grand'mère, flanquée de ses filles Isabélica et la Golondrina, Madame Pimpollo, Amparo et son mari, Monsieur et Madame Sacamuelas, Toinou et Bigoté, les hommes, chacun loti d'un récipient coquet, montaient la garde autour d'une bouteille de rhum qui avait déjà perdu une partie de son contenu, à considérer qu'elle eut été pleine au début de la réception.

               Chacun était rempli du désir de plaire à ses contemporains, échangeant des politesses avec son voisin, "encore un peu de café, Aouéla?,, "Je veux pas abuser, pasque je veux dormir cette nuit !", une tchoraica de rhum, Toinou ?", "une goutte pas plus !", "ton café est excellent Angustias I,, "J'ai pas mis de chicorée, juste quelques pois-chiches grillés pour pas perdre les habitudes que nous z'avions durant la guerre à Oran !".
               Angustias, se sentant sollicitée par tous ces regards et ces sourires un peu contraints, prenait son temps : "un sucre ou deux ? Si vous voulez de la saccharine j'en ai ! ou du suc' de canne ou du suc' de betterave : chez moi on trouv' de tout ! Pour ça, on peut le dire, j'économise pas !".

               La grand'mère commença à s agiter. D'un air dégoûté elle but une gorgée de son café refroidi et maugréa : "Angustias, jusqu'à quand tu vas nous z'emberlificoter avec ton agua tchilis (1) et des suc's ? Ici on est venus tous pour sa'oir comme ça s'est passé l'accouplement de ta cousine et de son Jules, par pour te piper ton suc' de cane. Depuis un moment t'y es là, à nous tenir la dragée haute en remuant ton popotin! Bastanté hay (2) ! Au fait !
               - Ay ! Aouéla se récria Angustias d'un air faussement horrifié : vous, à peine arrivée vous voulez que je dégoise ! Le packsage de la sœur à mon cousin y s'est très bien passé. Y avait toute I'aristocratie de Douarnenez que mon cousin Lopec'h y fait partie de la Haute Société de la ville ; de partout on lui demande de venir réparer les télévisions ...

               - Si y fait là bas comme y faisait à Oran, glapit la grand'mère, que, quand y venait pour réparer une panne, avant de jeter un oeil sur le poste, déjà il avait préparé la facture !Y te changeait les lampes sans qu'y en ait besoin, y te remplaçait les boulons sans qu'on lui demande quoi que ce soit, millionnaire y doit-êt' !
               - Il l'est ! susurra finaudement Angustias. Même on l'y a décerné le porreau (3), c'est à dire le mérite agricole, pour a'oir installé la télévision dans une étable à vaches, de façon que les bêtes elles se distraient et produisent davantage de lait. Personne avant lui n'en avait eu I'idée ! Comme y l'y a ait le préfet en lui épinglant cette décoration sur la poitrine, à I'endroit du cœur ; " jamais la république n'a été aussi redevable à un de ses serviteurs qu'à vous. Avec vous on a l'assurance de ne jamais manquer de lait ! dorénavant, avec vous, et, devant la télévision, non seulement elles pourront continuer à ce nourrir de foin et de betteraves mais aussi elles pourront alterner avec du foin et des navets !"

               - Et que patati et que patata ! explosa la grand'mère : jusqu'a nous exposer les bouriqueries de ton cousin Lopez, moins nous raconter la seule chose que ça nous intéresse ...
               - Voui que vous z'êtes pressée, aouéla, roucoula suavement Angustias. Tout s'est très bien passé. Tout a été parfait ! moi, j'avais passé les robes d'Yves Saint-Laurent...
               - Pas toute ensemble ! coupa la Golondrina. Y t'en a offert trois not'r compatriote ! Voui, fit Angustias un ton moins haut. Y m'en a offert trois mais c'était des minijupes. Y en avait une noire, une rouge et une jaune ...
               - Comme le drapeau allemand ! ricana Amparo.
               - Je rentrais dans aucunes d'elles. Les coutures elles z'avaient beau tenir, dans chacune je n'introduisais qu'une fesse. J'ai donc été obligée de les découd' les trois sur les cotés et de me faire une jupe de l'ensemble pour qu'elles fassent le tour de ma taille ...
               - Tu devais t'êt mignonne ! susurra Isabélica.

               Quand je pense, s'exclama la Golondrina, que tu voulais une robe qu'elle fasse à la fois fourreau et crinoline et que t'y as du t'encadrer dans trois minijupes pour caser tes grosses fesses, je rigole j'qu à plus pouvoir respirer !
               - Et c'est de ma faute à moi, gémit Angustias, si ma mère elle m'a bâtie forte du bas du corps ? ...
               - Du bas et du haut, persifla la Golondrina. T'y as vu les tétasses que tu te payes, qu'à coté de toi Lolo Ferrari (que le Bon Dieu il ait son âme !) c'était un esquelette. Ta mère elle était forte des z'hanches, c'est vrai et elle avait un arrière train qu'au aurait dit la Vénus Hottentote mais elle avait des seins comme deux balles de ping-pong; ton père y s'en plaignait ; toujours y disait au mien "quand je la pelote, je cherche la raquette !"
               Quant à toi, quel que soit le côté qu'on te regarde, t'y es gâtée !
               - On voyait qu'à même que c'était d'un grand couturier ! protesta Angustias.
               - Et comment vous avez fait pour le haut ? interrogea Madame Pimpollo ; déjà que le bas y vous z 'allait petit.
               - La sœur à Maria la Gorda (4) qu'elle est installée couturière à Douarnenez, elle m'avait bricolé avec les trois hauts, un boléro à six manches qu'y faisait très chic. Y me remontait les seins j'qu'au menton et, comme j'avais mon wonderbra, je pouvais 'oir quand même, entre eux deux, où je mettais les pieds. J'étais un peu gênée pasque, comme j'ai de fortes cuisses, j'étais obligée de tirer constamment sur la jupe pour pas dévoiler l'intimité de ma personne.

               - Et comme s'appelait, sauta la Golondrina, le modèle que Saint-Laurent y t'avait refilé en trois exemplaires ?
               - Rose-bonbon ! fit Angustias avec simplicité.
               - Tout ça, ça nous dit pas, sauta Madame Sacamuelas, comme elle s'est déroulée la cérémonie du packsage !
               - Ma fami' elle avait louée tout le greffe du Tribunal, reprit Angustias une immense pièce tapissée de dossiers du sol au plafond (tous les 'procès en attente de jugement depuis des années et des années ; y en avait même qu'y datent de la guerre de 14) : ça donnait une dimension historique au décor. Y z'avaient fait les choses en grand. Y avait un pliant pour chaque assistant, avec une grande allée de tapis rouge. Y z'avaient loué les grandes z'orgues de la Cathédrale de manière à ce qu'y ait au moins ça de religieux.

               Quand nous sommes rentrés Bigoté et moi au milieu de cette assistance choisie, les femmes avec des robes de soirée, les z'hommes en costume trois pièces, j'étais comme transportée ; mes pieds ne touchaient pas terre ; les orgues roulaient comme un tonnerre.
               L'organiste y jouait kif-kif Aubry-Angellier(5). Quelle émotion !
               J'avais tous les poils du corps hérissés et même les cheveux...
               - Tous les poils ? interrogea la Golondrina
               - Si je te dis...
               - Même ?...
               - Ceux là aussi : j'étais comme un oursin !

               - Qu'est ce qui jouait ? fit Amparo : du Bitove ?
               - T'y es folle ! se récria Angustias.
               - La marche nuptiale de Saint-Saëns ? demanda Toinou
               - Qué marche nuptiale, ni ocho cuarto ! ni de cinq ni de six sens ! explosa Angustias : y jouait la Cucaratcha !

               Un temps passa.
               - Derrière une tab' recouverte d'un tapis vert, reprit Angustias et surchargée de parapheurs y avait I'officiant, un petit gros lui, qu'on aurait dit le potiron d'Halloween. Il était là, la plume à la main et le registre ouvert. Il attendait dans le roulement profond des z'orgues. Tout tremblait, tout vibrait. Soudain, la porte du fond elle s'ouv et Tatapepette elle avance comme une apparition ...
               - Comme elle était habillée ?
               - Elle portait une robe, aussi immaculée qu'elle, entravée par-devant qu'on lui voyait une jambe après l'aut' quand elle marchait ; c'est dommage qu'elle s'était pas rasé les poils qu'on aurait dit un mulet du Poitou. Mais Julot de Tataouine y veut pas qu'elle modifie en quoi que ce soit ses apparences. Il la désire dans toute sa vérité. Le décolleté de sa robe laissait apparaître ses épaules costaudes comme celles d'un débardeur et le frisottis sur la poitrine. Sa ceinture était faite d'une large bande plissée par-devant avec un gros nœud sur le derrière, comme un pouf. Son visage resplendissait. Ses yeux étaient bordés de cils de cinq centimètres, sa bouche était gorgée de vitalité. Sur ses cheveux permanentés elle portait une couronne de strass qu'on aurait dit qu'elle I'avait sous-loué à la Reine d'Angleterre et un voile de tulle retenu aux z'oreilles par deux bouquets de fleurs d'oranger, j'qu'au sol, par-devant et par-derrière, j'qu'à la traîne. Ses bras étaient chargés de lys ...

               - Et lui, comme il était habillé ? -
               - il était nu, uniquement revêtu de ses tatouages de plusieurs couleurs ; ça le rendait irrésistible : qu'on aurait dit une mosaÏque !
               - Il était nu, nu s'excita Golondrina.
               - Aussi nu qu'Adam avant le péché ! précisa Angustias.
               - Alors on lui voyait tout ? s'étrangla la Golondrina
               - Il portait un string de cérémonie à paillettes dans les bruns mordorés.
               - Et alors, s'insurgea la grand-mère, c'était le jour de son mariage et il avait même pas un noeud papillon ?
               - Papillon, je ne sais pas, conclut Angustias : on voyait que la chrysalide.

               L'assemblée était subjuguée, autour d'Angustias.
               La grand-mère intervint pour faire diversion et pour que chacun retrouve son souffle :
               - et maintenant que Saint-Laurent y t a donné ses robes et qu'il a prit sa retraite, qu'est-ce qu'elle vont devenir Cyndy Crawford, Noémie Campbell et Claudia Schoufleur ? Elles vont-êt'au chômage ? c'est qu'elles commencent à êt' murettes toutes les trois, depuis le temps qu on en parle !
               - Vous êtes folle, aouela ! se récria Angustias. Elles ! au chômage ! Elles z'ont les trois des propositions plus mirobolantes les z'unes que les z'aut' ! Damart leur fait un pont d'or : à Claudia Schoufleur pour qu'elle présente, sur les catalogues, des pentys acryliques molletonnés avec des structures renforcées à certains endroits, super absorbants (odour control) pour rester bien au sec ; à Noémie Campbell des compresses chauffantes qu'on met sur les omoplatres avec une épaulière pour quand on a des rhumatismes et à la troisième des genouillères doublées de ouates synthétiques contre l'arthrose. Elles sont à I'abri du besoin, les trois, et pour longtemps !

               - Et alors, interrompit M. Sacamuelas, Julot et Tatapepette y se sont avancé vers le potiron et y z'ont fait quoi ? y se sont embrassés sur la bouche ?
               - Non ! coupa Angustias. Y z'ont avisé deux fauteuils que y avait là, juste devant. Tatapepette aidée de ses trois demoiselles d'honneur (deux transsexuelles et la troisième en passe de l'être) revêtues de robes arc-en ciel, elle a drapé à ses pieds sa traîne et ses voiles et elle s'est assise sur ses deux fesses comme si elle avait fait ça toute sa vie. Alors, l'officiant il a proféré d'une voix claire :
               - Messieurs, Mademoiselle ....
               - Et pourquoi il a dit Messieurs ?
               - Pasque Tatapepette elle compte à la fois pour un monsieur et pour une demoiselle !
               - Elle a une double vie alors ? remarqua M. Sacamuelas Angustias leva les yeux au ciel et fit une mimique qui lui donnait à penser qu'elle considérait I'intervenant comme un simple d'esprit.
               - Laisse parler Angustias, intervint Madame Sacamuelas qu'y faut qu'on sache comme les choses elles se passent au cas où ça nous arriverait à nous !
               - Nous ! ricana M. Sacamuelas, par-devant le Maire et le curé nous z'avons échangé nos consentements ! ne viens pas me dire main'nant qu'on va se packser par-dessus le marché ! que si c'était à refaire...
               - Bon ! coupa la Golondrina : l'officiant c'était le curé ?
               - Vade retro satanas ! comme il disait l'abbé Caparros, que c'est grâce à lui que je parle le latin couramment ! s'écria la Grand'mère toujours avide de montrer son érudition et de citer ses sources.

               Qu'est-ce qu'il aurait fait le curé dans cette galère si ce n'est lancer son excommunication ?
               - Le curé y célébrait pas la cérémonie, fit Angustias d'un air satisfait, mais il était dans la salle parmi les notabilités en civil pour ne pas qu'on le reconnaisse, avec une fausse barbe et une fausse moustache. Plus tard, à la réception qui a suivi dans la grande salle du Grand Hôtel, il nous a dit qu'il était venu là par curiosité, à 'oir si ça lui donnait des idées pour renouveler le déroulement des manifestations nuptiales ....

               Ay ! Quelle émotion lorsque les deux packsés ont répondu " oui " au greffier en chef qui leur demandait de s'aimer toute la vie. Les larmes coulaient sur toutes les joues et les bonnes femmes qu'elles s'étaient mis du rimmel elles avaient des rides j'qu'au menton.
               Elles z'avaient toutes cent ans. A coté, j'avais l'air d'en avoir vingt ! quand les deux tourtereaux ...
               - Quel âge elle a Tatapepette ? interrogea la grand'mère
               - 45 ans : c'est le frère le plus jeune de mon Cousin Lopec'h.
               - C'est pas des perdreaux de l'année ! constata la grand-mère.
               - Laissez que je termine ! sauta Angustias. Quand y z'ont fini de signer, les z'orgues elles z'ont repris de jouer ce morceau grandiose.
               On pensait que c'était presque l'issue ; mais le curé y s'est avancé et y nous z'a posé cette question qu'elle lui brûlait les lèvres :
               - Qui quête ?
               - Tous on était déjà rassemblés près de la sortie pour faire une ovation au couple. L'intervention de Monsieur le curé a causé un instant de confusion.
               Julot y s'est mis à trembler et il a murmuré :
               "C'est pas moi, c'est elle ! Tous on est resté comme des pan pa migas (6).
               C'est alors que Tatapepette ramassant ses traînes, ses soies, ses nœuds et ses dentelles, elle a d'une main légère, saisi les doigts de Monsieur de Tataouine et elle nous z'a dit à tous : "Je vous présente ma femme !"

LEXIQUE
(1) agua tchilis :expression de dédain : de l'eau de vaisselle
(2) bastante hay ! : espagnol : y'en a assez ! y'en a mare !
(3) on ne disait pas en Oranie le poireau mais le porreau,
(4) Maria la Gorda : personnage mythique des bas quartiers d'Oran. On avait recours à elle quand on était frappé d'insolation : " elle enlevait le soleil " Je ne l'ai pas connue mais j'en ai entendu parler.
(5) M. Aubry-Angellier : titulaire durant de nombreuses années des grandes orgues de la Cathédrale d'Oran. Un remarquable artiste
(6) Pan pa migas : du pain sec : celui que l'on met de coté pour faire les migas, (nourriture du pauvre),


LE MUTILE N°101 du 10 août 1919


SKETCH
               Par ce jour froid du Deux Novembre, dans le silence, de la petite chapelle perdue parmi les landes, au haut du promontoire, en un coin ignoré de l'âpre terre bretonne, Jeannie, la veuve du pêcheur, adresse au grand Tout son fervent appel a la miséricorde pour le " rude gars " que lui a ravi le perfide océan, un lendemain de joyeux Noël, après des pêches heureuses et des nuits effarantes d'insoupçonné péril. Au dehors, le vent qui fait rage, siffle aux vitraux sa lugubre chanson.
               Et Jeannie, lassée de sa douleur muette, l'écoute gémir et songe...
               Voilà qu'elle entend, du très lointain, monter vers elle la pieuse prière des longs voiles noirs agenouillés aux petits cimetières sans cyprès qui jalonnent, dé leurs croix modestes les champs de l'horrible bataille... Et son cœur s'attendrit aux souffrances de ses sœurs inconnues.

               La voix qui vient de la Terre se fait plus distincte ; son accent est triste et résigné.
               Elle dit, doucement, le souffle court :
               Oh ! pauvre âme infortunée! comme toi je fus belle, aimée, heureuse. J'ai tout perdu, même l'espérance. L'homme que je chérissais et qui avait mon amour et ma foi menait une vie paisible et sans dangers parmi ses champs et ses troupeaux. Cette sécurité dans le bonheur me donnait une sérénité que tu n'as point connue, femme du hardi marin que la mer te dispute.. Nos plaisirs étaient simples et purs : nous savourions nos âmes et nous étions heureux d'être bons.

               Le tocsin qui sonna, par un jour maudit de l'août des moissons, m'a brisée. Le souffle guerrier qui empoisonna les plus beaux soirs, de l'été finissant me prit le compagnon de quelques brèves années et ne me le rendit pas. Je connus alors les angoisses des épouses et des mères, les charges du foyer, les regrets d'un passé calme et doux. Ce furent les semaines sans nouvelles, le sentiment de mon impuissant amour pour celui qui se débattait la-bas, contre la mort, les appréhensions de la fatale nouvelle, les pleurs amers, les insomnies, et puis cet énervant espoir accroché tous les soirs à l'aube du lendemain et détruit aux premières heures du jour. Le coup, préparé par ce mois de craintes et de découragements, m'étourdit. J'en doutai. j'injuriai le destin maudit. Et j'espérais encore en une erreur improbable, je tendais mon pauvre cœur de femme vers une insaisissable, bonté, divine, et je ne retombais devant la réalité obsédante, que pour rebondir vers un doute nouveau et m'affaisser encore, brisée ou révoltée.

               ..Les joies qui filtraient des cœurs heureux me faisaient mal, ils revenaient, eux, et lui, était tombé la-bas. Et j'étais plus seule et plus triste, j'aurais voulu pouvoir craindre encore, je regrettais mes angoisses passées, qui laissaient au moins en mon coeur un rayon d'espérance, que j'enchâssais avec piété.
               Je n'avais, pour distraire mon âme de sa souffrance, que les durs soucis de l'existence : la charge d'un foyer, sans autre appui que ma volonté, amoindrie par mon deuil. Et la vie se fait chaque jour plus exigeante. Il faut travailler : un labeur pénible et régulier que ma souplesse de femme n'avait pas connu.

               La perspective est longue de ces jours quotidiens ; bien uniforme paraît maintenant la route où je dois marcher seule. Que de fois j'aurais senti le besoin d'une affectueuse amitié, de conseils el d'encouragements. Car ma solitude était mauvaise conseillère et la voix de sirène de la tentation murmurait à mon coeur de chaudes paroles. Elle me disait l'ivresse d'une révolte contre l'injustice de mon sort, les plaisirs éphémères et brutaux que je m'interdisais, elle me vantait l'oubli dans les satisfactions faciles de la chair.
               Tout conspirait à ma chute. Les séductions de l'or, si puissantes en notre âge de lucre, les assauts du sexe, fort à ma faiblesse de femme "mutilée" de son soutien.

               Je m'accoutumais, contre mon gré, à ces images de volupté ou de débauche que je n'aurais pas soupçonnées tout d'abord. "Ce qui faisait horreur fait problème" comme le dit si bien Bourget et je me sentais glisser sur une pente mauvaise que je ne voulais pas descendre.
               Les quelques joies que je me permettais me paraissaient plus savoureuses encore lorsque je rentrais dans le perpétuel tête-à-tête avec ma solitude et mon chagrin, soigneusement entretenu par les convenances de mon deuil. Une trop grande exubérance m'eût paru d'ailleurs indécente. Le rire si franc et si entier de mes jours heureux me semble interdit, il se mêle à toutes mes joies un peu de regret et de tristesse.

               Et maintenant, je marche ma vie dans un chemin sans fleurs avec, de loin en loin, les points noirs des anniversaires, souvenirs pénibles d'événements heureux, rappel intermittent à celui qui n'est plus et auquel je me sens liée pour longtemps. Plus de projets. "Je n'attends rien des jours."
               Et je n'aurai pas même la consolation de rendre à l'époux que je pleure les devoirs qu'on aime à rendre aux disparus, car son corps est resté là-haut, dans un charnier glorieux, mais loin de moi."
               Et sous sa mantille sombre, Jeannie frissonna. Un pleur vint à sa paupière, une grande pitié se fit en son coeur pour ses compagnes lointaines, et elle pria pour que la douleur leur fut légère, à celles qui avaient vécu de " vastes amours calmes ".

M. S.               


CHRONIQUE HISTOIRE
Envoyé par M. Piedineri


Sur cette photo : le Bachaga Boualam et Georges Bidault (à leur droite, Roger Duchet), en 1959

                   GEORGES BIDAULT

                   1. Magnifique témoignage, digne d'un sénateur romain, de Georges Bidault, successeur de Jean Moulin à la tête de la Résistance et plus tard leader des partisans de l'Algérie Française, sur la question de la torture en Algérie (Assemblée nationale, 20 mars 1957) :
                   " Ce qui me semble la vérité, dit Georges Bidault, c'est qu'il y a des abus. Trop d'hommes et trop de violences sont aux prises pour qu'il en soit autrement, sans attribuer à la nature humaine des perfections qu'aucune expérience un peu large ne lui a jamais découvertes.

                   C'est la fonction et c'est le devoir de l'autorité de veiller, non seulement par ordre écrit, mais par contrôle efficace, à ce que même en face des pires infamies et des pires criminels, même en présence du réseau de complicité auquel elle se heurte, la justice demeure digne de son nom et la défense de la France assurée par les seuls moyens, tous les moyens, mais les seuls moyens, dont on puisse plus tard faire mention dans les petits livres qu'on donnera aux enfants. (Applaudissements au centre, à gauche, à droite et à l'extrême droite.)

                   Aucuns sévices, surtout organisé, ne sont donc tolérables et ne doivent être exempts de sanctions. Je vous demande, monsieur le ministre résidant en Algérie, à vous et à vos subordonnés, d'y tenir strictement et quotidiennement la main.
                   Mais aussi il me paraît seulement équitable d'ajouter pour tant de censeurs qui savent la puissance d'une plume et qui s'en servent sans parcimonie, que leur sérénité, je dirai ce que j'en pense, est moins aisée et plus méritoire à pratiquer quand on vient de ramasser sur le terrain, mort ou mutilé, soit un camarade de combat, soit une femme ou un enfant qui n'ont jamais fait de mal à personne.

                   Je crois nécessaire d'ajouter que le tableau tel qu'il nous est présenté par tant d'accusateurs, contre l'administration et l'armée de la France, est tellement excessif et ordinairement tellement déformé - s'il y a quelque chose à quoi, on devrait accorder foi, c'est une photographie ; mais depuis qu'on a inventé le photo-montage et qu'on le pratique sans le dire, nous savons que même la photographie est capable de mentir (Applaudissements au centre, à gauche, à droite et à l'extrême droite) - ce tableau, dis-je, est tellement excessif et tellement déformé qu'il est nécessaire de défendre le moral de la nation et de ceux qui portent ses armes.

                   Ces jeunes gens qu'on a rappelé en Algérie, personne d'entre nous n'a oublié avec quelle ardeur et quelle tendresse leur sort nous a été présenté. Ces paisibles travailleurs de la ville et des champs étaient brutalement arrachés à leurs travaux, à leurs familles, à leurs idylles. Ils passent la mer et les voilà d'un seul coup métamorphosés en brutes sanguinaires.

                   Il n'y a pas à s'y tromper, c'est une sorte de procès collectif qui se dessine derrière tant de réquisitoires individuels.
                   Je ne suis prêt à défendre aucun coupable, mais si c'est mon pays ou ses fils pris en grand nombre qui sont l'objet d'une prise à partie habile, permanente et visiblement concertée, alors non seulement je plaide pour l'infanterie et pour l'administration françaises, mais je requiers contre les procureurs. (Vifs applaudissements au centre, à gauche, à droite et à l'extrême droite.) "

                   2. D'après Christophe Barbier sur BFM TV, l'abandon des harkis est une tache sur l'histoire du gaullisme, et, dit encore le journaliste à l'écharpe écarlate, tous ceux qui se revendiquent du gaullisme portent cette tache.
                   Nous, nous permettons d'ajouter que cette tache de l'abandon est indélébile, et que, lorsqu'une tache est indélébile, on jette le produit. Jetons donc le gaullisme au plus vite, son remplaçant est tout trouvé : LE BIDAULTISME.

                   Georges Bidault (1899-1983), chef de la Résistance à l'Occupation nazie, puis chef d'une nouvelle Résistance pour lutter contre l'abandon, par le gaullisme, des Harkis et des Pieds-Noirs livrés à leurs assassins du FLN.

                   Réaction de Georges Bidault aux accords d'Evian, le 21 mars 1962 - un texte qui doit entrer dans l'Histoire, et où il est justement question de " pardon " :
                   " J'ai fait effort pour parler, avec une modération dont je me reproche l'excès, d'une abdication qui n'est pas humainement pardonnable, écrit l'ancien chef du CNR. Quinze départements livrés d'un seul coup. Des garanties qui n'existent pas. Une " fumisterie " sinistre. L'abaissement des consciences et la mutilation de la patrie. Cette prodition, ce reniement, la miséricorde divine, qui sait ce qu'il y a de faiblesse au sein de l'orgueil peut seule faire au jour du jugement ce que la nation même unanime est hors d'état d'accomplir : pardonner.
                   Nous sommes à l'heure H. C'est vrai. L'heure de la honte. L'heure du reniement. L'heure de la trahison.
                   A celui et à ceux qui ont accompli cet acte impardonnable sur terre, il faut appliquer, même sans user du fer rouge, mais pour perpétuelle mémoire, le verdict énoncé par de Gaulle il y a vingt ans : " Malheur à ceux qui ont joué la défaite ! IL VAUDRAIT MIEUX POUR EUX QU'ILS NE FUSSENT JAMAIS NES. " "

                   A BAS LE GAULLISME, VIVE LE BIDAULTISME.

                   3. Le Président Macron vient de demander pardon aux harkis au nom de la France. Mais de qui se réclame-t-il politiquement ? Du général de Gaulle et de Pierre Mendès-France, deux leaders politiques qui ont soit directement organisé, soit applaudi à l'abandon des harkis, c'est-à-dire au 19 mars 1962. Où est la cohérence ? Car M. Macron semble ignorer l'existence d'un homme d'Etat qui, à l'époque, a résisté de toutes ses forces au gaullisme et au mendésisme décadents, et donc à l'abandon des harkis. Il s'agit de l'ancien chef du Conseil National de la Résistance, Georges Bidault (1899-1983).

                   Un homme ayant tout prévu de l'avenir de la France qui suivra les accords d'Evian, y compris le geste que vient d'accomplir M. Macron comme le montre cet écrit de 1965 :
                   " Pas d'autre secours que de ne pas savoir, écrivait, en exil au Brésil, Georges Bidault. Du temps d'Hitler, on ne parlait pas de fours crématoires et du génocide des juifs. Du temps de Staline, on ne parlait pas des camps de concentration et des purges massives. De notre temps, du temps de qui vous savez, on ne parle pas des harkis. Dans chaque cas de responsabilités intolérables, il n'y a, pour ceux qui en portent le poids et pour ceux qui s'y sont associés, pas d'autre refuge que de se taire. Plus tard, quand la vérité finira par éclater malgré tous les efforts coalisés, on sait d'avance ce qui sera dit. C'est toujours la même excuse que donnent les lâches, les complices et les coupables, à l'heure de l'échec : Je ne savais pas. Je n'ai pas voulu cela. "

                   Plus loin Georges Bidault concluait : " Je dis avec tranquillité que je ne me suis pas trompé, que ce que j'avais annoncé s'est produit. […] C'est pour ne pas partager la responsabilité d'événements sans cesse aggravés que j'ai choisi la voie de la résistance. "

                   Alors M. Macron, soyez cohérents ! Choisissez votre camp ! Allez jusqu'au bout de votre logique ! Le 19 mars prochain, ne fêtez pas les accords d'Evian rouges du sang des Français d'Algérie européens et musulmans livrés à l'ennemi, mais plutôt Georges Bidault et les hommes de la résistance à l'abandon !

                   BACHAGA BOUALAM

                   Le Bachaga Boualam est comme un Alsacien de la rive Sud. Les Alsaciens sont des Français de culture germanique ayant préféré la France au pangermanisme. Le Bachaga Boualam fut un Français de culture arabe, qui préféra la France au panarabisme et au panislamisme.

                   1. Voici son témoignage sur l'Algérie indépendante, avertissement toujours actuel donné aux tenants d'une prétendue " fatalité " de l'Histoire :
                   " Il a suffi de quelques mois pour faire de toutes ces villes d'Algérie, blanches, riantes, exubérantes, des villes crasseuses, silencieuses, éteintes où les you-you des jours de fièvre montrent un peu plus l'accablement qui s'est abattu sur une population triste que la France avait réussi à animer, écrit, en 1964, le Bachaga Boualam.

                   Qui ne se souvient de ces petites villes semblables à nos sous-préfectures où le soir des travailleurs venaient aux terrasses des cafés goûter la fraîcheur, la joie de palabrer devant un thé à la menthe ; de ces squares où sur les bancs les vieux devisaient du fils qui travaille en France, de la fille, infirmière à Mustapha, de l'autre en place chez des Européens ? Est-ce possible, ces villes les plus vivantes d'Afrique, ramassées dans ce silence ? ces villages déserts ?

                   Et Alger ? son port sans phare, sans paquebot, sans trafic, enfoncée dans sa solitude comme dans un tombeau. Finis le grondement des camions - il y avait à Alger plus de camions qu'à Marseille, Alger cette Marseille mieux réussie - la chanson haletante des docks, le grincement des grues chargeant et déchargeant journellement les quarante-cinq cargos qui assuraient la liaison Alger-Marseille, la vie bruyante de la gare maritime qui enregistrait le trafic de quinze paquebots. Et sur cette fourmilière, la vie d'Alger avec sa débauche de néon, de petites lampes multicolores perçant de mille feux les collines. Et à nouveau, l'aube se levait sur les bruits de la grande cité, découvrait un ciel bleu sillonné de Caravelles, de DC 6, de DC 4 et de petits appareils qui transportaient, du Sud au Nord, de l'Est à l'Ouest, le courrier, le ravitaillement, et des milliers de Musulmans familiarisés avec ces grands oiseaux. Le long de la plus belle baie du monde, des immeubles de cinq étages, semblables à ceux de la Promenade des Anglais, déversaient sur Alger, des industriels, des fonctionnaires, des travailleurs français et musulmans qui, chaque matin, remettaient en route la vie de la cité. Les autobus, les trains, conduisaient à leur travail ces populations qui vivaient sans problèmes de religions, de races. C'était cela l'Algérie française, un tumulte créateur, mais aussi une paix à laquelle de plus en plus de Musulmans prenaient part dans l'égalité et le progrès, dans ces universités, ces écoles, ces lycées, ces centres de perfectionnement, d'apprentissage qui fournissaient les cadres que l'Algérie absorbait avidement dans l'essor prodigieux de son économie, véritable promotion musulmane.

                   L'Algérie française, ce n'était pas du progressisme doctrinal mais un progrès réel, quotidien, que ne pouvaient ou ne voulaient pas comprendre les théoriciens de la décolonisation. L'avis d'un Alfred Sauvy sur la question est tristement édifiant, atroce pour ceux qui ont connu et aiment l'Algérie. Il écrit, le 12 mars 1964 :
                   " […] Que les accords d'Evian n'aient pas été intégralement respectés n'est que trop vrai, que la suite des événements ait été DECEVANTE est plus évident encore. Et cependant, aucune autre voie ne pouvait et ne peut être suivie. "
                   Avec cette prétendue fatalité de l'Histoire qui consiste à s'effacer devant un progressisme qui n'est que du communisme camouflé, et à s'effacer partout, M. Sauvy et ses semblables ne comprennent-ils pas qu'il n'y aura bientôt plus d'Histoire. Il suffit de jeter un coup d'œil sur l'Algérie sans la France pour s'en persuader. Quelques mois seulement séparent l'Algérie française, prospère, vivante, de l'Algérie algérienne, affamée et en pleine anarchie, mais ils ont suffi à la vider de sa substance vitale ". (L'Algérie sans la France, p. 187-189)

                   2. Dans ses nombreux écrits le Bachaga Boualam a souvent insisté sur les inégalités qui existaient en Algérie Française au détriment des musulmans, ce qui rend d'autant plus précieux les passages où il loue l'œuvre de la France et des Pieds-Noirs. Il écrit, toujours dans L'Algérie sans la France (1964) :
                   " La " colonisation " n'a pas eu pour effet de dépouiller les Musulmans, mais de défricher les terres et de doter 70.000 propriétaires musulmans de 7 millions d'hectares de terre, contre 2.700.000 hectares aux Européens. Le " paysannat " faisait l'objet de réformes constantes par la multiplication des secteurs d'amélioration rurale dont la gestion était, petit à petit, confiée à des Musulmans. Dotées de moyens techniques considérables, les cultures se développaient à un rythme qui était de loin le plus important des pays arabes avec l'aide des Crédits Agricoles et Mutuelles Paysannes.

                   C'est cet " embourgeoisement " des douars qui inquiétait les fanatiques de l'Islam, effrayés de cette " déclochardisation " qui leur enlevait une clientèle naïve. On vit ainsi les badissas (partisans du cheik Ben Badis) curieusement liés au socialisme algérien, né dans les usines françaises et les cercles libéraux de la bourgeoisie de Sétif.
                   En matière de réforme agraire, la France s'était résolument engagée vers une véritable révolution à laquelle les colons apportaient leurs extraordinaires qualités de pionniers et de défricheurs. Les terres d'Afrique sont pauvres et exigent de gros moyens mécaniques et une spécialisation très poussée. Le Sersou était devenu un véritable Texas où des batteries de tracteurs œuvraient toute la nuit à la lumière des projecteurs. Cette collectivisation associait les Musulmans qui vivaient beaucoup mieux dans ces domaines que dans des lopins de terre insuffisants et les fils de cultivateurs musulmans le comprenaient déjà puisque, d'eux-mêmes, ils venaient à la ville s'éduquer dans les écoles d'agriculture. "
                   M. Macron vient de rendre hommage aux Harkis. Qu'il aille donc jusqu'au bout de son geste et lise les écrits de leur plus grand porte-parole. Cela le fera peut-être réfléchir sur sa vision de la colonisation française comme " crime contre l'Humanité " !
                   Nous voyons aussi dans ce texte du Bachaga Boualam que ce dernier déplore déjà, avec un demi-siècle d'avance, ce que beaucoup n'hésitent plus à nommer " l'islamo-gauchisme ", puisqu'il est question du rapprochement opéré depuis les années 1920 entre ceux que ce pieux musulman appelle " les fanatiques de l'Islam ", et les mouvements communistes et prétendument " libéraux " d'Algérie.

                   BRAVO A ALEXANDRE DEL VALLE

                   Alexandre Del Valle, encore un soustel-bidaultien (c'est-à-dire un héritier politique de Jacques Soustelle et Georges Bidault) qui s'ignore. Nous n'avions jamais entendu ce brillant géopolitologue fils de Pieds-Noirs s'exprimer sérieusement sur la question des Harkis, des Pieds-Noirs, des accords d'Evian et de la responsabilité du gaullisme.
                   Il faut dire qu'il a toujours été discret sur le sujet ce que nous avons souvent regretté. Mais aujourd'hui Alexandre Del Valle prend une position courageuse. Extrait :
                   " Bien qu'ayant gagné militairement la guerre, la France de De Gaulle, qui signa les accords d'Évian du 19 mars 1962 (mettant fin à la guerre et reconnaissant l'indépendance de l'Algérie), reconnut le caractère raciste exclusivement arabo-musulman de l'Algérie, ainsi vidée de ses Harkis, de ses Sépharades et de ses Européens. Cette purification ethno-religieuse imposée par le FLN en échange de l'exploitation du pétrole pendant dix ans par la France a toujours été ignoré par la gauche anticoloniale, dont l'antiracisme est à géométrie variable. Les accords d'Évian permirent ainsi à la France gaulliste de livrer désarmés les Harkis aux sanguinaires fellagas… [...]
                   Certes, on peut reprocher en revanche au président Macron de ne pas aller au bout de la démarche : quid des milliers de rapatriés disparus, assassinés par le FLN ; des mitraillages de Pieds-noirs (drames de la rue d'Isly et d'Oran) par l'armée française ou par le FLN devant des policiers français passifs, ou des cimetières français, chrétiens et juifs, saccagés en Algérie ? On pourrait aussi demander des comptes au régime algérien sur la question migratoire et sa diffusion de la haine anti-Français au sein des descendants d'immigrés maghrébins. Surtout, on peut reprocher à Emmanuel Macron de mêler confusément repentance xénophile et réparation patriotique, de décerner tantôt une médaille tricolore aux "martyrs" du FLN, ennemis jurés de la France, tantôt de demander pardon et d'offrir des " réparations " aux Harkis. Un président qui parle de " crimes contre l'Humanité " commis par son pays en Algérie, mais qui n'exige pas en retour que les nationalistes algériens demandent pardon pour les massacres de Harkis et de Pieds-noirs, ou même pour les pirateries barbaresques qui, avant la colonisation française de 1830, faisaient de l'Algérie une base de prédateurs-razzieurs qui agressaient systématiquement l'Europe et capturaient des esclaves chrétiens.

                   Peut-on vraiment honorer les moujahidines du FLN au même plan que ceux qu'ils ont massacrés ? Ce relativisme fou pourrait à la limite se comprendre s'il émanait d'un acteur extérieur non-Français, mais pas de la part de dirigeants dont la mission est de servir les intérêts de la France et donc sa mémoire et sa fierté nationale. On nous rétorquera qu'il faut " réconcilier les Français " et que ce relativisme aide à " refaire nation ". Mais comment intégrer les enfants d'étrangers si on leur explique que la France a commis des " crimes contre l'Humanité ", contre leurs parents ? Cette propension à diaboliser la France et à chérir la mémoire de ceux qui l'ont combattue va dans le sens de ceux qui prônent la haine anti-Blancs, francophobe, anti-occidentale et antijuifs, tels les lobbies racialistes comme Indigènes de la République, les "Traoristes" ou autre Ligue de défense noire africaine, dont un représentant a insulté récemment les Harkis dans l'émission de Cyril Hanouna. [...]
                   Le patriotisme de ces Harkis d'hier et d'aujourd'hui, les a fait bien plus détester qu'aimer par les élites marxistes et mitterrandiennes, celles-là mêmes qui ont célébré le droit des minorités arabo-musulmanes à leur identité en France, mais diabolisant les Français qui défendent la leur en les soumettant en permanence à la "reductio ad hitlerum" et à l'accusation de "xénophobie-racisme-islamophobie". Harkis, Pieds-noirs et Français fils d'immigrés choisissant de s'assimiler en font les frais chaque jour. À la fin du compte, c'est la France et ses élites "progressistes" méprisées comme idiots utiles par les islamistes et les indigénistes, qui en paieront la note finale par le chaos de la libanisation, lui-même lit de la guerre civile… "
                   Pour lire le texte en entier : https://www.alexandredelvalle.com/single-post/ del-valle-l-abandon-des-harkis-p%C3%A9ch%C3%A9-originel- de-la-ve-r%C3%A9publique?fbclid=IwAR3vIrwi8yUpm2fTAbu RVmmDNeD7DEub9E7h78nJk0Cvy3JN-t4rjTVqjq8
Marius Piedineri, 28 septembre 2021


PHOTOS DE BÔNE
Envoi de Pierre Latkowski 2012
VUE DES CAZARINS


VUE GENERALE 1925




VUE DU QUAI 1925



VUE SUR LA COUR DU FORT CIGOGNE 1933





AVANT PORT



JETEE NORD





La femme arabe.
Envoi de M. Christian Graille

               Michelet, dans une de ses poétiques leçons faites au Collège de France disait un jour : " Mahomet, lorsqu'il élabora la constitution sociale des orientaux fut très embarrassé, il ne sut que faire de la femme ! "
               Il est constant :
               - que la femme est l'objet de toutes les préoccupations de l'Arabe,
               - de toutes ses convoitises et
               - la source de tous ses embarras.
               L'état social de la femme arabe ne peut en rien être comparé à celui des femmes européennes.

               Lorsque l'on étudie attentivement les mœurs et les coutumes des indigènes, on parvient à établir des points de comparaison entre eux et les différents peuples mais il est impossible d'en établir entre la destinée de cet être paria, que l'homme n'estime qu'en vue des jouissances matérielles et dont il ne protège ni les intérêts ni la vieillesse.

               Un magistrat s'écriait dans un procès scandaleux qui s'était dénoué devant la cour d'Alger : " Le mariage arabe n'est qu'une prostitution ! "
               Cette crudité oratoire dit tout.
               La polygamie est la loi de reproduction des peuples d'Orient.
               Mahomet autorise un nombre limité de femmes dites légitimes, mais il est si peu exigeant dans ses restrictions que le musulman peut facilement éluder la loi et satisfaire tous ses caprices.

               Il a pour lui, le divorce dont il use avec une facilité extrême.
               Il existe sur les coutumes orientales des idées tellement erronées qu'il n'est pas hors de propos de tracer un rapide tableau de l'existence de la femme et de montrer qu'elle est la part misérable qui lui a été faite dans cette société bizarre.
               On a si souvent représenté les arabes comme des êtres jaloux à l'excès et soucieux avant tout de leur bonheur intime et de leur dignité de maris, qu'on ne saurait trop détruire ces préjugés et ces mensonges.
               La jeune fille indigène comprend, dès sa plus tendre jeunesse, qu'elle est vouée au gynécée (appartement réservé aux femmes).

               La possibilité du célibat ne lui apparaît sous aucune forme, ni à la suite d'un acte de volonté, ni par le fait de convenances ou de combinaisons sociales.
               Son existence matérielle n'étant point garantie par la loi de succession, elle n'est pas libre de disposer d'elle-même, ni de son avenir.
               - Elle n'a qu'une seule chance, la beauté,
               - qu'un seul culte, la maternité !
               Il n'existe dans l'enfance, aucune différence entre la vie des petits garçons et celle des petites filles. Dans le douar on voit courir tous ces petits démons à peine vêtus, dans les touffes d'alfa et de palmier nain.

               Dès que la jeune fille atteint la puberté, dès qu'elle est nubile, elle est séparée de ses frères et elle prend place à côté des femmes dans la partie réservée de la tente ; elle est dès lors obligée de voiler son visage et de fuir la curiosité des hommes. C'est l'instant critique de sa vie car c'est le moment où le père peut la vendre.
               Dans la tribu le prix d'une jeune fille ne dépasse guère cent cinquante à deux cents francs, sans compter quelques petits cadeaux que le futur joint à ses douros.
               Le mérite de la jeune fille consiste à savoir préparer le couscous et à savoir tisser les burnous et les haïks.
               Dès qu'un Arabe sait qu'il y a quelque part, sous une tente, une jeune fille qui possède des qualités, il observe de loin la démarche et l'attitude de celle qu'il convoite.

               Quelques signes imperceptibles pour le commun des observateurs, mais compréhensibles pour lui :
               - Une fleur posée dans les replis du haïk ou semée sur la route du soupirant,
               - un léger dérangement dans les plis du voile qui couvre le visage
               - lui font comprendre qu'il est agréé et que sa présence n'est pas importune.

               Le père n'est point trop exigeant et ne résiste guère à l'appât de quelques douros.
               Sa sollicitude est bien plus personnelle que tournée vers l'intérêt de sa fille.
               C'est une marchandise qu'il livre au plus offrant et il ne connaît point la résistance, une fois le marché conclus : La fille doit obéir à ses ordres et suivre sans discussion l'homme qui l'a achetée.
               Nous avons pu étudier de près la famille arabe dans ce qu'elle a de plus intime.
               Notre profession nous a permis de recueillir des observations et d'établir des statistiques qui ne sont inutiles ni au point de vue scientifique, ni au point de vue de l'étude comparée des races.

               La jeune fille arabe est mariée, presque toujours, dans les premiers mois qui suivent la première menstruation.
               Elle est fiancée bien souvent avant cette apparition mais elle ne se sépare de sa famille, pour suivre son mari sous la tente, qu'après l'établissement de la puberté.
               Il résulte de nos observations personnelles que, dans la tribu où les conditions hygiéniques sont déplorables, la jeune fille n'arrive à l'âge de puberté qu'après :
               - la quinzième année,
               - souvent vers dix-huit,
               - quelquefois même après vingt ans.
               Son corps est moins bien développé que celui des filles qui vivent dans les villages et surtout, beaucoup moins que celui des jeunes Mauresques qui vivent dans les villes. La menstruation est donc en raison des soins hygiéniques, et non en raison de la latitude ou du climat.
               C'est une loi observée en Europe où la menstruation est plus tardive dans les campagnes que dans les villes.

               L'existence misérable de la femme dans son enfance est suivie d'une existence plus misérable encore dans sa jeunesse ; aussi la beauté réelle de la jeune fille indigène n'est-elle qu'éphémère et, si on la constate, c'est à travers les signes d'une décrépitude précoce.
               - Les traits sont fins et distingués,
               - les yeux admirables,
               - la chevelure noire et abondante,
               - le corps est plein de souplesse,
               - les attaches articulaires sont fines et déliées,
               - la démarche pleine de grâce.

               Si fugitif que soit le moment qui suit et accompagne la puberté, il est facile de le saisir lorsqu'on fréquente les Arabes sous la tente, et on comprend que cette jeune fille pleine d'attraits et de charmes devienne l'objet d'une convoitise qu'explique d'ailleurs le tempérament fougueux des indigènes.
               L'enfance, sans restriction est bercée de rêves d'amour et la communauté d'existence ne tend nullement à affaiblir des tendances que le climat surexcite.
               La jeune fille arrive donc à l'âge de sa transformation avec une pleine connaissance de sa destinée.
               Elle ne raisonne pas avec ses intentions, elle s'y abandonne toute entière.
               Faut-il ajouter que, vivant dans un milieu dissolu, et n'ayant pour frein ni la morale, ni le sentiment de sa dignité elle est le plus souvent préparée, par le libertinage, à un mariage qui n'est que la consécration de son éducation lascive.
               Triste état social où la mère de famille n'est point initiée graduellement aux grands devoirs qui lui incombent, où la malheureuse jeune fille sait d'avance que son règne durera juste autant que sa beauté éphémère !

               Quel rôle joue la nouvelle épouse ! Elle vient prendre sous la tente la place d'une rivale qui, hier, avait un empire égal au sien dans le cœur du mari, et qui, sous ses yeux, est reléguée avec ses enfants au second rang.
               Elle allume des colères des jalousies qui ne s'éteignent que lorsqu'une troisième concubine vient à son tour, lui signifier l'arrêt d'indifférence et d'abandon du maître. Si elle est mère et que son sein soit fécond, elle a quelques chances de durée, mais si elle est stérile, le divorce est là qui l'attend.
               L'Arabe capricieux, n'écoute ni la voix de la raison qui lui dit que ses ressources sont très limitées et que le Prophète lui a recommandé de ne prendre que le nombre d'épouses qu'il pourra nourrir.
               Il ramasse des douros pour se procurer de nouvelles et incessantes satisfactions.
               Il ne connaît point les scrupules de la conscience, il n'écoute que sa passion et sa mobilité a quelque chose de celle de la bête fauve.

               La femme aimée est l'objet de ses attentions les plus délicates. C'est pour elle qu'il achète :
               - les belles ceintures brodées,
               - les beaux foulards d'Alger,
               - les verroteries et
               - les bracelets d'or.

               Pour elle qu'il se procure des haïks de soie et de laine, du Maroc ou de Tunis. La femme délaissée :
               
               - prépare les aliments,
               - tisse des burnous,
               - va laver les toisons,
               - va à la fontaine chercher de l'eau qu'elle porte dans des outres sur son dos,
               - elle tourne la meule pour moudre le grain.
               - Elle est la bête de somme de la vie intérieure.

               Le mariage arabe est un engrenage sans fin, qui prend la jeune créature à la société pour la transformer en être décrépit et informe qui périt, sans protection, dans l'abandon et la misère.
               Tandis que, dans les sociétés où la femme est entourée de respect et de soins, la beauté atteint tout son éclat vers l'âge de trente ans, dans la société arabe, cet âge est déjà celui du déclin : la vieillesse est précoce pour la femme indigène.
               La jalousie du mari se concentre que celle qui plus jeune et plus attrayante possède son imagination.
               Sa sollicitude ne va pas au-delà de la satisfaction de ses désirs.
               C'est un préjugé, généralement répandu, de croire que les Arabes cachent leurs femmes à tous les regards.

               Dans la Kabylie, les femmes vont partout à visage découvert ; plus on s'enfonce dans le Sud, moins on trouve de visages voilés.
               Enfin, faut-il le dire, dans les environs de Laghouat, chez les Oulad-Naïls, la prostitution est la première étape du mariage, les femmes se livrent au premier venu et lorsqu'elles ont ramassé assez de bijoux et de douros, elles trouvent facilement à de marier avec des chefs de tente, même avec de grands chefs.
               Au fond du mariage arabe il y a une spéculation constante.
               Le père écoute toutes les propositions qui lui sont faites ; il pèse les arguments et ne livre sa fille qu'au plus offrant.
               Le commandant Richard a si bien décrit toutes ces turpitudes, que nous ne saurions ambitionner le degré de perfection qu'il a su atteindre ; il a mis dans cette tâche tout l'esprit de Rabelais et toute la finesse de Beaumarchais.

               Le mari, circonvenu par des commères, connaît d'avance les talents de sa future, il sait :
               - qu'elle prépare à merveille le couscous,
               - qu'elle sait tisser les haïks ;
               - il sait : si sa tenue est décente,
               - si son caractère est enjoué.
               Il calcule ce que lui rapportera son union et l'utilité de sa nouvelle ménagère et il ne risque son argent qu'à bon escient.

               La coutume kabyle à la différence de la loi romaine et de la loi musulmane, n'admet point l'existence légale du concubinat et les mœurs ne tolèrent même aucune relation sexuelle en dehors du mariage.
               Cette sévérité de la morale publique n'est malheureusement point fondée sur le respect de la femme : la position de celle-ci, dans la société kabyle est effacée et infime.
               Le mariage, pour ces rudes populations, n'est ni l'union intime de deux êtres dont l'individualité se confond dans une communauté d'affections, ni une société dans laquelle chacun a des droits en harmonie avec ses devoirs : achetée, livrée, sans que, le plus souvent, sa volonté intervienne, la femme kabyle n'a pour ainsi dire pas de personnalité légale : c'est une chose humaine.
               Il faut, à l'égard du rôle de la femme en Kabylie, se dépouiller des erreurs qu'on propagées les brillants paradoxes d'éminents écrivains.
               Si la coutume accorde quelques droits à la mère, elle n'assure à la femme qu'une impuissante protection et ne lui laisse de ressources contre l'oppression maritale que la fuite et l'insurrection.

               La dot qui, dans le Coran, est une condition essentielle du mariage musulman la dot, dont le droit romain avait fait une institution politique, le morgenbad (mariage d'un personnage de haute lignée avec une personne de moindre rang) de la tribu germanique, n'existe point en réalité dans la société kabyle.
               - Le père, à défaut du père,
               - le frère,
               - l'oncle,
               - un agnat (aceb) quelconque, vend la jeune fille.
               Les lois de l'humanité et de la pudeur ne sont même pas respectées dans le marché. La coutume ne fixe aucun âge légal pour la consommation du mariage, et le père a le droit de livrer aux caresses de l'acheteur son enfant impubère.

               Chez les Maures la polygamie n'existe qu'à l'état d'exception, la mère est plus respectée, le lien matrimonial plus étroit et plus sacré ; à mesure que le chef de famille comprend mieux les devoirs de la paternité, on voit l'existence de la femme entourée de plus de délicatesse. Le Maure présente dans sa démarche :
               - une dignité et une gravité peu communes,
               - son visage est distingué,
               - ses traits sont fins.
               Il y a dans toute sa personne une noblesse incontestable.

               La femme mauresque de pure race est admirable, elle a des raffinements de gracieuseté qui la placent de beaucoup au-dessus de la femme de la tribu.
               Elle connaît les secrets intimes de la vie, orientale, non pas seulement le secret de séduire, mais celui, bien plus grand, de fixer ; aussi le mari est-il très réellement un type de jalousie et aussi … de fidélité.
               Il n'y a qu'un seul motif qui puisse le détacher de sa première épouse, c'est la stérilité. La femme sait que la famille est le véritable but du mariage se résigne et supporte la présence d'une rivale féconde.

               Le costume des femmes arabes est d'une simplicité extrême et se résume en :
               - quelques pièces de cotonnade,
               - des haïks et
               - des burnous tissés de leurs mains ;
               - parfois une ceinture en soie et
               - quelques veste brodées achetées aux Juifs et dont elles n'ont même pas l'étrenne.
               Les femmes mauresques ont des costumes très riches, des vestes brodées sur velours, qui coûtent des prix fabuleux et qui représentent quelquefois le travail lent et minutieux de plusieurs mois.

               Si on examine avec attention le costume de la Mauresque et ses allures, on retrouve en elle la tradition grecque dans toute sa pureté, l'attitude énervée de la petite fille d'Aspasie (470-400 avant Jésus-Christ ; compagne de Périclès), les mêmes préoccupations pour plaire et, chose étrange, tous les détails de toilette intime dont faisaient usage les courtisanes d'Athènes.
               Il n'y a de musulman dans cette société que l'homme.

               La femme, à cause peut-être de l'oubli dont elle a été l'objet, est restée païenne.
               Elle aime sans restriction et sans arrière-pensée, elle est courtisane par les sens, tandis que les femmes européennes le sont par intérêt.
               Elle se moque du vieux Critidès qui l'enferme derrière les barreaux d'une prison, et lorsqu'elle laisse tomber un œillet ou un bouquet de jasmin sur le passage de l'amant qu'elle convoite, elle y joint toute sa pensée et toute son âme.
               Elle aime, sans effronterie et se livre sans réticence tant elle a la conscience de sa fragilité et la prescience de sa triste vieillesse.

               Quand on ouvre le dictionnaire des antiquités romaines et grecques de Rich on est tout stupéfait d'y retrouver les détails de la vie intime des femmes indigènes, comme si, après vingt siècles, on ouvrait une page fermée la veille au moment du sommeil. Il n'est pas inutile de reproduire un passage d'un livre publié par un historien qui vivait quatre siècles avant l'ère chrétienne, et dont les ouvrages sont perdus.
               Il fait une peinture du roi de Perse dans l'Egypte : " Y a-t-il une ville, écrivait Théopompus (historien, orateur, homme politique grec) et une nation dans l'Asie qui 'ait envoyé des ambassadeurs au roi ?

               Y a-t-il rien de beau et de précieux qui croisse ou qui se fabrique en ces pays, dont on ne lui ait fait des présents.
               - Combien de tapis et de vestes magnifiques, les unes rouges, les autres blanches et les autres historiées de couleurs !
               Combien de tentes dorées et garnies de toutes les choses nécessaires pour la vie !
               - Combien de robes et de lits somptueux !
               - Combien de vases d'or et d'argent enrichis de pierres précieuses ou artistiquement travaillées !
               Ajoutez à cela :
               - un nombre infini d'armes étrangères et à la grecque,
               - une foule incroyable de bêtes,
               - de voitures et
               - d'animaux destinés pour les sacrifices … etc. "

               Ne dirait-on pas qu'on se retrouve en présence des tribus arabes, allant porter leur tribut à l'un des conquérants modernes et ne retrouve-t-on pas là le catalogue des présents que les indigènes peuvent offrir ?
               Le luxe asiatique a été transmis par les invasions en Egypte, puis de là dans la Lybie et enfin par les conquérants arabes jusqu'au Maroc.
               Dans les coutumes, dans les usages qui concernent la femme, on ne trouve aucune modification importante, et les modernes courtisanes d'Alger ne sont que de pâles copies de celles d'Athènes.

               La disposition du costume est encore la même :
               - Le haïk est relevé sur l'épaule et attaché par une agrafe triangulaire en or ou en argent, dont le dessin est grec,
               - le large pantalon flottant qui s'attache au-dessus de la cheville est grec,
               - le gilet à boutons brillants qui sert de corsage se retrouve, ainsi que la veste brodée d'or ou d'argent chez la jeune fille grecque moderne,
               - L'arrangement de la coiffure est encore la coiffure grecque,
               - L'usage des colliers et du diadème remonte à la plus haute antiquité grecque,
               - Il n'est pas jusqu'aux parfums et aux teintures dont elles font usage qui n'ait également cette origine.

               Les dames romaines avaient hérité de tous les costumes mais elles avaient sensiblement modifié la tradition, sans doute à cause du climat.
               Les femmes arabes n'en ont retranché que les parties luxueuses que leur existence nomade ne permettait pas de conserver et qui sont restées l'apanage des Mauresques.
               Ce n'est pas sans raison que nous avons insisté sur cette question grave de la tradition.
               Nous la retrouverons dans les détails intimes de la vie arabe, dans ce qui se passe au bain maure notamment, qui est resté comme un centre d'attraction pour les femmes et où elles se livrent à des pratiques qui n'ont rien de la domination romaine, mais qui ont conservé tout le cachet de l'éducation grecque.

               La noire dont nous n'avons point encore tracé la physiologie et qui joue un si grand rôle près de la femme arabe, dont elle est la servante dévouée, souvent la rivale, a conservé un costume qui remonte à la plus haute antiquité.
               Les caravanes indigènes qui font le commerce d'échange avec le Gouraya et qui vont dans le Bornou (province du Nord du Tchad) et dans le Soudan porter les cotonnades françaises ou anglaises ramènent de très belles noires qu'elles cèdent à des prix d'agent aux Mozabites ou aux chefs de tentes du Sud.
               Quoique libres sur le sol français, elles ne comprennent pas l'importance de cette liberté leur état misérable les attache au maître que le hasard d'un marché leur a donné ; elles deviennent le plus souvent leurs concubines et restent rivées à la tente par les liens de la maternité.

               L'Arabe paye un léger droit du sang en aumônes ou en fondations et il accorde aux enfants qui naissent de ce croisement un rang égal à celui qu'occupent les enfants légitimes.
               On peut dire que dans les veines des Arabes du Sud, coule un sang de noir et d'ailleurs ils ont presque tous des signes physiques qui ne permettent pas à l'observateur attentif de s'y méprendre.
               Il n'est pas de contrée où l'amour du bijou ne soit plus prononcé que chez les femmes arabes.
               Elles surchargent leurs oreilles dont elles déchirent les cartilages
               - d'anneaux d'or ou d'argent massifs,
               - de brimborions (chose de peu d'importance ou de peu de valeur)
               - de corail grossièrement travaillés,
               - autour du cou elles portent des colliers
               - autour des poignets elles glissent des bracelets en or, minces et multiples,
               - enfin, autour de la cheville elles étalent de lourds anneaux de différents métaux, signe de l'esclavage, transmis de génération en génération, dès la plus haute antiquité.

               Le tatouage est une pratique commune dans toutes les contrées de l'Algérie mais il est infiniment plus répandu en Kabylie que partout ailleurs.
               Les classes élevées n'en font pas usage, les femmes de grande famille ne le sont sur aucun point du corps ; l'absence du tatouage est un signe de distinction et de noblesse de race. Chez les femmes de classe inférieure :
               - le front,
               - les tempes,
               - le menton,
               - le cou,
               - la partie supérieure de la poitrine,
               - les mains et
               - l'avant-bras en sont littéralement couverts.

               Ces signes bizarres empruntés aux coutumes libyennes et égyptiennes donnent à la physionomie un caractère d'énergie et de pureté qu'augmente le maquillage dont les femmes arabes de tous les rangs et de toutes les conditions se servent pour raviver l'éclat de leurs yeux éraillés, ou de leurs joues flétries par le hâle et la débauche :
               - Les cheveux sont teints en noir avec la noix de galle (excroissance tumorale produite sur le chêne quercus pyrenaica par une piqûre d'insecte servant à teindre en noir et à faire de l'encre,
               - les yeux fortement encadrés de raies noires faites avec un crayon d'antimoine,
               - les joues passées au vermillon,
               - les mains plongées dans le henné jusqu'au poignet,
               - les ongles parfaitement noircis et luisants,
               - les pieds, enfin teints également jusqu'à la cheville.

               Toutes les heures de loisirs sont consacrées à ces toilettes intimes qui ont pour but de rehausser l'éclat de la beauté de la femme et qui malheureusement, ne servent qu'à la flétrir.
               Elles emploient pour s'épiler, des pâtes arsenicales qui attaquent le derme de la peau et lui donne un aspect tanné et parcheminé d'une rudesse étrange.
               Une femme de vingt-cinq ans a l'aspect d'une femme de quarante, et, à trente ans, on lui en donnerait facilement cinquante :
               - Les épaules,
               - les bras,
               - le flanc perdent leur modelé,
               - les chairs sont flasques et tombantes, et de quelque soin qu'on les entoure, on ne parvient pas à les ramener à un degré de tonicité qui laisse soupçonner qu'elles furent des types de grâces et d'agilité.

               A peine sorties de la première jeunesse, vivant d'une vie claustrale qui les condamne à un repos constant, elles perdent les formes gracieuses qui en faisaient des modèles pour la statuaire, elles prennent un embonpoint considérable, aussi ont-elles généralement une démarche lente et lourde.
               Pour les Orientaux le plus bel apanage de la femme, c'est l'embonpoint ; à Tunis elle est estimée en raison de son poids.
               Il en est qui ne peuvent plus se mouvoir et qui ont une peine infinie à se rendre jusqu'au bain maure, même en litière.
               Le tempérament qui, dans la jeunesse, était nerveux et sanguin devient par la suite purement lymphatique. Aussi sont-elles d'une mollesse et d'une paresse dont il est impossible de se faire une idée, si on n'a soulevé le voile qui cache de si rapides transformations et une aussi triste décadence.

               Si la maternité est précoce, par contre elle cesse de bonne heure ; vers l'âge de quarante ans, la femme arabe ne compte plus sous la tente que comme ménagère. Elle aime ses enfants avec idolâtrie et jamais elle ne les bat.
               Les enfants éprouvent pour leurs parents une grande tendresse.
               L'allaitement se poursuit longtemps et l'on voit des enfants de quatre à cinq ans venir, après avoir couru dans les broussailles se suspendre au sein de leur mère avec une avidité qui n'est préjudiciable qu'à cette malheureuse qui, mal nourrie et mal abritée ne leur donne qu'une nourriture insuffisante.
               C'est la vie de recluse, combinée à une nourriture féculente qui donne à la femme d'Orient des formes exagérées.

               L'aspect général des chairs est :
               - fade, sans couleur et sans chaleur.

               Elles ont, en un mot, l'apparence de la bouffissure et si elles ne relevaient leur teint à l'aide de crayons d'antimoine et du rouge vermillon, elles offriraient une triste image de la beauté.
               Le sein qui se conserve ferme et beau chez les femmes européennes, même après qu'elles ont nourri plusieurs enfants, est tombant et flétri chez la jeune femme d'Orient.
               Il en est qui peuvent allaiter des enfants en les portant sur leur dos ; ils tètent par-dessous le bras de leur nourrice, tant les mamelles s'allongent sous la pression réitérée des doigts.
               De quelque précaution que l'Arabe entoure son génycée, il n'échappe point à la peine du talion.
               Qui dira les ruses ourdies par les femmes délaissées pour introduire jusque sous la tente, pendant le sommeil du mari, un amant préféré, ou bien pour aller à des rendez-vous périlleux dans les touffes de lentisques ou dans les bois d'oliviers ?
               Et peut-il en être autrement dans une société aussi dissolue ou le premier et le dernier mot sont la passion et le caprice !

               Et quand on pense qu'une pareille société a des protecteurs puissants dans le monde civilisé, que le respect des traditions est le prétexte dont on enveloppe les contradictions, toutes les fois qu'un analyste ose aborder franchement cette question et faire le tableau d'une semblable existence.
               Il serait facile de démontrer, le Coran à la main, que les musulmans ne respectent ni la lettre, ni l'esprit de leur code, que la société constituée par l'islamisme n'est qu'un échafaudage vermoulu qu'ils ont laissé crouler en n'écoutant que l'instinct de leur naturel fantasque ; échafaudage sans solidité, qu'il suffirait d'abattre par une loi d'assimilation pour reconstituer un état social profitable à toute la famille arabe.
               - La femme n'est-elle pas le fondement de toute société civilisée ?
               - N'est-ce point sur elle que repose l'avenir des nations ?
               - Et n'est-ce pas un aveu d'ignorance ou d'impuissance que de laisser croupir la jeune fille et la mère de famille dans des traditions aussi malsaines ?

               Tant qu'on n'aura point porté la cognée sur le vieux tronc pourri des traditions, tant que le Coran restera le code de la famille arabe, aucun progrès réel ne sera accompli en Algérie :
               - Le fils n'hérite que suivant la volonté du père,
               - la propriété restera indivise et la proie du plus habile ou du plus fort,
               - l'amour du sol qui crée la stabilité et relève la moralité dans le cœur du paysan, restera à l'état latent,
               - les grands espaces occupés par la famille pastorale seront incultes,
               - la terre conservera son cachet de non-production.

               Nous avons pris à tâche d'appeler sur le peuple arabe l'émancipation, c'est pour lui la seule branche du salut. Nous lutterons, la démonstration à la main, jusqu'à ce que cette heure arrive, parce que de ce moment datera pour les indigènes une ère de prospérité et de rénovation.
               La théorie du refoulement est fausse : on ne fait pas impunément le vide sans le combler. Le peuple arabe est un peuple producteur qui possède plus de terres qu'il n'en faut à ses besoins et qui n'a qu'à gagner au contact d'une civilisation.
               La théorie du respect des traditions est insensée parce qu'elle est la négation du progrès.

               On ne doit respecter que ce qui est moral et juste.
               La société arabe pêche par la base, c'est-à-dire par l'organisation de famille.
               Il y a entre les droits et les devoirs de l'homme une inégalité choquante qui est une cause d'affaiblissement et de dégradation ; cette société n'offre donc aucun côté qui autorise à perpétuer les vices qui la flétrissent.
               Tant que le rôle de la femme ne sera point modifié légalement, l'Arabe se livrera à tous ses débordements et laissera péricliter sa famille.
               La rénovation de l'Algérie ne commencera que le jour où l'égalité sera proclamée entre les époux, où la loi de transmission de l'héritage sera entourée de toutes les garanties dont elle est entourée en France.

               Nous appelons donc de tous nos vœux ce moment suprême où la femme, dégagée des liens qui la retiennent dans l'esclavage, aura dans cette société son véritable rôle d'épouse et de mère.
               La polygamie, il faut le dire à l'honneur de la race arabe, perd du terrain. Dans la Kabylie elle est rare, par contre le divorce y est assez fréquent.
               Chez les Arabes du Tell, la femme commence à réfléchir et à poser à son mari des conditions.

               Ainsi elle fait enregistrer dans son contrat devant le Cadi :
               - qu'elle ne moudra pas le grain,
               - qu'elle n'ira plus chercher l'eau dans les outres,
               - qu'elle ne portera plus le bois sur son dos.
               - Elle fait même une clause de divorce de l'apparition sous la tente d'une seconde épouse.
               C'est là un rudiment de protestation et d'émancipation dont le législateur devrait comprendre la portée.
               Dans les villes la polygamie devient chaque jour plus rare ; à mesure que les obligations du père augmentent, il écoute moins la voix du caprice.
               Beaucoup de femmes indigènes veulent être mariées civilement et exigent que leur dot soit respectée et transmisse à leurs enfants.
               Si l'Arabe tient à son statut personnel, c'est bien plus par orgueil que par intérêt.
               Tout lui commande de changer de loi ; mais fataliste et imprévoyant, il n'use point d'une initiative qui le sauverait de la ruine qui l'attend.
La saison d'hiver en Algérie par le docteur Amédée Morin, lauréat de l'Institut de l'académie des sciences et de l'académie de médecine, chirurgien à l'hôpital civil d'Alger. Édition 1873.


Conseils hygiéniques aux immigrants.
Envoi de M. Christian Graille

               Il nous est arrivé tous les ans d'avoir à répondre à la question suivante, qui nous était adressée par des immigrants venus de la Métropole, soit pour des raisons de santé, soit pour coloniser.
               A quelles règles de conduite devons-nous obéir et quel régime devons-nous suivre ? Ce sont des esprits timorés ou des hommes sages qui adressent une semblable question à un médecin.
               Il est très naturel de se renseigner sur les précautions qu'il faut prendre pour éviter les écueils de la route qu'on doit parcourir.
               Bien différents sont, en effet, les conseils qu'on peut donner à ceux qui doivent passer les cinq ou six mois d'hiver en Algérie, de ceux qu'on donnera aux colons qui doivent subir les chaleurs de l'été dans les campagnes.

               L'hiver, si doux qu'on le suppose a ses alternatives et son inconstance de l'état atmosphérique.
               On voit à Alger des Anglaises se promener dans le milieu de la journée avec des toilettes printanières que le soleil splendide qui réchauffe tout semble autoriser, mais qu'on ne saurait autoriser quand on connaît la transition brusque qui s'opère vers la chute du jour.
               Les Arabes sont toujours enveloppés de vêtements de laine, et ils sont à l'abri des influences qui s'exercent sur la circulation et la respiration.
               Il faut bien se pénétrer de cette vérité incontestable qu'ils sont rarement atteints de graves affections pulmonaires et, par suite, admettre que leur costume traditionnel répond aux lois de l'hygiène qui conviennent à la contrée habitée par eux.

               Il n'est pas nécessaire d'adopter le costume des indigènes pour se placer dans des conditions aussi avantageuses que celles dont ils jouissent ; il suffit d'ajouter au costume européen un complément indispensable, c'est l'habitude des vêtements de laine appelés vulgairement " Gilets de flanelle " dont l'usage n'est point assez généralisé en France.
               Nous pourrions citer des contrées montagneuses où un individu n'ose pas avouer qu'il porte ce vêtement hygiénique, et où les fluxions de poitrines graves emportent une grande partie des cultivateurs qui n'ont sur la peau que des chemises de toile grossière.
               En Algérie l'usage de la toile appliquée sur la peau doit être proscrit car elle s'imprègne rapidement de la transpiration et elle enraye la perspiration cutanée, en déterminant sur les organes de la respiration des réactions funestes.

               Notre réponse porte d'abord sur la question capitale du logement :
               - Ne jamais habiter un rez-de-chaussée qui n'ait pas un sous-sol,
               - ne point habiter sous des terrasses qui n'aient point de paries intermédiaires où l'air puisse librement circule,
               - choisir un appartement qui ait au moins quatre mètres d'élévation et cinq ou six mètres de diamètre.
               - En second lieu, adopter l'usage des gilets de flanelle et des chemises de coton.
               - Pendant la nuit il fait avoir la tête couverte et si on se trouvait exposé à subir le rayonnement nocturne, abriter les yeux avec un léger tissu de mousseline comme celui dont se servent les Indigènes pour se couvrir la tête.
               - Ne point se risquer vers le soir sans un vêtement léger et ample pour s'envelopper lorsque la brise apporte vers la terre les vapeurs refroidies de la mer.

               On a beaucoup discuté dans les livres d'hygiène, et nous citerons sur ce point MM. : Marit, Pietra-Santa, Feuillet, Mitchell, Foley, Martin, sur la susceptibilité particulière qu'on éprouve en Algérie à ressentir la moindre fraîcheur et le moindre refroidissement.
               Cette susceptibilité existe bien réellement et elle tient au mode de fonctionnement de la peau dans les pays chauds.
               Il est hors de doute que la respiration a lieu non seulement par les poumons mais aussi par les pores de la peau tout entière.
               Tout le monde connaît l'histoire de cet enfant qui mourut asphyxié parce qu'on l'avait complètement recouvert d'un vernis afin de maintenir des feuilles d'or qu'on lui avait appliquées sur le corps pour lui faire représenter un Dieu de l'Olympe.

               Un individu enfermé dans un vêtement de caoutchouc qui empêcherait le contact de l'air avec la surface cutanée ne tarderait pas à éprouver de graves accidents.
               Dans les pays chauds les pores de la peau se dilatent plus que dans les pays froids, ils sont dans un état de suractivité sécrétoire et respiratoire qu'il faut modérer à l'aide du costume.
               Les Arabes ont un proverbe qu'il est bon de méditer :
               " Il vaut mieux, disent-ils, un coup de sabre qu'un coup de vent ! "
               Les coups de vent sont en effet assez dangereux en Algérie pour justifier les précautions hygiéniques dont les populations indigènes se sont de tout temps entourées.

               Combien de personnes ne se rendent pas compte de la facilité avec laquelle elles contractent des bronchites et des névralgies pendant l'été qui en trouveraient l'explication dans l'action réfrigérante de l'air qui évapore la sueur de leur corps, comme il évapore l'eau qui suinte à travers ces vases poreux où on met rafraîchir l'eau.
               La brise, dans certaines expositions du sol passe avec une vitesse qui donne un pouvoir d'évaporation extraordinaire, et c'est malheureusement dans ces sites de prédilection que les habitants vont chercher la fraîcheur ; ils le font avec une grande insouciance des précautions hygiéniques et la fièvre est le résultat de leur imprudence.

               C'est surtout en Algérie qu'il est vrai de dire " qu'il vaut mieux une porte largement ouverte qu'une porte entre- aillée. "
               Lorsque les praticiens qui ont un peu vieilli dans la colonie se trouvent en présence de ces fièvres éphémères, contractées par suite d'un refroidissement, ils ne tardent pas à les séparer du groupe des fièvres intermittentes paludéennes, quoique, en apparence, elles offrent des caractères similaires.
               Il fut un temps où tout était confondu et où la médication par le sulfate de quinine et les anti-périodiques faisaient ranger sous la même étiquette des affections d'origine et de gravité différentes.
               Les étrangers qui viennent demander l'hospitalité à l'Algérie doivent être prémunis contre la séduction du climat et se garder de croire à des récits le plus souvent exagérés.
               On supporte très bien un froid intense pourvu que l'air soit tranquille et peu agité, et l'on supporte difficilement une fraîcheur humide lorsque les courants atmosphériques sont doués d'une certaine vitesse.
               Toute l'histoire des précautions à prendre est renfermée dans une saine appréciation de cette observation.

               Nous avons dit que l'alimentation était, en Algérie facile et très variée ; c'est qu'en effet à peine les pluies commencent à régénérer la terre que les primeurs viennent remplacer les fruits qui sont partout en grande abondance.
               Les effets d'une alimentation printanière exercent sur l'économie une grande influence et les malades qui viennent de France ne sont pas surpris d'avoir pour de modiques sommes des produits que dans les grands centres de la population on considère comme du fruit défendu et qu'on achète qu'à prix d'or.
               Il s'opère une rénovation par l'excellence même de cette nourriture et ce sont là des avantages qui passent presque inaperçus. MM : Martin, Foley, Bonnafond, ont beaucoup insisté sur la nécessité de modérer les satisfactions de l'appétit et de rester dans les limite d'une grande sobriété.
               C'est principalement sur les boissons que portent leurs observations judicieuses et c'est avec raison que le docteur Bonnafond fait ressortir la détestable influence des liqueurs fortes sur la mortalité observée jusqu'à ce jour en Algérie.

               L'usage du vin tend à se répandre même chez les Indigènes qui se livrent à de rudes travaux ; il est très peu répandu chez les Maures ou chez les Arabes de l'intérieur mais ils s'adonnent volontiers à l'usage de l'absinthe ou de l'eau de vie.
               On se saurait croire quels rapides ravages cette boisson fait dans l'économie et le nombre incalculable d'individus atteints :
               - de débilité précoce,
               - de tremblements nerveux et
               - d'hébétude par suite de cette funeste habitude.

               Les personnes qui vont passer l'hiver dans les pays chauds doivent se garder de se laisser entraîner à l'usage des alcooliques.
               - Les Anglais, les Suédois, les Russes qui, dans leur pays, supportent des doses considérables de cognac ou de vin blanc ne peuvent les supporter en Algérie et sont rapidement atteints d'alcoolisme.

               Les colons font un usage immodéré du champoreau, détestable mélange :
               - de café ou
               - de chicorée,
               - de rhum,
               - d'eau de vie.

               Aussi les voit-on frappés dans leur tonicité générale et abattus par des affections gastriques, ou par un affaiblissement musculaire que la boisson malsaine dont ils font usage détermine ou entretient.
               Quand on descend dans les détails de la vie coloniale, on est bien forcé de signaler les causes d'insuccès et de découragement ; il est rare que le colon sobre ne résiste pas aux influences délétères qui l'entourent, et lorsqu'on veut rétablir la réputation d'une contrée discréditée, il n'est pas inutile de faire ressortir les fautes qui ont été commises par ceux dont l'existence sert de terme de comparaison et de base à la démonstration.

               Les travaux des champs méritent d'être mentionnés dans les causes de mortalité qui a sévi sur la population coloniale.
               Les insolations ont emporté beaucoup de travailleurs, entraînés par le zèle et par l'ambition.
               Il est bon de leur rappeler que, pendant l'été, il ne faut point se risquer au grand soleil sans avoir la tête protégée par des coiffures épaisses et spongieuses qui couvrent la nuque et le visage et qui arrêtent les rayons solaires dont l'action détermine des congestions cérébrales.

               Il ne faut pas non plus que la dépense musculaire soit trop considérable et neutralise l'effet de la nourriture absorbée pour entretenir et reconstituer les forces. Les travaux peuvent être faits depuis l'aube du jour, jusqu'à dix heures et repris vers trois heures jusqu'à la tombée de la nuit.
               Le colon doit dormir après le repas de midi, pendant une heure ou deux, dans un appartement vaste et bien aéré. C'est seulement à cette condition qu'il maintiendra ses forces dans un équilibre complet et qu'il réagira contre les causes de débilitation qu'engendre la chaleur.

               Il est une précaution hygiénique dont les colons ne font point assez usage et dont nous avons constaté le bon effet dans quelques fermes dont les propriétaires intelligents en ont adopté l'habitude.
               Elle consiste à faire sur tout le corps, tous les jours, des affusions fraîches, à l'aide d'une éponge ou à l'aide d'une pomme d'arrosoir adaptée à un tonneau rempli d'eau de puits.
               Cette précaution hygiénique modère les fonctions de la peau et communique au système nerveux une sédation qui conserve les forces physiques.
               Les animaux qui sont soumis à ce régime mangent avec plus d'appétit et conservent, pendant l'été, tout leur embonpoint et toute leur tonicité, quoiqu'ils soient nourris avec du fourrage sec et de l'orge sans addition de fourrage vert.

               Pour les valétudinaires, les précautions hygiéniques n'offrent point la même importance et ils ne sont point astreints à la même sévérité parce qu'ils ne passent en Algérie qu'une partie de l'année pendant laquelle ne règnent point les mêmes causes de débilitation.
               Pendant l'hiver c'est vers le matin et vers la chute du jour que l'équilibre des courants atmosphériques est rompu et que l'impressionnabilité devient plus grande. C'est donc à cet instant qu'il est bon de prendre des précautions pour que les organes de la respiration ne subissent point directement l'influences des courants humides et salins qui se précipitent de la mer vers le continent.
               Ces courants ne sont point froids par eux-mêmes, ils le deviennent par leur vitesse et à cause de la disposition particulière de la peau.
               Il faut éviter les promenades trop matinales parce que la rosée est très abondante sur le sol et les promenades du soir parce que l'air, à une certaine élévation au-dessus du sol, est saturé d'humidité.

               Toutes les précautions que l'on peut recommander aux malades reposent sur l'observation des phénomènes météorologiques quotidiens qui se produisent dans l'atmosphère.
               Il n'est peut-être pas de contrée où l'étude de ces phénomènes soit plus facile et point n'est besoin pour le valétudinaire d'être guidé par des conseils médicaux, alors qu'il peut lui-même se rendre compte des effets produits par l'observation personnelle.
               L'Algérie a été discutée trop longtemps sans que des études suivies aient servi de base aux discussions.
               Plus on invoquera les lumières des sciences physiques mieux on appréciera le climat et sa bienfaisante influence sur la constitution physique de l'homme.
               Si on veut tenir compte de la valeur des races animales que la colonie produit, on trouvera dans les conditions climatériques la raison de la réputation incontestée dont elles jouissent.
La saison d'hiver en Algérie par le docteur Amédée Maurin. Édition 1873.


Goldenbhaum et le pape
Envoyé Par M. Hugues


          Je suis M. Goldenbhaum et je dois absolument rencontrer le pape. - Ah, content de vous connaître, cher Monsieur, depuis le temps que nous recevons vos courriers. Malheureusement l'emploi du temps du Saint Père...
          - S'il vous plaît, s'il vous plaît, juste une minute, c'est très important.
          - Bon ! Demain le Saint Père doit quitter la résidence à 11h. Venez à 10h55."

          Le lendemain dès 8h M. Goldenbhaum est dans la salle d'attente et à 10h55, le Saint Père sort de l'ascenseur.
          "Ah, très Saint Père je suis M. Goldenbhaum.
          - On m'a parlé de vous, cher Monsieur, Que puis-je faire pour vous ?
          - Et bien voilà: je suis restaurateur à Jérusalem. Mon père était restaurateur à Jérusalem, mon grand-père était restaurateur. Mon arrière grand-père était restaurateur. Mon arrière arrière....
          - Bon, ça va, dit le pape ! On ne va pas remonter à Jésus Christ....

          - Eh bien si, justement ! Il y a 13 couverts qui ne nous ont jamais été réglés..."



La médecine
Envoi de M. Christian Graille
Deux aspects de l'œuvre médicale
française en Algérie

               Qu'il me soit permis de dédier cet article à ma mère G. Zevaco-Fischer, et à la mémoire de mon père Jacques Zevaco et de mon grand-père, tous trois pharmaciens à Ménerville (département d'Alger), de mon oncle médecin au Khroubs près de Constantine, de mes arrière-grands-parents et de mes grands-parents instituteurs.
               Les noms des professeurs Wunschendorff, Benhamou, Jahier, Sutter, Lombard, Aboulker, Battendier, Curtillet, Lagrot, Larmande et de tant d'autres ont accompagné l'enfance de ma sœur et la mienne.


               S'il est un domaine dans lequel contester l'œuvre positive de la colonisation relève de la mauvaise foi absolue ou de l'ignorance systématisée, c'est celui de la médecine. Les populations autochtones d'Algérie eurent la chance que ne connurent pas les " Indiens " des Etats-Unis ou du Canada, celle d'être prises en charge par un colonisateur qui s'employa à les nourrir, les guérir, les instruire, les protéger. L'extraordinaire expansion démographique, qui n'avait d'équivalent dans aucun autre pays, fit qu'en 1962 dix millions environ de Musulmans peuplaient l'Algérie, outre le million d'Européens : quatre fois plus que cent ans plus tôt.

               Nul ne niera que, en raison même de cette expansion, des zones montagneuses ou désertiques, il restait encore à faire, et pendant la " guerre " de 1954 à 1962 l'armée contribua à l'œuvre d'instruction et de guérison comme elle l'avait fait dès les premières années de la conquête.

               Lutter contre le paludisme, les épidémies diverses et graves, les maladies oculaires cécitantes, l'œuvre fut menée sans relâche d'abord par l'armée elle-même puis, des grandes villes aux portes du désert, par les civils et les militaires, des laïcs et des religieux, dans les douars, les dispensaires, les hôpitaux, de façon itinérante aussi. A cette tâche et à ce dévouement des médecins, pharmaciens, infirmiers, sages-femmes, auxiliaires médicaux indigènes, participèrent de façon étroite assistantes sociales, instituteurs, instructeurs … La bonne santé d'une population permet une meilleure instruction et la projection dans l'avenir. L'Algérie d'aujourd'hui leur doit beaucoup.
               La revue de notre association l'Algérianiste a publié plusieurs articles sur le sujet. Actuellement sur le site santemaghreb.com l'article rédigé en 2006 par L. Abid, professeur à la Faculté de médecine d'Alger, se réfère à neuf parutions de cette revue.
               Parmi les six films du Gouvernement général de l'Algérie (présentés dans ce recueil) consacrés vers 1950 à la santé, quatre sont bilingues français-arabe. Il s'agissait de renforcer la sensibilisation de la population à la lutte contre le paludisme, contre les maladies oculaires et la cécité (deux films) et la tuberculose. La lutte contre le paludisme.
               Existant à l'état endémique dans les pays au climat chaud et humide, ce fléau qu'est le paludisme avec ses lourdes conséquences sanitaires, sociales, n'est pas encore éradiqué au début du XXIème siècle. Au XVIIIème les voyageurs et diplomates dans la Régence relataient les " fièvres intermittentes " dont souffrait la population, population d'autant plus résignée que l'absence d'hygiène, une alimentation insuffisante, les guerres entre tribus, les faibles connaissances des " médecins locaux " la laissaient démunie face à ces " fièvres des marais ". Il existait quelques hôpitaux, des maisons de soins pour les Turcs, janissaires notamment et, dans les bagnes, des " hôpitaux " fondés, dès le début de la piraterie barbaresque (XVIème siècle) par des religieux pour les captifs européens.

               L'existence des " fièvres palustres " n'était donc pas ignorée. Mais ni le gouvernement français ni le corps expéditionnaire ne se doutaient de la tragédie sanitaire qui allait frapper ces hommes venus d'Europe nullement endurcis contre la terrible endémie. Le débarquement eut lieu au début de l'été, la pire période jusqu'à l'automne. Les pertes furent énormes. En 1841 encore, le général Duvivier écrivait que les cimetières étaient " les seules colonies toujours croissantes que l'Algérie présente. Entre 1831 et 1843, 50.261 militaires français périrent de maladies en Algérie, contre 2.295 au combat. (Pierre Goinard Algérie l'œuvre française ch 13. La médecine. 1984 éd. Robert Laffont)

               La population civile européenne était, elle aussi lourdement frappée : anémies, séquelles, décès, retour en Europe dans les meilleurs cas.
               Jusqu'en 1845 les décès de la population européenne furent plus nombreux que les naissances (mortalité trois fois supérieure à celle de la France (Pierre Goinard opus cité.)

               L'on ignorait la cause de la maladie mais on la liait aux marécages, depuis l'Antiquité, plus exactement aux émanations méphitiques, malsaines, aux miasmes qui s'élevaient des marais et pièces d'eau stagnante. Les mots palustre, paludéen ont pour racine le latin palus, paludis, marécage. En Corse comme en Italie on parlait de " malaria ", malaria signifiant air vicié, insalubre. Le terme paludisme apparut en 1869 et s'imposa peu à peu, les fièvres qu'il provoque étant mieux distinguées des autres types de fièvres.
               Dans son dictionnaire (1863-1872, supplément en 1877) Émile Littré mentionne palustre et paludéen ainsi que impaludation et impaludisme. Les néologismes paludéen (paludien en 1837 d'abord) et paludique sont acceptés par l'Académie en 1878 ; ces adjectifs se rapportent à la fois aux marais et à la maladie qu'ils provoquent. Le terme paludothérapie est créé en 1913, antipaludique et antipaludéen vers 1968, après paludologie et paludologue en 1959.
               Quant au mot italien malaria, il entre dans la langue française en 1821. Sources : Émile Littré Dictionnaire (1877) Dictionnaire historique de la langue française Le Robert (1992)

               Faire disparaître les marécages fut la priorité pour assainir le pays ; tel fut le travail colossal de défrichement et d'assèchement accompli par l'armée et par les colons, où bon nombre laissèrent leur vie, de même lorsqu'il fallut planter des arbres (comme à Boufarik) ou mettre en culture. Cet acharnement admirable a créé la superbe Mitidja.

Comment soigner ces " fièvres palustres " ?

               " L'almanach du laboureur algérien pour l'année 1850 " (cité dans ce recueil) donne des conseils de culture aux nouveaux immigrants européens et à propos des fièvres recommande de prendre " un peu de quinine " dès le premier malaise (" tête lourde, jambes faibles. ") S'y ajoutent les affirmations suivantes : " l'activité chasse la fièvre. " " Le meilleur remède contre la fièvre, c'est l'énergie. " Pourtant l'expérience prouvait que si certains organismes résistaient, d'autres périssaient ou étaient durement affaiblis ; les rechutes étaient fréquentes. La mortalité des nouveau-nés et des enfants était considérable. L'on sut plus tard qu'il fallait distinguer plusieurs sortes de paludisme selon l'agent infectant.

               Après l'incubation silencieuse, la fièvre modérée et continue du début faisait davantage penser à une fièvre typhoïde, d'où des retards dans le diagnostic et le traitement. L'accès palustre en lui-même est bien connu : fièvre tierce ou quarte ou même quotidienne, frissons intenses spectaculaires avec fièvre très élevée, fièvre seule ensuite puis suées abondantes quand elle chute et fatigue extrême.

               Le médecin palpe un foie et une rate souvent hypertrophiés. Mais le pire accès de paludisme est celui provoqué par plasmodium falciparum, car il peut évoluer en " accès pernicieux ", le plus souvent fatal à l'époque. C'est le " neuro-paludisme ", avec troubles de la conscience, coma, convulsions surtout chez l'enfant, et diverses complications.
               Assurément ni la foi ni l'énergie ne pouvaient rien contre un accès pernicieux.
               Si en 1830 on ignorait la cause des " fièvres palustres ", l'on n'était pas complètement désarmé : l'écorce du quinquina était connue depuis 1630 pour avoir quelque effet. Il revint aux pharmaciens Pelletier et Caventou d'isoler en 1820 la quinine de l'écorce de quinquina.
               Pierre Joseph Pelletier (1788-1842), pharmacien français, isola aussi la strychnine. Joseph-Bienaimé Caventou (1795-1877), pharmacien et chimiste français. Ils donnèrent à leur découverte le nom de " quinine ", d'après " quina ", de quinquina.

               L'armée d'abord, la population civile européenne et musulmane, l'humanité entière doivent reconnaissance au jeune médecin major François Maillot, qui découvrit l'action, beaucoup plus efficace que l'écorce de quinquina, des sels de quinine sur le paludisme et en systématisa les prises à haute dose, faisant régresser considérablement la mortalité et les séquelles de la terrible malaria. En effet, il avait pu observer en Corse où il avait été nommé les formes et effets de la maladie. Envoyé en Algérie, il dirigea en 1834 l'hôpital militaire de Bône, où la situation, étant donné l'insalubrité de la région, était catastrophique. Il mit fin à toutes les pratiques qui affaiblissaient les soldats (diète, saignée …) et administra à haute dose le sulfate de quinine, faisant tomber la mortalité de 23% à 5%.

               François-Clément Maillot (1801-1894) fut affecté en Métropole dès la fin de 1835 et connut de nombreuses promotions en tant que professeur, notamment, dans le cadre des hôpitaux militaires. Il reçut de nombreuses distinctions (1861 Croix de Commandeur de la Légion d'Honneur) et en 1888 une pension annuelle de 6.000 francs en récompense nationale pour avoir sauvé " des milliers de soldats ". Son nom fut donné en 1919 au premier hôpital militaire français d'Alger, dit d'abord " hôpital du Dey ", et second hôpital militaire après le Val de Grâce. Un village de Kabylie reçut également son nom.

               Il s'agissait désormais de procurer suffisamment de quinine et d'instruire les populations, en complément des travaux du génie et des colons.
               Deux étapes décisives furent franchies dans la connaissance des causes de l'endémie grâce au jeune médecin militaire Laveran (Alphonse Laveran 1845-1922.), qui travailla sur le sujet de 1878 à 1884 à Constantine : il découvrit en 1880 dans le sang d'un impaludé (L'on dit aussi paludéen ou paludique) le responsable de la maladie, un hématozoaire, le plasmodium, dont il soupçonna en 1884 qu'il est véhiculé par la femelle du moustique anophèle (" nuisible " en grec), ce que démontra le Britannique Ross en 1897.

               Alphonse Laveran reçut le prix Nobel de médecine en 1907. Ajoutons qu'entre 1889 et 1922 furent identifiés quatre plasmodiums humains, le plus redoutable étant, nous l'avons vu, plasmodium falciparum. Le processus était désormais connu : le plasmodium fait éclater les globules rouges, d'où fièvre et anémie. Un moustique piqueur est contaminé lorsqu'il pique l'être humain infecté. D'où l'importance de réduire non seulement moustiques et larves, mais aussi les " réservoirs humains " : soigner tôt et pratiquer la prophylaxie.

               L'ennemi étant identifié, la première campagne de lutte antipaludique, directement contre les moustiques fut dirigée par Edmond Sergent, au début du XXème siècle, le nom des frères Sergent étant attaché à cette lutte à laquelle œuvra l'Institut Pasteur. Le Gouvernement Général de l'Algérie investit dans ce combat sur le terrain auprès des populations pour répandre l'information et développer la prophylaxie. Vers 1950, l'un des films qu'il avait commandés, consacré au paludisme, en français et en arabe, montre, outre les bienfaits de la quinine, l'usage de D D T et les tournées en camions sanitaires dans les régions reculées.

               La lutte anti-larvaire, la propagation des règles d'hygiène et de propreté et des précautions pratiques complétaient l'assèchement des eaux stagnantes, la culture des terres, l'élimination des moustiques adultes, la " quininisation " de la population. Le rôle des instituteurs fut important pour l'information et la formation des enfants et de leurs parents, comme celui des infirmiers et des pharmaciens de campagne.

               

La lutte contre le trachome.

               Aussi difficile à éradiquer que le paludisme, cette maladie oculaire infectieuse, la plus répandue sur terre dans les pays les plus pauvres, était responsable en 1830 de la majorité des cécités ; les aveugles étaient infiniment plus nombreux en Berbérie qu'en France : 25 pour 1.000 habitants, 1 pour 100 dans le Sud, plus chaud et plus sec, où le vent contribue à disséminer l'infection. Guérir les maladies ophtalmiques, dont le trachome, ou limiter leurs séquelles, informer pour les prévenir, est une des belles œuvres de la médecine française en Algérie, avant même que l'on pût recourir aux sulfamides et antibiotiques.

               Due à l'agent infectieux chlamydia trachomatis (" raboteux " en grec) cette forme de conjonctivite granuleuse est encore de nos jours un problème important de santé publique en Afrique, Asie du Sud, Amérique du Sud. Elle est en effet éminemment contagieuse, transmissible par contact direct (mains…), indirect (objets, vêtements …), par les poussières, le sable transporté par le vent, les mouches. Les lésions de la cornée qu'elle entraîne, après celles de la paupière supérieure, causent des troubles de la vision plus ou moins importants, allant jusqu'à la cécité ; les complications, pneumopathie notamment, ne sont pas rares.

               Les médecins militaires, médecins civils, médecins de colonisation, infirmiers, auxiliaires indigènes, pharmaciens et instituteurs se mobilisèrent pour traiter et informer. Hôpitaux et dispensaires assuraient les consultations.
               Les soins, à base de lotion d'acide borique ne suffisaient pas pour le trachome avancé : des interventions chirurgicales étaient pratiquées (grattage de la paupière, cautérisation …) quand l'équipement le permettait. Dans le Sud, davantage affecté, des postes de secours Beit el Aïnin (maison des yeux) furent créés et la caisse centrale des assurances sociales agricoles équipa 6 véhicules automobiles de soins itinérants. Pierre Goinard opus cité.

               A partir de 1945 le docteur Renée Antoine accomplit trois fois par an des missions en camions équipés, consultant et opérant dans le Sud jusqu'au Sahara. Peu avant 1962 le professeur Larmande, avec la collaboration de Mlle Orfila, isola la souche algérienne du virus du trachome ; il pensait que ce fléau serait jugulé en dix ans. L'histoire en décida autrement. (Raymond Debenedetti de l'Académie de Médecine in " Histoire de l'Algérie " (ouvrage collectif) 1er trimestre 1962 éd. Les Productions de Paris.)

               Former les médecins, informer la population : science et hygiène sont indissociables. La surveillance des écoles s'imposait.
               La création d'une clinique d'ophtalmologie fut obtenue, non sans difficultés au début du XXème siècle à la Faculté de Médecine et de Pharmacie d'Alger. Il fallait en effet une clinique d'ophtalmologie qui fût indépendante de la clinique chirurgicale, au sein de l'école (puis Faculté) de médecine, pour que les étudiants puissent ensuite, dans leur pratique courante, connaître les répercussions sur les yeux et la vue des maladies générales et identifier les maladies oculaires afin d'intervenir à bon escient ou diriger le patient à temps. Cette clinique d'enseignement et de consultation fut officiellement créée par décret du 4 janvier 1910. Les professeurs Cange, Tourlant, Larmande s'y illustrèrent.

               Pour informer la population, le personnel médical et social était épaulé par les instituteurs. L'on ne soulignera jamais assez le rôle de l'école, en Algérie comme en Métropole, pour répandre la connaissance des maladies et les règles élémentaires d'hygiène auxquelles la population autochtone, surtout loin des villes, n'était pas encore habituée. Se laver les mains, ne pas se frotter les yeux, veiller à l'hygiène corporelle et à l'utilisation des latrines, protéger particulièrement les enfants et les nouveau-nés. Il fallait aussi réduire la promiscuité, creuser des puits, améliorer les équipements. Les progrès espérés étaient liés à tous ces facteurs que l'antibiothérapie plus tard ne rendra pas obsolètes.

               Les deux films du Gouvernement général traitant vers 1950 des ophtalmies portent des titres émouvants : " Caravane de la lumière " et " Ombres sur l'Afrique ". En version française et arabe ils ont pour but d'éduquer et de faire se lever l'espoir. En 1962, l'on obtenait pour le trachome environ une guérison sur deux, de nettes améliorations par ailleurs.
               Tout au long des cent trente-deux ans de présence française, qui mirent le pays en valeur et le placèrent sur le chemin de la modernité, instruction et amélioration de la santé, à l'image de la Métropole, ne furent pas négligées mais constamment adaptées à une terre, un climat, une population différente, sans jamais renoncer devant les difficultés. L'investissement fut considérable.

               Dans le domaine de la santé il avait fallu faire naître la confiance dans la médecine occidentale et française, faire accepter les soins et appliquer les règles d'hygiène, faire reculer le fatalisme, peu à peu infléchir les mentalités pour sauver des vies. L'entreprise était considérable et n'eût pas réussi si avait existé du mépris de la part des Européens soignants pour les malades indigènes ; il faut le répéter avec force.
Recherches et rédaction par Josette Zevaco-Fromageot
Sources : ALGERIE - L'ŒUVRE FRANCAISE
Pierre Goinard Editeur Pierre Laffont 1984
Dictionnaires médicaux.
Site santetropicale.com.
Sites médicaux
Encyclopédie A F N (notamment article Maillot).



Prise de la smalah D'Abd-El-Kader.
Envoi de M. Christian Graille

               Sa smala se composait :
               - de sa famille,
               - de celle des guerriers qui étaient restés,
               - des vieillards,
               - des serviteurs,
               - des transfuges,
               - de quelques prisonniers.

               La smalah établissait ses tentes au lieu désigné par l'Émir, qui, pour la soustraire plus sûrement aux attaques des Français, avait soin de les attirer toujours d'un autre côté.
               Le général Bugeaud, ayant appris qu'on avait vu dans l'Ouarsenis le campement d'Abd-El-Kader, ordonna au duc d'Aumale et au général Lamoricière de marcher contre lui.
               Le duc d'Aumale se mit en route avec 1.900 hommes, le 10 mai 1843.
               Il surprit le village de Gaugilat, près duquel il croyait qu'était placée la smala.
               Mais il sut bientôt qu'elle était à quinze lieues plus loin.
               Il reprit sa marche mais des éclaireurs arabes lui ayant dit que l'Émir se dirigeait vers Taguin, il laissa là une partie de son infanterie et s'élança avec 600 chevaux à la recherche d'Abd-El-Kader.

               Le 16 mai, vers midi, l'avant-garde se trouva tout à coup, sans s'en douter, près de la smalah.
               Les cavaliers qui reconnurent les premiers ces tentes retournèrent près du jeune duc et l'engagèrent à attendre les zouaves qui ne devaient pas tarder de le rejoindre.
               - Jamais nul de ma race n'a reculé, répondit-il.
               - Que faut-il donc faire, Monseigneur, demanda le colonel Youssouf
               - il faut entrer là dedans, répondit le jeune prince.

               Entrer avec 250 hommes dans la smalah, qui comptait au moins 40.000 âmes, c'était à n'y pas croire ; aussi Youssouf se fit-il répéter cet ordre.
               Sûr alors d'avoir bien entendu, il s'élança avec son avant-garde et pénétra au milieu des tentes, aux cris des femmes qui venaient d'apercevoir les Français et qui commençaient à fuir de tous côtés.
               Les soldats d'Abd-El-Kader s'arment aussitôt et se précipitent à la rencontre des assaillants.

               Le duc d'Aumale partage les hommes qui lui restent en trois groupes, dont :
               - l'un attaque la droite,
               - l'autre la gauche et
               - la troisième le centre de la smalah.
               Ils fondent avec tant d'impétuosité sur l'ennemi, que tout plie devant eux et que bientôt ils restent maîtres du campement.
               " La smalah d'Abd-El-Kader est prise, dit le jeune prince dans son rapport au général en chef,
               - son trésor pillé,
               - les fantassins tués ou dispersés,
               - quatre drapeaux,
               - un canon,
               - deux affûts,
               - un butin immense,
               - des populations et des troupeaux considérables sont tombés en notre pouvoir. "

               Après avoir rendu compte des dispositions prises par lui, le duc d'Aumale continue ainsi : " A gauche les spahis entraînés par leurs braves officiers, attaquent le douar d'Abd-El-Kader et culbutent l'infanterie régulière qui se défend avec le courage du désespoir. Sur la droite les chasseurs :
               - traversent toutes les tentes sous une vive fusillade,
               - renversent tout ce qu'ils rencontrent et
               - vont arrêter la tête des fuyards, que de braves et nombreux cavaliers cherchent vraiment à dégager.
               Ici mon général ma tâche devient plus difficile.

               Il faudrait vous raconter mille traits de courage, mille épisodes brillants de ce combat individuel qui dura plus d'une heure.
               Officiers et soldats rivalisèrent et se multiplièrent pour dissiper un ennemi si supérieur en nombre.
               Nous n'étions que 500 hommes et il y avait 5.000 fusils dans la smalah.
               On ne tua que des combattants, et il resta 300 cadavres sur le terrain.

               Quand les populations prisonnières virent nos escadrons qui avaient poursuivi au loin les cavaliers ennemis, elles demandaient à voir leurs vainqueurs et ne pouvaient croire que cette poignée d'hommes eût dissipé cette force immense dont le prestige moral et réel était si grand sur les tribus.
               Nous avons eu 9 hommes tués et 12 blessés. "

               Le général La Moricière apprenant le succès du duc d'Aumale, marcha à la hâte pour l'aider à en recueillir le fruit. Il fit preuve, en cette occasion, d'autant d'humanité qu'il avait souvent montré de bravoure.
               La prise de la smalah produisit le plus grand effet sur les tribus et porta un coup terrible à la puissance d'Abd-El-Kader.
               De tous côtés les généraux reçurent des députés chargés de leur offrir la soumission des peuplades, et la générosité dont les vainqueurs firent preuve en maintes rencontres, rendit cette soumission plus sincère.
Conquête de l'Algérie C. Fallet. Édition 1856.


Pour sourire en semaine
Envoyé par M. Jean-Pierre

             Lundi :

             Un homme a une très jolie concierge et il lui demande :
             " - Est-ce que je peux vous faire la cour ? "
              - Oui, bien sûr... Je vais vous chercher le balai !
              **********

             Mardi :

             Toto est à l'école. La maîtresse lui demande de conjuguer le verbe marcher à tous les temps.
              Il répond :
              " - Je marche sous la pluie. Je marche sous la grêle. Je marche au soleil. Je marche dans la neige. "
              **********

             Mercredi :

             " - Est-ce vrai papa qu'en Afrique un homme ne connaît pas sa femme avant d'être marié ? "
              Le père : " - C'est vrai dans tous les pays du monde mon garçon ! "
              **********

             Jeudi :

             Une mère dit à son garçon :
              " - N'oublie pas que nous sommes sur terre pour travailler. "
              " - Bon, alors moi, plus tard je serai marin ! "
              **********

             Vendredi :

             Le patient ouvre les paupières, reprenant tout doucement conscience après son opération, et voyant une tête penchée au dessus de lui, il bredouille :
              " - Alors docteur, l'opération s'est bien passée ? "
              " - Ah.. Je suis désolé mon fils. Je ne suis pas ton médecin, mais Saint Pierre "


Combat de Sidi-Brahim.
Envoi de M. Christian Graille
Héroïsme ! Sacrifice !

               Dans les derniers mois de l'année 1845 la province d'Oran était en pleine insurrection. Le 4 septembre le Maréchal Bugeaud s'était embarqué pour la France et, quelques jours après son départ une révolte formidable avait éclaté presqu'en même temps dans le Dahra et chez les Flittas et s'était répandue comme une traînée de poudre jusqu'aux frontières du Maroc.
               Dans ce soulèvement général, Abd-El-Kader s'était montré à la tête de 5 à 6.000 cavaliers dans les environs de la tribu des Souhalias qui relevait du commandement de Nemours.

               Le Lieutenant-Colonel de Montagnac, du 15e léger, commandait la petite garnison de cette place. C'était un homme :
               - jeune encore,
               - de grand courage et
               - de grand talent
               Et qu'on signalait déjà comme devant atteindre les plus hauts grades de l'armée.
               Notons, en passant, qu'on lui attribuait à cette époque l'intention bien arrêtée de s'emparer de l'Émir et qu'on citait même de lui ces paroles hardies plusieurs fois exprimées : " Il faut que je prenne Abd-El-Kader mort ou vif ou que je me fasse tuer ! "
               Il est bon de retenir ces paroles, car elles seules, peut-être pourront nous donner l'explication du drame sanglant qui va bientôt se dérouler sous nos yeux.

               Abd-El-Kader en avait-il connaissance et avait-il à son tour projeté de faire tomber le colonel dans un piège habilement tendu ? C'est ce qui est permis de supposer, sinon d'affirmer.
               Toujours est-il que le 22 septembre 1845, un caïd de la tribu des Souhalias se présentait devant le Colonel et lui donnait avis que l'Émir s'apprêtait à traverser le territoire des Souhalias pour entrer dans celui des Traras qui s'étaient prononcés en sa faveur.
               Il lui demandait aide et protection pour les siens, en l'assurant de leur fidélité inébranlable.
               Interrogé par le Colonel sur les forces réelles de l'ennemi, le caïd ne put ou ne voulut donner que des renseignements incertains ; mais de Montagnac craignant de perdre une occasion qu'il croyait favorable de mettre son projet à exécution, c'est-à-dire de prendre Abd-El-Kader et certain d'ailleurs du courage et de la solidité de ses troupes, forma de suite une petite colonne et se mit en marche à la nuit close, c'est-à-dire entre neuf et dix heures du soir.
               Il emmenait avec lui 350 hommes du 8e bataillon des chasseurs d'Orléans et 60 cavaliers du 2e hussard.
               Les premiers étaient sous les ordres du Commandant Froment-Coste et les hussards étaient conduits par le chef d'escadron Courby de Cognord.
               Cette poignée de braves, partageant l'ardeur de son chef, se mit en marche avec un entrain admirable et arrivait avant le point du jour sur l'Ouest Saouli où ce dernier l'établit dans une forte position.

               La prudence conseillait au Colonel De Montagnac d'attendre le jour, dans cette position qui le mettait à l'abri de toute surprise et de toute éventualité mais la trahison veillait et elle devait avant peu l'entraîner à sa perte et à celle de ses compagnons d'armes.
               Bientôt, en effet, des renseignements nouveaux fournis par des espions infidèles le décidèrent à s'avancer jusqu'au ruisseau de Sidi-Brahim.
               Arrivé à ce point, il réfléchit un instant.

               Les renseignements parvenus lui faisaient savoir qu'Abd-El-Kader campait non loin de là, qu'il avait avec lui fort peu de monde et qu'il serait facile de le surprendre et de s'emparer de sa personne.
               Aussi, les réflexions du Colonel ne furent pas de longue durée.
               Attiré d'un côté par l'espoir qu'on faisait miroiter à ses yeux et de l'autre, entraîné par son bouillant courage, il confia la garde des bagages au commandant Froment-Coste et il se porta en avant avec trois compagnies de chasseurs et les 60 hussards placés sous les ordres du Commandant Courby de Cognord.

               La terrible journée du 23 septembre était sur le point de commencer, et le soleil, qui déjà apparaissait radieux à l'extrémité de l'horizon allait éclairer un de ces combats surhumains dont une nation a le droit d'être fière mais dont elle a aussi le devoir de perpétuer le souvenir.
               Après une marche d'une heure environ, on aperçut un certain nombre de cavaliers arabes qui sembler venir à la rencontre de la colonne et vouloir engager le combat. Sans perdre un instant de Montagnac lance contre eux les deux premiers pelotons de hussards qui partent avec un élan admirable et se ruent impétueusement sur leurs adversaires.

               La charge bien conduite va produire son effet, quand tout à coup nos hussards sont assaillis par une masse énorme de cavalerie qui sort à l'improviste d'un défilé que des plis de terrain dérobaient aux regards.
               Abd-El-Kader la commandait en personne.
               Le choc fut terrible et dans cette première mêlée, le Commandant Courby de Cognord fut désarçonné et blessé et le Capitaine Gentil-Saint-Alphonse eut la tête brisée d'un coup de feu.
               Quant aux hussards quelques-uns à peiner parvinrent à se replier sur le gros de la colonne.
               A cette vue le Colonel comprend tout : ses espions l'ont trahi et il est tombé dans une embuscade. Il faut payer d'audace et sortir de là coûte que coûte.

               Avec une décision aussi prompte que la pensée :
               - il s'élance avec ce qui lui restait de troupes,
               - rallie les hussards échappés au carnage et
               - aborde bravement l'ennemi.

               Mais pressé et entouré par des forces plus de 10 fois supérieures en nombre c'est en vain qu'il lutte avec la plus grande énergie.
               Il ne peut rompre le cercle de fer et de feu qui l'étreint de toutes parts ; ses hommes tombent autour de lui et il est lui-même blessé mortellement.
               Alors, se voyant perdu et voulant avant d'expirer faire tous ses efforts pour mettre ses soldats en mesure de résister, il ordonne de former le carré et fait partir le Maréchal-des Logis Barbier pour aller prévenir le Commandant Froment-Coste qui, ainsi qu'on l'a vu plus haut avait été commis à la garde des bagages.

               Ces dispositions prises, le courageux Montagnac, se sentant mourir, trouve encore assez de force pour dire à ses soldats : " Enfants ne songez plus à moi !... Mon affaire est réglée !... Défendez-vous jusqu'au bout ! "
               Ce furent les dernières paroles de ce chef héroïque dont la mort fut semblable à celle du consul romain Marcellus qui succomba dans une embuscade dressée par Hannibal.
*
* *

               Cependant le carré formé des chasseurs d'Orléans et des débris du 2e Hussards, enthousiasmé par la fin glorieuse du Colonel de Montagnac opposait une résistance opiniâtre.
               Pendant trois heures il soutint comme un roc les assauts répétés des 6.000 cavaliers d'Abd-El-Kader :
               - Officiers et soldats tombent l'un après l'autre,
               - les cartouches s'épuisent,
               - il ne reste plus que la baïonnette pour la défense,
               - la mort est inévitable, mais personne ne songe à se rendre …
               Pendant qu'avait lieu cette lutte effroyable, le Commandant Froment-Coste, averti par le Maréchal des logis Barbier du désastre survenu à la colonne était accouru avec une compagnie de chasseurs au secours de ses compagnons d'armes, impatient de les sauver ou de partager leur sort.
               Hélas ! A peine arrivé sur le terrain du combat, il est renversé par les premières décharges ennemies et, en peu d'instants, tous ses hommes périssent autour de son cadavre ou tombent grièvement blessés.
               Parmi ces derniers se trouvait le Capitaine Dutertre qui, atteint de trois coups de feu, fut enlevé par les cavaliers d'Abd-El-Kader…
*
* *

               Après ce massacre, il ne restait plus de la petite colonne, partie la veille au soir de Nemours, que 82 carabiniers qui formaient la compagnie d'élite du 8e bataillon des chasseurs d'Orléans. Ils étaient commandés par le Capitaine de Géraux, homme ferme et résolu qui envisageait avec sang-froid la situation difficile où il se trouvait, sut prendre sans hésitation un parti décisif.
               Il avait aperçu, à une certaine distance, le marabout de Sidi-Brahim situé sur une éminence qui dominait le terrain environnant.
               - Gagner ce marabout,
               - pénétrer dans la cour formée par le mur d'enceinte et
               - s'y retrancher

               C'était fournir à ses hommes le moyen de résister provisoirement à cette multitude d'Arabes et d'attendre qu'une des colonnes expéditionnaires qui parcouraient le pays pût venir à leur secours.
               Ces réflexions faites, il ordonna à sa petite troupe de se diriger vers le marabout que l'on parvint à atteindre entre 10 et 11 heures du matin.
               On pénétra dans la cour qui était entouré d'un mur à hauteur d'homme et chacun se prépara à vendre chèrement sa vie.
               Les Arabes avaient aperçu trop tard ce mouvement hardi du capitaine de Géraux.

               Furieux de voir cette poignée d'hommes se dérober sous leurs coups :
               - ils se précipitèrent en foule vers le marabout,
               - l'entourèrent de toutes parts et
               - se livrèrent à une fusillade effrénée.
               C'est à ce moment qu'on vit s'accomplir un trait d'audace tellement inouïe qu'on se demande si l'impossible existe pour les hommes qu'enflamme l'amour de la patrie. Le capitaine fait appel à un homme de bonne volonté pour hisser le drapeau de la France sur le sommet du marabout.

               Le caporal Lavaissière se présente aussitôt ; il grimpe résolument sur le marabout au milieu d'une grêle de balles et il fixe près du dôme la ceinture rouge du Lieutenant Chappedeleine et un mouchoir bleu qui lui appartenait.
               Le blanc du dôme complétant les trois couleurs.
               Fier de son succès le caporal au lieu d'abandonner son poste périlleux, se dresse de toute sa hauteur, regarde l'ennemi en face pendant quelques instants et descend du marabout avec la tranquillité et la lenteur qui distinguent les héros d'Homère dans les plus grands dangers.

               Ses compagnons l'accueillent par des bravos frénétiques, et les Arabes, de leur côté, poussent des cris épouvantables.
               La fusillade continua plus intense, plus furieuse ; mais nos soldats protégés par le mur d'enceinte n'ont qu'un ou deux blessés, tandis qu'ils jonchent le sol de cadavres ennemis.
               Abd-El-Kader voyant l'inutilité de son attaque, ordonne à ses troupes de se retirer et de camper hors de la portée des balles.
*
* *

               Pendant quelque temps il reste plongé dans une méditation profonde.
               En conduisant ses hommes au combat, il leur avait promis d'exterminer la colonne Montagnac ; mais combien son prestige serait plus grand, s'il parvenait à faire prisonnier, dans toute la vigueur de leur jeunesse, les survivants de cette petite colonne ; à les traîner à la suite de tribu en tribu, et à exposer à chaque instant du jour aux injures de ses guerriers et aux avanies des femmes et des enfants.
               S'arrêtant sans doute à cette dernière pensée, il ordonna tout-à-coup qu'on aille chercher le capitaine blessé et qu'on l'amène devant lui.
               Le capitaine, ainsi désigné, était le brave Dutertre.
               Il arrive, pâli par la perte de son sang mais dans l'attitude calme et digne de l'officier qui se rend à la parade et il attend qu'on lui adresse la parole.

               L'Émir, après l'avoir contemplé un instant, lui fait dire par son interprète : " Va trouver les soldats français réfugiés dans le marabout, engage les à se rendre et leur vie sera respectée. Mais s'ils continuent à résister, toutes les têtes tomberont et la tienne tombera la première. "
               En entendant une pareille proposition, faite à un officie français, le Capitaine Dutertre sentit son cœur battre d'indignation, mais une réflexion subite ayant sans doute traversé son esprit, il se mit à sourire et répondit simplement :
               " C'est bien, je suis prêt à marcher ! "

               Et aussitôt dans l'espace resté vide entre le marabout et la ligne circulaire du campement arabe, on vit s'avancer gravement l'officier, placé entre deux chaouchs ayant chacun un yatagan (sorte de sabre turc à lame recourbée) nu à la main.
               En les voyant se diriger vers eux le Capitaine de Géraux et ses hommes, attirés par une curiosité ardente, se portèrent devant leur mur d'enceinte et s'apprêtèrent à écouter dans le plus profond silence.
               - Qu'allait dire le Capitaine Dutertre ?
               - Qu'allait-il se passer ?

               Celui-ci avançait toujours vers ses compagnons d'armes et arrivé à une trentaine de pas du marabout, il s'arrête et au milieu d'un recueillement solennel, d'une voix retentissante, il s'écrie : " Camarades ! Ecoutez bien mes paroles ! L'Émir m'envoie vers vous pour vous engager à mettre bas les armes, vous promettant la vie sauve, et si vous ne vous rendez pas, je serai décapité.
               Et moi je vous dis au contraire : Défendez-vous jusqu'au dernier. Mourez tous s'il le faut mais ne vous rendez pas ! Vive la France ! "
               Vive la France ! répondent en cœur les braves chasseurs d'Orléans, au comble de l'enthousiasme, et le capitaine Dutertre, sans ostentation comme sans faiblesse et toujours escorté de ses gardiens, revient tranquillement au camp d'Abd-El-Kader.
               " - Qu'as-tu obtenu lui demande ce dernier ?
               - Qu'ils mourraient tous plutôt que de se rendre, et c'est moi qui leur ait donné ce conseil, répond le Capitaine en le regardant avec une majestueuse fierté.
               - Eh bien ! Toi aussi tu vas mourir ! " ajoute Abd-El-Kader, et en prononçant ces mots, il fait un signe à ses chaouchs qui s'empare de l'officier et font rouler sa tête d'un coup de yatagan…

               C'est ainsi que succomba cette glorieuse victime. C'est ainsi que mourut ce noble martyr du devoir et de l'honneur !…
               Inclinons-nous avec une respectueuse admiration devant ce dévouement sublime qui rappelle le dévouement de Régulus et celui plus récent du chevalier d'Assas !
*
* *

               Mais Abd-El-Kader voulait arriver à ses fins. Sans se préoccuper davantage de la mort du Capitaine Dutertre, il envoya un nouveau message aux chasseurs réfugiés dans le marabout : le Capitaine de Géraux opposa à ses propositions le refus le plus énergique.
               L'Émir, irrité de ce nouveau refus mai plus désireux encore d'obtenir sans coup férir la reddition de ces braves fit écrire par l'Adjudant Thomas, qui était au nombre des prisonniers, une lettre qui portait en substance :
               " qu'il avait plusieurs Français en son pouvoir, que si les hommes du marabout mettaient bas les armes sans opposer de résistance, tout le monde aurait la vie sauve et que, dans le cas contraire, il ferait tout massacrer. "
               Le Capitaine de Géraux lut cette lettre à ses soldats formés en cercle autour de lui. C'étaient des hommes :
               - éprouvés,
               - dignes des chefs qui les commandaient et
               - qui avait au plus haut degré l'amour propre du corps auquel ils appartenaient.

               Ils s'écrièrent :
               " Comment ! Nos camarades du 8e bataillon et du 2e Hussards sont morts en braves pour l'honneur de la France, et nous carabiniers, compagnie d'élite du même bataillon nous nous rendrions comme des lâches :… Allons donc ! Abd-El-Kader veut se moquer de nous, mais il n'a qu'à venir, il trouvera à qui parler ! "
               Enfin un quatrième message fut repoussé avec le plus grand dédain.
               A partir de ce moment la fusillade recommença autour du marabout et dura jusqu'au soir avec des pertes sensible pour les Arabes et seulement deux blessés pour nous. La nuit fut calme.
               Nos soldats en profitèrent pour percer des espèces de créneaux dans le mur d'enceinte qui les protégeait et pour couper en plusieurs morceaux les balles qui leur restaient car il s'agissait déjà de ménager les munitions.
*
* *

               Le lendemain, 24 septembre, le combat reprit de plus belle et dura toute la journée, presque sans interruption. C'est en vain que les Arabes firent parler la poudre et retentir leurs cris effroyables ; c'est en vain qu'ils tentèrent de se jeter sur le mur d'enceinte, cherchant à l'escalader.
               Ils furent repoussés à coups de crosse et de baïonnette et perdirent beaucoup de guerriers. Quand la nuit survint, la mousqueterie cessa et les nôtres purent prendre un peu de repos. Ils étaient brisés de fatigue, comptaient trois blessés de plus mais aucun d'entre eux n'avait été tué.
*
* *

               Le jour suivant, 25 septembre, même attaque, même défense ; seulement le feu cessa à 2 heures de l'après-midi.
               L'Émir découragé par une résistance aussi opiniâtre qui faisait périr sans résultat un grand nombre des siens, résolut de former le blocus de ce misérable réduit et de prendre par la famine ceux qu'il 'avait pas pu vaincre par les armes.
               Cette mesure lui donnait le double avantage d'annihiler les défenseurs du marabout, et de pouvoir, en même temps, parcourir le pays et surveiller de sa personne les colonnes mobiles qui auraient pu venir à leur secours.

               En conséquence, il se retira avec le plus gros de ses troupes et ne laissa autour du marabout que des colonnes d'observation avec recommandation expresse de n'engager le feu qu'autant que les assiégés chercheraient à sortir de leur mur d'enceinte, soit pour combattre, soit pour s'échapper.
               Cependant la situation des nôtres devenait de plus en plus critique.
               C'était le troisième jour qu'on luttait contre l'ennemi et déjà la faim et la soif se faisaient cruellement sentir.
               Comme la colonne n'était partie de Nemours que pour un coup de main, et non pour faire expédition, on avait épuisé très vite, à peu de choses près, tout ce que contenait le convoi.
               Aussi il ne restait que très peu de vivre et on était réduit, faute d'eau et de vin, à mélanger de l'urine avec de l'eau-de-vie et de l'absinthe pour apaiser sa soif.

               Le Capitaine de Géraux, profitant de la cessation de l'attaque, réunit ses hommes pour leur faire-part de la position désastreuse où l'on se trouvait et on convint qu'on profiterait de la nuit pour évacuer ce poste, qu'il n'était plus possible de défendre et où les attendait une mort inévitable.
               Malheureusement les Arabes ayant établi plusieurs feux à peu de distance les uns des autres et veillant avec une extrême vigilance, il fallut renoncer à ce projet. La nuit fut cruelle pour ces braves soldats mais c'étaient des cœurs d'élite inaccessibles à la peur et fermement résolus à mourir plutôt que de se rendre.
*
* *

               Le lendemain, 26 septembre, à la pointe du jour, l'officier réunit de nouveau ses hommes et après leur avoir exposé qu'il n'y avait plus de vivres et qu'il ne restait que peu de cartouches, il ajouta : " La position n'est plus tenable. Depuis trois jours que nous combattons, aucune colonne expéditionnaire n'a entendu la fusillade ; il ne faut donc plus compter sur un secours. Eh bien ! Il ne nous reste qu'une chose à faire :
               - c'est de sortir d'ici à l'improviste,
               - de nous précipiter sur l'ennemi,
               - de profiter de son désordre pour traverser sa ligne et
               - de nous diriger sur Nemours en combattant jusqu'au dernier. "

               Tout le monde approuve ce plan hardi et aussitôt on se prépare pour le départ dans le plus grand silence.
               Vers les 7 heures, tout étant prêt, nos intrépides chasseurs sortent du marabout, s'élancent au pas de course sur le poste qui leur faisait face et l'enlevèrent à la baïonnette bien qu'ils soient embarrassés dans leur marche par 7 blessés qu'ils emportent avec eux.
               Enhardis par ce premier succès, ils se forment en carré de tirailleurs et prennent vivement la direction de Nemours poursuivis par ceux qui les assiégeaient.
               Ces derniers, surpris de tant d'audace et peut-être aussi fatigués par les trois jours de siège leur avaient laissé prendre une certaine avance ce qui leur permit d'arriver vers les 8 heures du matin à peu de distance du village des Ouked-Ziri.
               Là, les nôtres se trouvèrent arrêtés par un ravin qu'il fallait franchir pour continuer leur marche vers Nemours.
               Le capitaine de Géraux, voulant leur procurer un peu de repos, leur ordonna de faire halte et de se former en carré.
               Ils n'étaient plus qu'à une demi- heure de Nemours, et déjà ils concevaient l'espoir d'échapper à la poursuite dont ils étaient l'objet depuis leur départ du marabout, lorsque tout à coup ils virent un nombre considérables d'Arabes, armés de fusils, accourir du village des Ouled-Ziri et des lieux environnants, descendre dans le ravin pour leur couper la route et ouvrir sur eux un feu roulant et non interrompu.

               Quelle situation terrible pour cette poignée de braves !
               - Devant eux,
               - derrière eux,
               - à droite,
               - à gauche,
               - partout,
               L'ennemi qui les canardait sans craint de riposte car ils venaient d'épuiser leurs dernières cartouches !

               Dans cette extrémité, et dominant le bruit de la fusillade, on entend la voix forte, mais calme du capitaine de Géraux : " Mes enfants il n'y a plus qu'un moyen de salut, un seul ! C'est :
               - de fondre sur les Arabes,
               - de leur passer sur le corps,
               - de remonter le ravin du côté opposé et
               - de gagner le plateau qui nous ouvre directement la route sur Nemours. "

               En peu de mots, le capitaine de Géraux leur explique la manœuvre à suivre.
               On s'encourage mutuellement ; on se dit un dernier adieu et on se précipite dans le ravin comme une avalanche.
               Après des efforts inouïs et des pertes sensibles, on arrive jusqu'au bas du ravin, où les quarante hommes qui, seuls, survivent encore, se reforment en carré.
               On y voit encore debout l'héroïque capitaine de Géraux encourageant les siens, et, à ses côtés :
               - le lieutenant Chapedeleine,
               - le médecin Rosagutti et
               - l'interprète militaire .

               Alors au fond de cette espèce d'entonnoir, une lutte affreuse s'engage.
               Notre petite troupe, enveloppée, pressée de toutes parts par cette masse compacte qui tire sur elle à bout portant, cherche à se frayer un passage pour atteindre le plateau indiqué par le chef.
               Elle frappe, frappe sans cesse, dans l'espoir de renverser cette muraille humaine.
               La baïonnette et la crosse font rage ; les morts s'amoncellent, le carnage est à son comble !
*
* *

               Pendant qu'avait lieu ce combat gigantesque de nos 40 chasseurs contre cette fourmilière d'ennemis poussant des cris sauvages, la petite garnison de Nemours accourait au secours des nôtres.
               Prévenue depuis deux jours du désastre survenu au colonel de Montagnac, elle avait déjà fait deux sorties pour se mettre en communication avec les débris de sa colonne. Malheureusement trop faible en nombre pour s'aventurer au loin, elle avait dû revenir à son poste sans rien tenter pour leur salut.

               Mais dans la matinée du 26 septembre, entendant la fusillade plus rapprochée et plus distincte, elle essaya une nouvelle sortie.
               Elle partit au pas de course et parvint jusqu'au plateau qui surplombait le ravin fatal. A son arrivée, le massacre touchait à sa fin ; 14 des nôtres seulement avait pu franchir le ravin et gagner le plateau sauveur.
               Elle s'empressa de les recueillir et de les amener avec elle, en maintenant les Arabes à distance par un feu nourri, mais deux tombèrent morts en entrant dans Nemours et cinq autres moururent quelques jours après des suites de leurs blessures. En somme sept survivants parmi lesquels le brave, le vaillant caporal Lavaissière !...

               Quant au capitaine de Géraux, à tous ses officiers et aux autres chasseurs, ils avaient été tués au fond du ravin… Ils avaient succombé, écrasés par le nombre, mais du moins avec la satisfaction suprême de ne laisser à leurs ennemis qu'une victoire :
               - sanglante,
               - douloureuse et
               - chèrement payée !...
               En effet, les monceaux de cadavres qui jonchaient le sol à côté d'eux, attestaient toute l'intrépidité, toute la fermeté d'âme qu'ils avaient déployés dans ce dernier combat !...
*
* *

               Tels sont les principaux incidents :
               - de ces 4 jours de fatigues,
               - de privations et
               - de bataille.
               Tels sont les braves auxquels on songe aujourd'hui à élever un monument pour consacrer à jamais leur héroïsme et leur admirable dévouement.

               Quel est le Français qui, sentant battre un cœur dans sa poitrine refuserait son obole à une pareille œuvre !… Mais :
               - il faut que cette œuvre soit grande comme les illustres morts que l'on veut honorer,
               - il faut qu'elle reproduise les divers épisodes de ce drame émouvant,
               - qu'elle groupe tous les héros de cette merveilleuse épopée,
               - qu'elle accorde à chacun la part qui lui est due et
               - qu'elle symbolise à la fois le sentiment de l'héroïsme et celui du sacrifice portés à leur dernière limite.

               C'est pourquoi nous avons déjà écrit que le monument à élever, pour éterniser cette page sublime de notre histoire militaire se trouvait naturellement indiqué :
               Au premier plan, le groupe des héros, composé, sans omission aucune, des officiers de tout grade, qui pendant quatre jours de cette lutte à jamais mémorable montrèrent le même dévouement, la même abnégation et trouvèrent la même fin glorieuse sur le même champ de bataille.
               Au milieu de ces héros, le caporal Lavaissière, cet homme intrépide, qui sous une grêle de balles, arbora résolument le drapeau de la France sur le sommet du marabout.
Voilà pour l'héroïsme !

               Et puis, se détachant du groupe des héros, et dominant l'ensemble dans un rayonnement sans pareil, la figure calme et fièrement résignée du capitaine Dutertre, semblant nous dire à tous : c'est ainsi que savent mourir les enfants de la France !
Voilà pour le sacrifice !

               Enfin pour couronnement de l'œuvre et tracée en lettres d'or cette belle inscription : Gloria mortuis pro patrid !
               En suivant cette idée, c'est-à-dire en faisant grand et majestueux, nous accomplirons un devoir sacré de reconnaissance et d'admiration, et nous aurons bien mérité de ceux qui viendront après nous.
Fin du combat de Sidi-Brahim.
Mostaganem avril 1890.
Préface et notes historiques et biographiques
par L . Courserant, notaire honoraire de la société d'astronomie.
Édition 1890.



Quelques opinions sur les Français d'Algérie.
Envoi de M. Christian Graille

               C'est, avons-nous dit, les modifications des caractères mentaux qui frappent le commun des observateurs et lui font voir une race nouvelle.
                Quelques-uns l'apprécièrent assez durement.
                Dans le rapport de la Sicotière (ancien sénateur de la IIIe république de 1876 à 1895) sur les actes du gouvernement de la Défense nationale figure ce tableau peu flatteur de la population française de l'Algérie :
                " L'Algérie renferme, comme toutes les colonies, comme toutes les capitales,
                - trop de gens aventureux, éprouvés par des revers de plus d'un genre,
                - transfuges volontaires ou forcés du sol natal et de la vie régulière,
                - disposés à saisir toutes les occasions bonnes ou mauvaises de rétablir leur crédit.


                Qu'on y joigne beaucoup de bannis de juin 1848 et surtout de décembre 1851 dont l'exil avait irrité les passions politiques loin de les calmer.
                Plusieurs avaient trouvé le moyen de se créer :
                - des ressources,
                - une existence,
                - des établissements sur le sol algérien.


                D'autres n'y avaient pas réussi et chez ceux-là les déceptions privées ajoutaient leur amertume à celle de ressentiments bien naturels.
                Ils ne voyaient d'ailleurs ce qui se passait en France dans l'ordre des faits et même des idées qu'à travers les préjugés trompeurs de l'exil et d'un esprit de secte d'autant plus violent qu'il était resserré dans un milieu plus étroit, d'autant plus redoutable qu'il se nourrissait de douleurs et de colères en partie légitimes. De là une population :
                - ardente comme le climat qu'elle habitait,
                - diverse d'origine, de goûts, d'aptitudes,
                - mobile à l'excès,
                - remarquablement intelligente et instruite,
                - d'une activité fébrile même dans son loisir,
                - impatiente du régime militaire qui comprimait ses tendances et qui contrariait ses vues économiques,
                - jalouse de son autonomie et
                - fière de ses avantages jusqu'à se croire parfois en état de " voler de ses ailes " et de s'affranchir de la trop correcte et trop lourde de la mère-patrie, plus ouverte que celle du continent à tous les rêves, à toutes les passions politiques, et dont la puissance révolutionnaire eût été terrible si la diversité même de ces passions et de ces rêves, si des rivalités personnelles et des jalousies locales ne l'avaient affaiblie en la divisant à l'excès. "


                Puis ceci, du général La Moricière, cité par la Sicotière : " Dans les premières années de la conquête, c'était sur le rivage de l'Algérie que toutes les classes de la société venaient déposer leur écume. "

                De Drumont : " On sait de quelle écume se compose la population des grandes villes d'Algérie. " (France juive, 2e volume, page 18.)

                Au moment des troubles de 1884, le Cri du Peuple a publié sur la population européenne un article produit par l'Akhbar du 2 juillet 1884 où j'ai lu :
                " On ne se fait pas en France une idée de ce que peut être la population européenne des villes d'Algérie. Je ne vais pas comme beaucoup jusqu'à dire qu'elle se compose uniquement d'un tas de buveurs d'absinthe, l'alcoolique absinthé étant généralement :
                - emporté,
                - violent pendant la crise,
                - mais redevenant bon diable,
                - patient quand la crise est terminée.


                L'Européen là-bas, au contraire, se maintient dans une crise de nerfs perpétuelle, dans une folie furieuse…
                - Les ratés de tous les pays,
                - les faillis,
                - ceux qui sont obligés de se faire oublier,
                - les employés compromettants ou compromis viennent en Algérie.


                Au bout d'un an malgré soi, quelque candide qu'on puisse être, on est devenu :
                - arabophone forcené,
                - exploiteur patenté,
                - Juif…


                Un de mes amis qui habite l'Algérie depuis six ans me disait : " Si je n'allais pas chaque année passer trois ou quatre mois en France, je deviendrais canaille. " Et c'est malheureusement vrai.
                Et la police tacitement protégée par la haute administration :
                - excite, encourage,
                - prête la main à ce ramassis de brigands,
                - à cette lie de la population européenne, qui ne vient échouer dans les villes algériennes que " quand elle a tout perdu et qu'elle n'a plus d'espoir… que dans le mari de Mme Tirman. (gouverneur de l'Algérie)

                Désirez-vous connaître le pays où fleurit l'oranger. "
                C'était signé Emile Violard. On m'a dit que cet écrivain était devenu algérien.

                Mais voici des éloges. De M. Wahl : " Cette population algérienne a ses défauts que le temps et la réflexion pourront corriger ; elle les compense largement par les qualités brillantes et solides qu'elle a reçu en héritage.
                Elle ressemble à ces enfants :
                - remuants, mal élevés, tapageurs,
                - pleins de sève et de santé,
                - la joie et la terreur de leurs mères.


                La France s'étonne parfois de ces allures impétueuses, de cette intensité de la vie algérienne ; mais elle peut se réjouir car elle a mis au monde sur la terre d'Afrique :
                - un rejeton vigoureux,
                - fortement constitué,
                - taillé pour la lutte et
                - qui ne succombera pas de sitôt dans les combats de la concurrence vitale. "


                De M. Cambon :
                " On prit l'habitude peut-être de médire, un peu excessive, du colon d'Algérie.
                Il est évident qu'ils ont les défauts des gens d'initiative et des jeunes gens :
                - Ils forment une jeune nation,
                - ils confondent quelquefois la violence avec l'énergie,
                - ils se plaisent à dire beaucoup de mal d'eux-mêmes de peur que d'autres en disent avant eux et
                - ils aiment à attaquer avec ardeur toujours, avec injustice quelquefois, ceux qui sont chargés de les administrer.
                - Ils suivent trop aisément et trop facilement les donneurs de conseils, soit dans la presse, soit ailleurs et
                - ils ont pour les politiciens une estime que l'expérience ne leur a pas encore fait prendre.


                Ce n'est pas une raison parce qu'ils ont ces légers défauts de jeunesse pour que nous ne rendions pas hommage à tout ce qu'ils ont apporté :
                - de génie, de dévouement, de courage,
                - de laborieuse ardeur dans l'œuvre dont ils ont été chargés.

                Et quant à moi, je puis le dire, je ne connais pas d'homme qui mérite davantage le nom :
                - de bon ouvrier,
                - de bon agriculteur, et
                - bon Français qu'un colon d'Algérie. "


                C'est l'idée qu'a reprise M. Caillaux (ministre des finances) : Un peuple jeune, débordant de vie.
                C'est ce qu'avait proclamé Jules Ferry : des vertus le colon en a beaucoup, il a toutes celles du travailleur et du patriote. C'est pour cela que M. de Peyerimhoff en a fait " le gardien du génie français. "
                L'éminent directeur de l'agriculture algérienne disait en effet le 11 mars 1904 aux délégations financières : " Ces concessions qu'on appelle concessions gratuites ne sont pas des libéralités unilatérales et, en réalité, elles ne sont pas gratuites.
                Ce sont des contrats par lesquels vous donnez quelque chose à condition que l'on fasse quelque chose :
                - Que tu t'installes, toi, ta femme et tes enfants, sur ta concession,
                - que tu la cultives,
                - que tu sois ainsi le ressort du développement économique du pays et que dans la mesure de tes moyens
                - tu gardes, là où on t'a placé, le génie français. "


                Comme il est un ressort, en lisant ces belles phrases, le colon se détend, se redresse. L'avenir seul avec certitude à nos fils montrera si ce ressort a gardé plus fidèlement notre génie que M. de Peyerimhoff n'a compris celui de notre langue. J'adore ce diplomate laboureur. Il est précieux pour apporter un peu de gaieté. Nous le retrouverons…

                Voici de M. Jonnart en un discours prononcé le 20 octobre 1900 à la réunion d'études algériennes : " Il est évident que l'Algérie n'est que le prolongement de la France, si l'on considère simplement les sentiments patriotiques qui animent les Algériens et les attachent à la mère-patrie. Mais l'Algérie a une physionomie :
                - originale, distincte,
                - une personnalité propre, trop longtemps méconnue, étouffée sous le niveau d'institutions importées de toutes les pièces de notre vieille France, adéquates à d'autres besoins, à d'autres mœurs


                Il faut reconnaître que nous avons devant nous un peuple :
                - jeune, ardent, passionné, entreprenant et hardi.
                - Contraint, engourdi, énervé,
                Ce peuple risque de s'épuiser en maintes disputes, en agitations mortelles. Mais :
                - si vous lui accordez confiance,
                - si vous donnez un élément à son activité, l'essor à son esprit d'initiative,
                - si vous ouvrez devant lui les vastes horizons du travail libérateur,
                - si vous élargissez et si vous élevez son idéal,

                Vous lui constituez en quelque sorte une mentalité nouvelle et vous pouvez tout espérer de l'évolution de ses idées, de l'élan de la puissance de ses facultés créatrices.
                Alors vous ne parlez pas en vain à son cœur et à sa raison. "

                C'est toujours l'idée du peuple jeune à mentalité nouvelle…
                Une jeunesse qui s'ouvre à la vie et dont nous devons, affirme son gouvernement élargir l'idéal.
                L'Algérie veut bien qu'on lui élargisse l'idéal mais ça l'agace qu'on lui parle toujours de mentalité nouvelle.

                M. Grosclaude l'a dit nettement au Président de la République l'an passé :
                " Certes nous acceptons et nous respectons le droit d'aînesse ; mais nous autres, Français de race, nous ne consentons pas à être rejetés de la famille et nous souffrons d'entendre dire que notre mentalité est autre que celle qui règne au commun foyer paternel. Quand vous aurez constaté, au cours de votre rapide voyage,
                - quels bons Français,
                - quels bons républicains nous sommes, vous direz avec autorité à nos frères de la métropole qu'ils se trompent et qu'on les trompe. "

                M. Grosclaude qui demandait à M. Loubet de nous détromper s'exprimait ainsi en qualité de président du conseil général d'Oran. Pas de mentalité " autre ", il n'a pas " changé d'âme ".

                En lisant des vers de son papa Mlle Malleval de Blida le murmurait au bon M.Loubet :
Premier Citoyen de l'État,
Le chef de notre République,
l'Élu, plus grand qu'un potentat,
De la France démocratique.

Merci d'avoir daigné venir,
Pour voir sur la terre africaine
Croître une race d'avenir,
Plus française encore qu'algérienne.

L'Afrique, hélas ! Longtemps du sang
De nos soldats fut arrosée ;
Mais aussi ce levain puissant
L'a pour jamais fertilisée.

Partout d'industrieux colons
Des fiers guerriers ont pris la place,
Et le blé verdit les sillons
Où la brousse couvrait l'espace.

Certes dans ce pays nouveau,
La surprise en vous a pu naître ;
Mais si scrutant cœur et cerveau,
Votre œil au fond de nous pénètre.

Pour saisir, en son jour réel,
Le monde algérien qu'on diffame,
Vous verrez qu'en changeant de ciel
Pas un de nous n'a changé d'âme.

Puis à nos frères toujours chers
Vous irez porter l'assurance
Que, vers le Sud, delà des mers,
Il est une seconde France.

Où vit le culte des aïeux,
Où de vrais enfants de la Gaule
Sans cesse ont l'esprit et les yeux
Dirigés vers la métropole…

                Pour cette bonne parole, M. Loubet embrassa Mlle Malleval. Les Français d'Algérie n'ont pas changé d'âme. L'Algérie n'est pas une autre France. C'est une France seconde… Et je ne veux point qu'on raille. Ils sont ridicules ces vers de M. Malleval de Blida, mais combien touchants.
                Nous verrons des gens odieux qui fièrement nous diront : " Oui nous sommes autres, oui nous avons une mentalité nouvelle, une âme nouvelle et nous valons mieux que vous… nous sommes les néo-Français… "
                Mais celui-là, ce bon professeur de Blida, ce brave homme, il est Français et ce n'est pas seulement pour le souci d'une pauvre rime qu'il parle de la Gaule ; il en vient ; il y tient ; elle a son esprit, elle a ses yeux… Il veut en garder l'âme. Les professeurs d'énergie nous disent que vouloir c'est pouvoir.
                Est-ce le cas du Français d'Algérie qui veut… ne pas avoir " la mentalité nouvelle " ?
La vérité sur l'Algérie Jean Hess. Édition 1905


PHOTOS DE BÔNE
Envoi de Pierre Latowski

PLACE DE L'ARMÉE




MOUILLAGE DES TORPILLEURS



UNE BOUTIQUE 1893


UN CARGO AMARRÉ AU QUAI 1925




DES MARCHANDS 1891


LA JETÉE VUE DES COLLINES




Mosquée, cathédrale,
Musulmans, Chrétiens.
Envoi de M. Christian Graille


               Depuis notre arrivée dans la ville d'Alger, le canon ne cesse de se faire entendre :
               - salve de vingt-et-un coups pour la séance solennelle du Congrès,
               - saluts des navires et des forts,
               - signaux d'ouverture et de fermeture du port,
               - annonce officielle de chaque fête ; enfin, avant-hier,
               - coups de canon toutes les demi-heures, pour rappeler aux populations européennes le grand jour du Vendredi Saint.


               Aujourd'hui, jour de Pâques, le canon tonne de nouveau ; les Chrétiens :
               - vont à l'église,
               - les boutiques se ferment tandis que
               - les bazars s'ouvrent.


               Musulmans et Juifs travaillent car chez les Musulmans le dimanche est le vendredi et le samedi chez les Juifs.
               Il en est de même pour la semaine Sainte : Ici ramadan, là Sabbat.
               A chacun ses usages : à l'église on se découvre, à la mosquée on se déchausse.

               Au moment de la conquête Alger ne comptait pas moins de cent soixante-six édifices religieux :
               - Djamâ,
               - Zaouïa,
               - Koubba (grandes et petites mosquées ou chapelles).


               Actuellement il en subsiste à peine vingt et un. Le plus ancien de ces monuments est la grande mosquée dite de la marine, Djamâ Kébir ; sa fondation remonte dit-on au Xe siècle ; elle occupe une surface de vingt ares et est formée d'une série de travées portées sur de lourds piliers carrés. L'intérieur fort sombre manque de décoration ; tout son mobilier se compose de nombreuses lampes et d'épais tapis sur lesquels viennent s'étendre les Musulmans, après les ablutions, quand le muezzin a crié du haut du minaret la formule :
               Venez à la prière !
               Venez à la prière !
               Venez à la mosquée !
               Venez à la mosquée !
               Il n'y a de Dieu que Dieu !
               Mahomet est son prophète.
               Dieu est grand !


               C'est l'heure sacrée de la prière. Bientôt le Temple se remplit de croyants :
               - le muphti,
               - les ulémas,
               - le Mahddi montent en chaire.

               L'Arabe assis sur les talons écoute immobile la lecture du Coran ou les chants religieux.
               De temps en temps il se prosterne avec le plus profond recueillement, baise la terre à plusieurs reprises et se relève pour se prosterner de nouveau.

               Quelques-uns passent toute la journée en prière, les autres se retirent au prochain appel.
               La mosquée de la Pêcherie, Djamâ-Djerid est construite en forme de croix grecque ; comme la précédente, elle est fort simple au-dedans ; seule la chaire en marbre blanc présente quelque valeur ; toutes deux se distinguent au dehors par des coupoles en forme de demi-sphère.
               Une autre mosquée beaucoup plus belle celle des Ketchaoua existait à l'époque où fut fondé l'évêché d'Alger dont le premier titulaire, Monseigneur Dupuch rendit tant de services en facilitant les rapports entre les Français et les Arabes.
               On eût pu la conserver en l'appropriant au culte catholique ; on préféra la démolir pour élever sur son emplacement la cathédrale Sainte Philippe.

               La nouvelle église ne manque pas de caractère :
               - sa voûte couverte d'arabesques,
               - ses arcades reposant sur les colonnes de marbre de la mosquée et
               - sa chaire, l'ancien Mimbar, faite en mosaïques, méritent d'être signalées.

               Aux jours de fête surtout, cet édifice somptueusement décoré présente un ensemble des plus harmonieux ; c'est le cas aujourd'hui et puisque je suis dans l'église, le lecteur me saura gré, je le suppose, de lui donner en peu de mots un aperçu de la cérémonie :
               Un office de Pâques à la cathédrale d'Alger produit une grande impression, autant par l'affluence des fidèles qui se pressent dans le sanctuaire que par les pompes de l'église d'Orient.

               A l'extrémité d'une nef ruisselant de lumières s'élèvent deux trônes entourés de riches tentures, surmontés de dais empanachés, l'un à gauche du cœur pour l'archevêque, l'autre à droite pour le suffragant (se dit d'un évêque dépendant d'un archevêque), évêque de Constantine.
               Chaque prélat en cape est revêtu, soit : - de l'aube, de l'étole,
               - de la chape (vêtements employés dans la liturgie),
               - de la mitre ordinaire,

               soit :
               - de la tunique,
               - de la chasuble,
               - de la capa magna (pèlerine à usage liturgique),
               - de la mitre précieuse,
               - des gants avec l'anneau au doigt.


               Sur les marches du trône se tiennent les acolytes porte-insignes :
               - le livre,
               - le bougeoir,
               - la crosse et
               - la mitre, précédés des chapelains porte-croix : Celle à deux branches, en forme de croix de Lorraine, faisant face à la croix latine du suffragant.


               A la suite on remarque :
               - les hauts dignitaires,
               - les membres du Chapitre,
               - les ministres sacrés,
               - les diacres d'honneur,
               - les chanoines parés ; les uns ayant le rochet (tunique courte) garni de dentelles,
               - de guipures (dentelles très ajourée dont les motifs sont espacés par de grands vides)
               - de broderies .
               - Les autres, de riches dalmatiques (chasubles réservées aux diacres) de brocard et de drap d'or sur lesquelles s'étale le grand cordon écarlate terminé par la croix pastorale en émail, insigne de leur dignité.


               Puis viennent :
               - les prêtres,
               - les sous-diacres en tunique sur le surplis,
               - les familiers de la crédence (console où sont déposés les objets du culte) en soutane sans surplis, en nombre égal aux ornements déposés sur l'autel,
               - les ministres chargés de présenter les ornements,
               - l'eau parfumée pour l'ablution des mains,
               - l'aiguière (récipient à pied ovoïde doté d'une anse et d'un bec) et
               - le bassin,
               - les maîtres de cérémonies,
               - le porte-grémial (grémial, linge en lin blanc), clerc en surplis,
               - le porte burettes, acolyte à la crédence,
               - le thuriféraire (porteur d'encensoir) à l'ordinaire.


               Presque tout cet immense personnel porte la barbe longue et est précédé d'enfants de chœur, au nombre de plus de quatre-vingts :
               - moitié en camail (courte pèlerine) violet et robes bordées d'hermine,
               - moitié en mosettes (manteaux) et robes rouges également garnies, entourant une riche bannière si haute qu'elle atteint la voute de l'église.
               A ses côtés brûlent deux falots (grande lanternes) de métal ciselé, maintenus aussi élevés que la bannière.


               Au milieu du plus profond recueillement, l'office commence par des chants liturgiques, sous l'habile direction des cérémoniaires ; les orgues ici placées près de l'autel accompagnent les voix de la maîtrise, alternant avec des chœurs et des soli soutenus par une ravissante musique.
               Puis la procession se met en marche traversant sous un nuage d'encens l'église qu'elle occupe dans toute sa longueur, depuis l'abside jusqu'à l'entrée de la nef.
               
               Ce cortège majestueux faisait rêver à ces grandioses processions qui attiraient à Saint Pierre, pendant la Semaine Sainte, les touristes du monde entier, alors que le Souverain Pontife n'était pas prisonnier au Vatican ; il me rappelait ce que je vis jadis, le jour de Pâques :
               - au Duomo de Milan,
               - à Saint Janvier de Naples,
               - à Notre Dame de Paris…., et qui ne se voit plus aujourd'hui.

               La messe se continua ainsi dans ce cérémonial inusité, et comme l'office de Pâques est le plus court de l'année, je me trouvais encore sous le coup de cette vision éclatante quand tout le monde avait quitté l'église.

               Au dehors les prélats cherchaient à gagner le palais épiscopal, situé à une faible distance, mais ils ne pouvaient avancer, obsédés par une foule compacte, s'écrasant pour baiser l'anneau pastoral ou recevoir la bénédiction apostolique.
               J'aurais aussi désiré approcher ces dignes personnages mais tous mes efforts furent inutiles, et j'allais me dégager de mon mieux quand le flot me poussa brutalement sur la porte même de l'évêché au moment où on la refermait à grand-peine sur la foule.
               Je fus heureux d'y trouver un refuge et, pris au piège sans le vouloir, mais enchanté, j'avisai un jeune prêtre que je supposai secrétaire de l'un de ces évêques et le priai de m'introduire ; il s'y prêta de très bonne grâce et m'ayant fait monter à un premier étage, il me conduisit à la porte d'un petit salon donnant sur la galerie mauresque suspendue au-dessus de la cour. Je frappai discrètement ; la porte s'ouvrit, j'étais en présence de l'archevêque.

               Monseigneur de La Vigerie, actuellement cardinal, archevêque de Tunis et Carthage avec suprématie sur l'Afrique entière d'Alger au Cap, est un homme :
               - encore jeune,
               - de belle prestance,
               - d'une grande distinction et
               - portant haut sa superbe tête, ornée d'une longue barbe blanche qui lui donne l'aspect d'un patriarche.
               - Plein de bienveillance et de simplicité il s'enquiert du but de ma visite tout en enlevant, un à un ses ornements sacerdotaux.
               - Monseigneur, lui dis-je, je n'ai pas voulu quitter Alger sans avoir l'honneur de présenter mes hommages au très éminent archéologue à qui nous devons l'exposé des fouilles de Carthage.
               - Vous avez donc lu, Monsieur, mon dernier travail que j'ai fait déposer sur le bureau du Congrès ?
               - Je crains, Monseigneur que le livre n'ai pas été présenté, je ne l'y ai pas vu.

               Votre Grandeur ne saurait ignorer que la science actuelle procède quelquefois du libre examen. "
               Je lui rappelai le Père de La Croix à la Sorbonne, savant, très savant même….. mais jésuite. Monseigneur sourit avec finesse.

               Nous causâmes ensuite :
               - de la belle procession,
               - puis du Congrès,
               - de Léon Renier (historien spécialiste d'épigraphie latine),
               - du père Delattre (archéologue) et
               - des espérances que l'on fondait sur la mission de Carthage.


               Lorsque je pris congé de Sa Grandeur, elle daigna me remettre un exemplaire de son ouvrage sur la cité phénicienne et du rapport dans lequel elle réclame le concours de l'académie des Inscriptions pour la continuation des fouilles ; la signature, pleine d'humour, révèle le caractère enjoué du docte prélat :
               Charles, Archevêque d'Alger
               - Docteur de la Faculté des Lettres de Paris ,
               - Docteur en Droit Civil,
               - Docteur en Droit Canonique ,
               - Docteur en Théologie

               Mais hélas ! Pas Docteur en Finances !

               Je souhaite à Son Eminence de rester longtemps en Afrique et surtout à Carthage car, avec sa nouvelle position, le cardinal ne peut manquer de trouver l'appui et les fonds qu'il réclame pour nous assurer la possession des richesses enfouies sous le vieux sol punique, dont l'antique forteresse voit, depuis plus de cinquante ans, flotter le drapeau de la France.
               Au moment où je quittais l'archevêque d'Alger, je rencontrai l'évêque de Constantine et j'acceptai, avec empressement, l'offre toute gracieuse de Monseigneur, de me faire visiter le palais mauresque, remarquable par ses distributions et surtout par l'ornementation des murailles intérieures ; puis après m'être confondu en remerciements, je sortis dans la ville, encore sous l'impression de cet imposant office de Pâques.

               Le culte et tous les Arts qui s'y rattachent sont, il faut bien le reconnaître, indispensables à toute religion , en ce qu'ils donnent un corps aux idées, des symboles commémoratifs aux principes et même remplacent l'enseignement supérieur qui dépasse les aptitudes de la plus grande masse à comprendre et s'assimiler toutes les vérités fondamentales.
               La conscience honnête et pure, en ce cas, supplée à la science trop souvent sceptique parce qu'elle est orgueilleuse.
               La majorité des fidèles, qui est humble de cœur, peut servir Dieu dans son ignorance relative, involontaire et remplir toutes les obligations de la loi morale et religieuse ; les exercices du culte traditionnel nourrissent ainsi la piété la plus tendre, celle qui dérive des exemples paternels et maternels.

               Le peuple musulman en a donné la preuve lui-même aussi bien que les Croisés : la piété obtenue par les pratiques du culte crée l'unité du peuple qui dérive surtout de la même foi, plutôt que des mêmes lois et des mêmes institutions souvent variables.
               Les chants religieux ou patriotiques exaltent et unissent tous les cœurs ; la marche en commun et les danses même, comme dans les panathénées (fêtes célébrées par les Grecs en l'honneur d'Athéna dans l'antiquité) font un seul homme, un seul corps de toute une nation.
               C'est la foi, poussée malheureusement jusqu'au fanatisme, qui donna la victoire aux Musulmans.

               Tout voyageur en Algérie comme en Orient est encore profondément ému de voir avec quel soin le Musulman de toutes les classes observe les prescriptions de son culte, les ablutions répétées, même avec le sable, faute d'eau ; la prière coupe ses travaux et ses loisirs en lui rappelant le but suprême et constant de la vie.
               Toutes ces prescriptions, souvent multiples des cultes ne sont assurément pas nécessaires mais elles maintiennent parfaitement la discipline du peuple entier qui s'en fait un point d'honneur.
               Ce qu'on nomme si singulièrement le respect humain, en France, sotte honte qui empêche tant de caractères faibles de se montrer religieux, est un sentiment inconnu en pays musulman ; et il est fort édifiant de voir avec quel scrupule, même dans les grandes villes, comme à Constantinople ou à Alger, les jeûnes du Ramadan des Musulmans sont observés.

               Les considérations relatives à la Pâque en Algérie et au culte Chrétien comparé au culte Musulman, touchent aussi aux brûlantes questions de l'Église et de l'État qui occupent aujourd'hui tous les hommes d'État et toutes les assemblées.
               Dans ces villes complexes de l'Algérie où la mosquée est voisine de l'église ou chapelle chrétienne, comme dans toutes les Échelles du Levant (ports et villes de l'empire ottoman situés au proche Orient ou en Afrique du Nord), ce grand et éternel problème social, l'équilibre des droits et des devoirs vient naturellement à l'esprit en même temps que le souvenir de la civilisation si brillante des Arabes dans les siècles passés.

               Résumons sommairement les phases dramatiques que ce grand peuple a traversées avant d'être :
               - déchu, vaincu, morcelé,
               - chassé de ses plus importantes conquêtes sur le continent.

               L'unité de Dieu, révélée à son fondateur Mahomet, par un saint moine d'Orient suffit :
               - à l'éclairer, à l'unifier,
               - à le faire compact et
               - à l'armer pour combattre les Chrétiens corrompus du Bas-Empire et les subjuguer.


               Si Mahomet n'eût pas été dévoré d'orgueil et ivre de volupté, il eût pu ranger tout son peuple de héros barbares sous l'étendard du Christ, devenir une sorte de Josué nouveau et porter le code chrétien dans les Indes comme dans les Gaules.
               Mais la passion du mysticisme si développée, si ardente chez les Orientaux, tous poétiques, le porta à se dire prophète. Il se fit à la fois thaumaturge (personnage réalisant des miracles) et législateur ; son Coran est le seul code civil des Musulmans. Quel adroit génie !
               - Il accorde la femme en pâture à ses brutaux soldats,
               - il la leur promet même pour paradis et
               - se figure qu'avec un tel mobile, si naturaliste, qu'il appelle divin, il va rendre toute la jeunesse, toutes les armées à jamais victorieuses et conquérantes !


               Chef d'un peuple aussi ancien qu'Israël, le voici qui réclame l'héritage du monde au nom du même Dieu !
               Il conquiert la Syrie, l'Égypte avec une rapidité et une vigueur foudroyantes, comme Samson, armé de sa mâchoire d'âne dérisoire, écrasait les Philistins (peuple sans doute originaire de Crête).
               Cet enthousiasme de la foi en un seul Dieu universel, créateur du monde et de l'humanité, est si ardent qu'il fait des prodiges absolument merveilleux.
               En effet, l'Arabe pasteur, enclin à la contemplation des nuits et des astres, devient savant astronome ; il invente les chiffres admirables de simplicité, l'algèbre, procédé synthétique, aussi utile, aussi fécond en résultats.

               Du style byzantin, il fait un art prodigieux :
               - de variété et
               - de richesse,
               - de formes et
               - de détails,
               - où l'arabesque élégante paraphrase le Coran et ses versets, dans les palais qui succèdent aux tentes nomades.

               Cet art merveilleux comme les alvéoles des ruches, ravit encore tous les plus savants voyageurs, de Cordoue au Caire et à La Mecque.

               Quelle gloire ! Ce peuple devenu assez grand pour comprendre et admirer le génie et les vertus des héros chrétiens, triomphe de tous les peuples d'Occident confédérés et vainqueur entre le cimeterre en main jusque dans le tombeau du Christ ! Il semble que la morale chrétienne soit éphémère et abandonnée du ciel.
               - La superstition, l'ignorance,
               - l'absolutisme règnent en Europe dans les masses populaires.


               La guerre a tout ruiné : Saint Louis fut réduit à recevoir les soins d'un médecin arabe, après sa défaite à Mansourah ! Mais Don Juan à Lépante et Sobieski sous les murs de Vienne sont suscités par Dieu, pour être les champions de la morale, c'est-à-dire de la civilisation chrétienne.
               Les grands rôles publics nationaux changent de camp ; la femme à qui Mahomet refuse même une âme, bien qu'enivré de sa beauté, restant esclave et captive des vices dans les harems, n'a pas les mérites et l'honneur de la maternité spirituelle ; elle met au monde des fils robustes, mais elle n'enfante pas des générations progressives.
               L'envahissement des Turcs, Gen-Gis-Khan, Timour-leng sont encore terribles mais repoussants.

               Bien que la fortune des Musulmans et leurs conquêtes fussent immenses et qu'ils eussent produit :
               - de grands capitaines et
               - des génies de toutes sortes,
               - des sages, même, comme Aroun-al-Raschid (le juste), le peuple entier ne tarda pas à s'avilir par cette seule raison que ce sont les femmes et non les lois qui font les mœurs.


               Le gouvernement absolu, sans contrôle, et théocratique a produit en Turquie des crimes inouïs et la ruine du peuple aussi bien que son avilissement dans le plus fécond des territoires et sous le plus heureux climat.
               On comprend donc quel prestige gagna le général Bonaparte dans sa campagne d'Égypte où il eut l'habileté de se poser comme le libérateur futur de l'Orient….bien qu'il méditât, à ce moment même :
               - de violer les lois,
               - de confisquer à son profit personnel les libertés de son pays

               Je ne saurais insister davantage sur ce sujet.

               La conquête et la transformation de l'Algérie, repaire affreux de corsaires, est :
               - un bienfait pour toute l'Europe,
               - une occasion d'apostolat pour le christianisme et
               - une compensation à la perte cruelle et successive de toutes les colonies françaises.


               Je désirerais encore revenir ici sur les deux systèmes de colonisation anglaise et française pour tirer de leur comparaison quelques conclusions pratiques montrer :
               - que le système français est une sorte de protectorat officiel,
               - que l'État prétend exercer au moyen de la lourde machine appelée centralisation, de telle sorte que les administrateurs constituent, soit un monopole, soit une autorité exclusive, plus ou moins absolue, auxquels rien n'échappe.


               Le système anglais est tout différent. Il tend, au contraire :
               - à exciter l'initiative individuelle,
               - à vulgariser l'enseignement moral et religieux, de telle sorte qu'il remplace le code pénal.


               User sagement des libertés publiques et du fécond pouvoir de l'association, voilà la source du succès de toutes les colonies anglaises qui, pour la plupart, se gouvernent elles-mêmes.
               L'Australie a bâti, sans le secours de l'État, des villes et des cathédrales sans nombre depuis 1830 tandis que l'Algérie a vu s'éteindre, sans espoir, plusieurs générations de malheureux colons.

               Il me faut, avant de quitter Alger contempler encore :
               - ces maisons,
               - ces palais maures

               Si curieux et si riches avec :
               - leurs colonnades de marbre,
               - leurs galeries suspendues,
               - leurs moucharabiehs (grillage fait de petits bois tournés et assemblés permettant de voir sans être vu),
               - leurs voûtes à alvéoles supportées par des murailles bordées d'arabesques où toute l'organisation est tirée des divers agencements de la ligne droite et de la courbe enlacées dans quelque verset du Coran.


               Car la loi de Mahomet interdisant sévèrement la reproduction des figures d'hommes ou d'animaux, en un mot de tout ce qui a eu vie, il a fallu des prodiges d'habileté pour varier ainsi à l'infini les combinaisons du décor. C'est surtout :
               - à l'archevêché,
               - à la cour d'assise,
               - à la maison de Mustapha-Pacha, musée actuel,
               - à celle de la rue des lotophages (peuple imaginaire mentionné dans l'Odyssée d'Homère), enfin
               - à tous ces palais faisant partie de l'ancienne djénina (palais) du Dey que l'on se plaît à admirer le véritable génie des artistes et des architectes arabes.


               Puis :
               - les riches mobiliers,
               - les tapis splendides, objet d'une fabrication si ancienne chez les femmes de l'Orient et dont les laines, décolorées par le temps, ne reçoivent jamais le pied que dépouillé de ses babouches,
               - les tentures de soie et de velours retraçant des pages entières de poèmes sacrés (mollawah), brodés avec un luxe inouï d'or et d'argent, rehaussées de pierres précieuses,
               - les divans au moelleux coussins,
               - les meubles incrustés de nacre et d'ivoire,
               - les étagères bariolées,
               - les tables de bois d'érable, d'olivier, de palmier, surchargées de coffrets à bijoux,
               - des chapelets en pâte de rose,
               - d'aiguières,
               - de vases ciselés de capricieuses arabesques, fouillées comme des objets de l'Inde ; - les gros coffres peints de vermillon, avec découpures, fermoirs, appliques, serrures d'un fini merveilleux,
               - les Corans couverts d'ornements enfermés dans une boite d'où pendent les cordons destinés à les suspendre à l'épaule quand on part en pèlerinage,

               - cithares,
               - théorbes (sorte de luth à sonorité grave),
               - violes, cornemuses,
               - harpes, flûtes, mandolines ;
               - les machbakours, cassolettes à parfum,
               - les riches narghileh terminés par le bout d'ambre,
               - les lanternes ajourés,
               - les hauts chandeliers, chefs-d'œuvre de bronze,
               - les faisceaux d'armes remontant à Saladin,
               - les harnachements de chevaux et
               - mille autres merveilles que le respect inné des vieilles traditions de l'art chez les Arabes a conservées jusqu'à nos jours.


               Qu'il a dû être contrarié ce Dey quand on lui a pris tout cela, tout pour un malencontreux coup de chasse-mouches ! et sa ravissante Kasbah, cette ville féérique que l'on voudrait conserver dans un écrin, avec ses terrasses d'où l'on guettait les pirates au retour de la course, ses rues sans issue, ses échoppes et ses petites niches où les tolbas accroupis se succèdent depuis des siècles, copiant le Coran avec un roseau dont ils font trois plumes :
               - une en rouge pour les rubriques,
               - une en jaune pour les points-voyelles et
               - l'autre en noir pour le texte.


               Que de merveilles accumulées sur un seul point, profond sujet d'études pour le penseur !
               La nouvelle Algérie saura-t-elle résister au mouvement qui l'entraine sans cesse vers la colline ?
               Saura-t-elle conserver ce coin d'Orient qu'elle a déjà tant défloré ?
               Ce joyau dont elle a arraché bien des perles, ou cèdera-t-elle à la fatale manie de la rue alignée avec maisons de carton et de plâtre ? Le jour où la ville arabe aura disparu, Alger pourra s'écrier comme le Rouen actuel :
               Adieu touriste, adieu l'artiste et le savant !
Six semaines en Algérie par le vicomte de Pulligny
- Chancelier de la légion d'Honneur,
- Officier de l'Instruction Publique,
- Membre correspondant des sociétés scientifiques de France et de l'étranger.
Édition 1884.


Les animaux
De M. Louis Aymé



       Quel animal court le plus vite ?
       Le pou, car il est toujours en tête

       Que fait un canard quand il a soif ?
       Il se tape une cannette

       Savez-vous comment communiquent les abeilles ?
       Par e-mail ....

       Une poule sort de son poulailler et dit :
       "brrr, quel froid de canard."
       Un canard qui passe lui répond :
       "Ne m'en parlez pas, j'ai la chair de poule."

       Pourquoi les coqs ont-ils des ailes et les poules pondent-elles des œufs ?
       Parce que les coqs ont besoin "d'elles" et les poules ont besoin "d'eux"

       Deux coccinelles font la course. Au bout d'un moment une s'arrête et dit :
       "STOP !!! J'ai un point de côté !!!"

       Que se disent deux chats quand ils sont amoureux ?
       "Nous sommes félins pour l'autre"­­­

       2 mites se rencontrent dans un pull l'une dit :
       - Où vas-tu en vacances cette année ?
       - Au bord de la Manche

       Un vieux rat rencontre une petite taupe. Curieux, il lui demande :
       - Que veux-tu faire plus tard, ma petite ?
       - Taupe-modèle!

       Deux souris voient passer une chauve-souris... :
       - Regarde un ange !!!
Auteur inconnu          




Les Arts, les Lettres, les Sciences en Algérie.
Envoi de M. Christian Graille
I

               Quand un pays atteint un certain degré de civilisation, il ne se borne plus à produire ce qui est indispensable à la vie matérielle. L'aisance générale, les loisirs suscitent :
               - le besoin des belles choses,
               - des plaisirs délicats,
               - des travaux de l'esprit.

               Les Arts, les Lettres, les Sciences se développent.

               Dans cet ordre d'idées l'Algérie ne peut être encore bien avancée.
               Les Français, à leur arrivée, ont trouvé ce pays très en retard avec son sol aux trois quarts en friches, sa population indigène besogneuse et bornée.
               Leurs préoccupations ont été pendant longtemps dirigées vers les problèmes les plus urgents de l'exploitation de la terre ou accaparées par les difficultés que posait la coexistence de plusieurs races.
               Aujourd'hui la société française a définitivement pris racine dans la Colonie.
               Elle prospère.

               Les manifestations de l'Art et de la pensée intéressent le public cultivé.
               - Les Arts, les Lettres, les Sciences
               produisent des œuvres qui retiennent l'attention générale.
               Elles se rattachent à la culture française mais elles empruntent à l'inspiration algérienne un caractère particulier.

II

               De tous les Beaux-Arts la peinture est celui qui est le plus épanoui.
               L'intensité de la lumière donne un grand éclat aux paysages méditerranéens. Elle a suscité en France et à l'étranger des artistes dont les tableaux se recommandent surtout par la richesse du coloris. On les appelle " orientalistes ".
               La plupart des peintres algériens se rattachent à cette école.
               Ils ouvrent chaque année à Alger des " salons " c'est-à-dire des expositions de peintures où les amateurs viennent juger les œuvres nouvelles.
               Deux artistes algériens, parmi beaucoup d'autres, se sont fait une renommée qui a dépassé les limites de la Colonie :
               - Noiré, paysagiste très brillant,
               - Dinet, peintre des milieux arabes qui a fixé sur la toile les physionomies ardentes, expressives des gens de Bou-Saâda.

               Il faut citer encore parmi nos meilleurs peintres :
               - le paysagiste Deshayes et
               - le peintre d'histoire Rochegrosse.

               L'Architecture s'essaie depuis quelques années à adapter aux besoins de notre vie occidentale les grâces de l'art mauresque, si bien approprié au climat.
               Dans ce genre l'œuvre la plus heureuse paraît être la Medersa d'Alger.

III

               Les lettres prennent de l'essor. On ne doit légitiment considérer comme écrivains algériens que ceux qui ont vécu longtemps en Algérie ou dont les œuvres importantes sont d'inspiration algérienne.
               Parmi ces écrivains, Fromentin, sous le Second Empire, sut décrire avec beaucoup de vivacité pittoresque la vie algérienne sur le littoral et dans le Sud.
               Ses deux ouvrages :
               - une année dans le Sahel,
               - un été au Sahara

               sont toujours lus avec agrément.

               Plus près de nous une femme, Isabelle Eberhardt s'est signalée par ses chaudes et originales " notes de route ", " nouvelles algériennes, etc.
               De notre temps un écrivain de haute valeur, L. Bertrand a peint la jeune société algérienne issue du mélange des races.
               Son œuvre principale est le sang des Races.
               Une pléiade de romanciers et de jeunes poètes est actuellement en plein éclat à Alger, capitale intellectuelle et artistique de l'Algérie.

IV

               Le mouvement scientifique a également son centre à Alger et particulièrement à l'Université fondée dans cette ville en 1879. Les maîtres de cette Université n'ont pas seulement à préparer les étudiants à leurs examens :
               - de droit,
               - de médecine,
               - de langue arabe etc.


               Hommes de sciences ils ont mission de cultiver les Sciences et d'en tirer pour l'Algérie les applications possibles. Ainsi sont étudiées :
               - la géologie du pays,
               - sa flore,
               - sa géographie,
               - son histoire,
               - les langues,
               - les civilisations indigènes,
               - les législations applicables aux diverses populations,
               - les maladies spéciales à la région.


               C'est toute l'exploration scientifique de l'Algérie qui se poursuit sous la direction de maîtres éminents.
               Un certain nombre d'institutions sont rattachées à l'Université d'Alger :
               - l'Observatoire de Bouzaréa,
               - l'Institut Pasteur d'Alger,
               - La station d'agriculture de pêche de Castiglione.
               - Il faut joindre à ces établissements le Jardin d'Essai créé en 1832 pour l'étude des cultures à introduire dans la Colonie et qui a conservé sa fonction de station botanique tout en devenant un parc ouvert au public et la promenade favorite des habitants d'Alger.


               Parmi les savants algériens un nom mérite une place à part, celui de Maupas, bibliothécaire à Alger, qui employa tous ses loisirs à étudier solitairement certains organismes microscopiques, les infusoires.
               Il fit dans ce domaine des découvertes que l'on a classé parmi les naturalistes de premier ordre.
L'Algérie : Histoire, colonisation, géographie, administration,
par P. Bernard et F. Redon. Édition 1926



Akhbar, journal de l'Algérie. Année 1845.
Envoi de M. Christian Graille

               Ce journal Akhbar (on lit sur la page de garde " payé à Legendre le 24 février 1891 : la reliure de ce journal d'Alger coûte 3 francs ") commence à paraître le 12 juillet 1836, les jeudis et dimanches jusqu'au 20 mai 1845, puis aussi le mardi pour 20 francs par an en Algérie et 25 francs " pour les autres points de la Régence et la France. "
               Il est l'un des successeurs de " l'Estafette " qui fut, dès 1830, le premier journal paru en Algérie le 25 juin payé pour trois jours ! Il publie :
               - Les annonces légales, judiciaires, administratives, commerciales.

               Il sera suivit en 1844 de son équivalent, l'écho d'Oran.
               Le fondateur d'Akhbar, Auguste Bourget, né en 1798, suivra habilement la ligne politique du moment.
               La presse algérienne gardera néanmoins une grande liberté d'expression, comme en témoigne les articles de fond sur les différents aspects économiques et politiques de la colonisation.
               Auguste Bourget décède le 9 février 1862.

               Revenons aux informations des journaux de l'année 1845.
               Ce qui frappe le néophyte c'est le niveau de sophistication du journal qui relate :
               - les mouvements de passagers,
               - les petites annonces (emploi, immobilières, commerciales),
               - les listes de prix,
               - les informations judiciaires,
               - le feuilleton aux thèmes variés,
               - les nouvelles de la guerre contre Abd-El-Kader,
               - l'intérêt pour la vie du bled et les pratiques musulmanes,
               - les informations relatives aux différentes régions,
               - tout cela sur 4 grandes pages et 3 fois par semaine !


               On retire le sentiment d'un pays en pleine effervescence avec des villes dynamiques, Alger étant extrêmement bien organisée et administrée en tous points semblable aux villes métropolitaines avec en plus les différents mouvements maritimes de passagers et de marchandises avec le bassin méditerranéen, tout cela 15 ans après l'arrivée des Français !
               Ceci contraste avec les évènements du bled où la guerre contre les tribus alliées à Abd-El-Kader fait rage, les alliances se faisant avec certaines tribus contre leurs voisins, cette guerre dont les terribles tragédies ont endeuillé l'année 1845 comme celle des grottes du Dahra avec plusieurs centaines de victimes par asphyxie de la tribu Ouled Rhia qui provoquèrent la réaction indignée du colonel Dubern et celle du fils du maréchal Ney à la chambre des Pairs.

               Une autre tragédie : l'embuscade de Sidi Brahim, suite à une trahison, où 5 chasseurs à pied sur 450 survécurent, recueillis par le caïd Nekkach… L'Akhbar du mardi 30 septembre 1845.
               Le contexte en France était celui de l'instabilité permanente de la Monarchie de juillet (1830-1848) qui créait les conditions d'une répression brutale des émeutes dont celles de 1831, 1834, juin et juillet 1848 à Paris, provoquées par :
               - la situation de la classe ouvrière,
               - les épidémies,
               - les mauvaises récoltes de 1846.
               - Beaucoup d'émeutiers ou d'opposants politiques de 1848 et 1851 furent " transportés " en Algérie.
               - Il est de règle que les articles, tout au moins ceux de 1845, ne soient pas signés, la responsabilité de la ligne éditoriale incombant au directeur de la publication.

               Quelques exemples :
               - Jeudi 6 mars 1845 n° 552 : La page d'annonces.

               A noter les cours d'Arabe.
               - Mardi 9 mars 1845 n° 553 : Explosion des parcs d'artillerie et de la Marine à Alger. Cette catastrophe qui détruisit le quartier de la marine fit de nombreuses victimes civiles et militaires.
               - Jeudi 24 avril 1845 n° 566 : Feuilleton " un carrousel dans la plaine de Mustapha " où apparaît le mot " nostomanie " ou nostalgie du pays.
               - Jeudi 1er mai 1845 : intéressant article sur le boisement en Algérie avec des préoccupations troublantes d'actualité, tremblement de terre à Douéra et invasion de sauterelles vers Alger et Bougie.


               Dans la rubrique judiciaire la condamnation d'un médecin " dont les désirs désordonnés et contre nature bouillaient dans son cerveau despotique " abusant de patientes sans défense.
               - Mardi 15 juillet 1845, en dernière page la création du village de Fontainebleau et une annonce sur " les maladies secrètes ".
               - Mardi 3 juin 1845 n° 580, feuilleton théâtre : " Ernani " joué à Alger par une troupe italienne.
               - Jeudi 12 juin 1845, feuilleton : " une fête chez les Beni-Hemmena : la circoncision d'un jeune garçon ".

               Promenade en bateau à vapeur à Sidi-Ferruch.
               - 19 juin 1845, un pèlerinage à la Mecque ; narration de Mohamed Ben Lekhal.
Alain Monot " Mémoire vive "
Revue du Centre de Documentation Historique sur l'Algérie C D H A
N° 68. 1er trimestre 2018


Les beaux-arts.
Envoi de M. Christian Graille
Chapitre XIX.

               Ce chapitre pourrait être court, je devrais l'écrire : il y a un peintre en Algérie Noiré. Point, à la ligne, c'est tout.
               Cela suffirait si j'étudiais uniquement les Beaux-Arts de l'Algérie. Mais je les apprécie du point de vue transplantation d'un groupe ethnique, etc.., etc.
               Alors il ne suffit pas de constater que dans la foule des gens qui font de l'art plastique, de l'art pictural en Algérie, un seul artiste émerge, Noiré.
               Pour le génie de Noiré, quelque détail de son œuvre et ce que j'en pense, je renvoie le lecteur au chapitre XXXI de mon livre la question du Maroc (Dujarric éditeur 1903 Paris.)

               L'effort des Algériens, race nouvelle, en matière de Beaux-Arts, je vois les mêmes caractéristiques défauts que dans leur effort en matière de littérature.
               Mais, si nous avons le droit de nous montrer impitoyables en condamnant leurs méfaits contre la langue et la pensée françaises, contre notre génie littéraire, si nous avons le droit de renvoyer à l'égout ces gens de la Dépêche qui apparente Cagayous à Montaigne… nous pécherions d'injustice en accablant tous leurs pauvres ouvriers de la couleur, de la forme…
               La nullité algérienne en matière de Beaux-Arts, la race nouvelle n'en est pas seule responsable. Nous aurions mauvaise grâce à vouloir d'elle ce que nous ne possédons pas chez nous ; ce que nous ne savons que d'hier, que depuis Noiré…

               Voilà qui fera sourire toutes les médiocrités rageuses de la critique algérienne…
               Oui, vous pouvez illustrer, ajuster :
               - vos lunettes, vos lorgnons,
               - vos monocles pour voir si Noiré cette semaine a songé qu'il devait acheter des souliers neufs… car c'est à la correction des bottines que la critique algérienne apprécie le mérite… mais vous feriez mieux de regarder ses tableaux et d'essayer d'y comprendre quelque chose.


               Et je veux bien vous dire comment vous pourriez comprendre …
               C'est que le nombre et l'harmonie du nombre est l'essentielle condition de beauté pour tous les arts.
               - Le chinois a depuis fort longtemps expliqué l'harmonie mathématique des sons dans la musique. Il a montré celle des lignes dans ses grandes architectures.
               - L'art grec vient de cette géométrie reprise.
               - Le décor arabe, de cette géométrie reprise.


               C'est le nombre et l'harmonie du nombre. On l'ignorait dans la couleur.
               - Corot,
               - Claude Monet,
               - Pissarro l'ont pressentie,
               - Noiré l'a révélée.


               Ses toiles sont pour nos yeux ce qu'en musique est pour nos oreilles un accord parfait ; ce qu'en mathématique est pour notre esprit une équation, un théorème ; et cela pour les mêmes raisons du nombre, en respect des règles absolues du nombre, l'harmonie de tous les tons justes, pour un ensemble juste qui est la beauté.
               Mais tout cela qui n'est admis, compris chez nous que par une élite nous ne saurions en vouloir à Cagayous et Pépète le Bien-Aimé de l'ignorer…
               Surtout quand nous voyons quels écrivains prennent soin de former son goût.

Chapitre XX.
L'instruction, l'enseignement.

               Il faut rendre cette justice à tous les gouvernements, quels qu'ils fussent, qu'ils ont toujours fait leur possible pour " instruire " l'Algérie. L'instruction a toujours été une des grandes préoccupations publiques de la colonie.
               L'Algérie en a toujours eu la coquetterie louable.
               Il est regrettable seulement que le " particulier " sur ce sujet ne soit pas toujours d'accord avec le " public ".
               Je ne voudrais point qu'on m'accusât d'imiter le classique anglais notant les cheveux roux de la femme de Calais.
               Mais voici un petit fait symbolique.
               En tramway. Un gros homme au conducteur
               - ça doit vous fatiguer ce métier ?
               Le conducteur, croyant que cet obligeant fait allusion aux longues heures qu'il doit passer debout :
               - mais non…avec l'habitude… et puis nous nous asseyons quelquefois…
               - ce n'est pas ça… riposte l'autre en désignant du doigt la sacoche et le rouleau de reçus… mais le travail intellectuel !

               La nouvelle race est effrayée par le travail intellectuel. Cela est normal.
               Nous avons vu que le phénomène naturel chez la race en transplantation, c'est l'effort pour la nutrition et la reproduction.
               L'effort intellectuel sera naturel… plus tard… si la race s'adapte, prend sur le sol.
               En attendant, la masse a sur l'effort intellectuel les idées de mon voyageur en tramway.

               M. de Peyerimhoff, qui nous est un informateur précieux, un informateur officiel a fait la même constatation. Pas en tramway. Aux séances du Parlement algérien.
               Quand on parlait des écoles d'agriculture, on y disait que les jeunes algériens riches n'avaient qu'à se présenter aux écoles de France. " Pour entrer oui mais il y a des examens dans ces écoles dit M. de Peyerimhoff, des examens difficiles. " Alors nos jeunes gens suivent la foule qui entre par les grandes portes toujours ouvertes de droit, de médecine (17 mars 1904.)
               Il revient plusieurs fois sur cette constatation.
               Le 21 mars 1904 il dit : " Mais dans les écoles supérieures de la métropole on n'entre qu'après des concours très sérieux, très difficiles, de sorte que beaucoup de jeunes gens qui feraient de bons agriculteurs ne peuvent y pénétrer. "

               Et à la séance plénière du 24 mars 1904 : " Dans les écoles de France, comme on vous le faisait remarquer tout à l'heure, on n'entre pas comme dans un moulin. Il y a des examens très difficiles. "
               Diable !... diable !... Est-ce que l'Algérie aurait tant désiré ses écoles supérieures pour y entrer " comme dans un moulin " ?
               M. de Peyerimhoff, je vous le dis, est précieux… pour nous.
               Mais l'Algérie qui tient si passionnément à lui aurait tout de même le droit de trouver qu'il est un maladroit ami. " Comme dans un moulin ! "
               Ce n'est pas le pamphlétaire qui le dit, c'est le directeur de l'agriculture algérienne, un des plus hauts fonctionnaires du gouvernement général, c'est M de Peyerimhoff qui le constate : à la jeunesse qui incarne l'effort intellectuel supérieur de la race nouvelle il faut des écoles où l'on entre comme dans un moulin.
               Et si nous en croyons M. le docteur Trabut, il faut même, que ce soient de gais moulins.

               Vantant un lieu qu'il propose pour l'établissement d'une école supérieure, cet honorable fonctionnaire écrit : " Il se trouve admirablement placé pour donner aux élèves, les jours de congé, la facilité d'assister aux spectacles. " Voilà de bons documents de mentalité algérienne ; ne pas subir d'examens difficiles, puis se distraire au spectacle, voilà les conditions de l'enseignement supérieur algérien que nous disent M. de Peyerimhoff et le docteur Trabut. Croyons-le et concluons logiquement. Cet enseignement supérieur qui coûte 500.000 francs par an est inutile.
               Qu'on le supprime! 500.000 francs seraient beaucoup mieux employés en bourses pour les Facultés de la métropole. Mais puisqu'il leur faut des écoles où l'on entre comme dans un moulin… eh bien, ils se contenteront de l'enseignement secondaire et de l'enseignement primaire.
               On me permettra de ne point m'arrêter à faire un tableau plus complet des hautes études algériennes et des jeunes gens qui se livrent, jeunes gens qui font beaucoup de bruit partout où n'est point leur place et, pour compléter le " comme dans un moulin " de M. de Peyerimhoff, de citer un simple détail.

               Les statistiques officielles publiées en 1904 pour l'année 1902 (page 98) nous apprennent qu'il y a bien trois auditeurs au cours d'égyptologie mais pas un au cours de langue et littérature françaises.
               - Cela n'est pas des phrases,
               - cela n'est pas des observations contestables, c'est le fait. Brutal et navrant.

               Pas un des jeunes gens de la race nouvelle qui veut à son esprit haute culture ne suit le cours de " langue et littérature françaises " à l'école supérieures des lettres d'Alger. Philosophez là-dessus.

               Pauvre professeur de langue et littérature françaises… pas même la ressource de son cocher comme notre légendaire professeur de sanscrit (ancienne langue de l'Inde) au Collège de France !
               J'espère que lorsque l'école supérieure d'Alger sera devenue Faculté et que M. Musette ou quelqu'un de ses disciples y enseignera la langue et la culture de Cagayous, il aura plus de monde que nos infortunés professeurs de langue et littérature françaises.
               Heureusement qu'il y a les établissements d'enseignement secondaire et d'enseignement primaire avec " auditeurs forcés " pour les cours de Français…
               M. Jonnart a compris la nécessité d'un effort pour sauver avec la langue le caractère français dans la colonie. Et les budgets comprennent pour ce des dépenses de plus en plus grandes.
               Mais ce qui parait inquiétant, c'est qu'un délégué financier, M. Jolly ait ainsi caractérisé l'enseignement que veut le parlement algérien :
               " Un enseignement complet, absolument français dans ses origines et dans sa structure, mais algérien dans ses ramifications. "

               Maintenant que vous commencez à vous faire une idée de ce que signifie algérien, vous penserez que cet enseignement doit être français en tout.
               Et si vous consultez les statistiques du recrutement où l'on voit sur 5.721 conscrits :
               - 577 ne sachant ni lire ni écrire,
               - 202 sachant seulement lire,
               - 1115 sachant lire et écrire mais pas compter.


               Il ne faut pas attribuer :
               - au brevet de l'enseignement primaire,
               - au certificat d'études une importance exagérée, mais 102 conscrits seulement l'ayant, sur 5.721 peut-être n'est-ce pas assez.

               Il est vrai qu'on a le droit d'espérer mieux pour dans quinze ans.
               Car maintenant 116.982 enfants reçoivent l'enseignement des écoles primaires.
               Les statistiques auxquelles nous empruntons ce chiffre seraient parfaites si elles nous donnaient la proportion d'étrangers, et surtout d'Indigènes musulmans dans ce chiffre.

               Pour dire brièvement le caractère de la race nouvelle que révèle l'instruction, l'enseignement algérien c'est : tendance au moindre effort intellectuel ; et cela pour deux raisons. La naturelle, la paresse et une autre qui vous apparaîtra moins naturelle.
               L'Algérien croit que sa supériorité intellectuelle le dispense de l'effort auquel le Français, lui se croit obligé.
               Nous avons cité la répugnance algérienne à faire le même temps de service militaire que le Français.
               Depuis le temps qu'il jouit de ce privilège l'Algérien est arrivé de bonne foi à croire qu'il le doit non point, aux exigences de la colonisation alléguées par ses députés, mais sa supériorité d'intelligence.
               Il est persuadé que si trois ans, que si deux ans sont nécessaires au Français pour devenir un soldat passable, un an lui suffit…à lui.

               Cet état d'esprit du jeune soldat existe :
               - chez l'écolier,
               - chez le collégien,
               - chez l'étudiant,
               - chez le littérateur,
               - chez l'artiste.

               Ils n'ont pas besoin d'effort pour savoir. Leur intelligence naturelle les dispense d'apprendre.
La vérité sur l'Algérie, Jean Hess. Édition 1905.


L'esprit nouveau, la poésie nouvelle,
la langue nouvelle de la race nouvelle
Envoi de M. Christian Graille

               C'est triste…Aussi demandons un peu de gaieté à leur esprit. Comme de toutes leurs qualités, c'est aux moments de crise qu'il faut en chercher l'expression la plus subtile. En antisémitisme.
               Mon garçon coiffeur, un jour que je le complimentais, l'ayant trouvé spirituel m'a dit : " Ici on a de l'esprit tout naturellement…ça ne compte pas…le mien est insignifiant…mais celui de M. Moussat !... "
               M. Moussat est en Algérie l'homme d'esprit. Il y fait les revues et les chansons à succès. Voici un échantillon de ses couplets :
               Beaucoup plus cruel qu'Agrippine
               Dont certes il n'a pas la beauté,
               Il faut espérer que Lépine
               Nous débarrassera de ce raté.
               Nous avons assez de sa morgue
               Et de son air outrecuidant…
               Qu'on le nomme gouverneur de la morgue,
               C'est la place de Bonbon Fondant.


               C'était pour ennuyer le préfet, dans le Télégramme du 11 octobre 1897.
               On le voit pas méchant, méchant… Ceci non plus :
               Régis, jeune héros, au cœur brave et stoïque,
               Des Juifs algériens a pu sonner le glas.
               Sa plume et son épée ont frappé les Judas
               Qui bientôt vont quitter notre terre d'Afrique…


               C'est que c'était publié par le Télégramme où les plaisanteries les plus risquées, pour ne pas trop déplaire aux fondateurs et gros actionnaires de ce journal, gens de goût, ne pouvaient dépasser ceci :
               Le consistoire israélite vient de demander à l'autorité supérieure la suppression de l'enseigne d'un restaurant de la rue de Tanger, ainsi conçue : " A bar… chie… chat " par allusion délicate au nom de Barchichat qui est celui d'un Juif notable.
               Toutes les calembredaines sont pour certains esprits tout nouveau qui parait du plus fin aux jeunes gens bien élevés…

               J'ai même connu des gens sérieux, de haute situation, qui ont réputation d'esprit et qu'on invite à diner pour leurs calembours. Ils ont des cabarets littéraires :
               - Le Clou,
               - la Purée,
               - des arrières-brasseries,
               - des sous-sols…

               Quelque chose d'un comique lamentable, mais dont ils sont très fiers…

               N'oubliez pas que Sarah Bernhard de tout l'éclat de son génie fut sifflée par eux.
               Car ils n'admirent bien que :
               - ce qui est de chez eux,
               - que ce qui est eux,
               - que ce qui devient eux….

               Ainsi il y a dans la rédaction de la Dépêche un brave immigré qui fait tout ce qu'il peut pour devenir plus Algérien que nature.
               Les Algériens connaissant les coins de l'horizon, lui a voulu en trouver le bout.

               Et il l'a trouvé. Rose. Il le chante en beaux vers que les jeunes filles mettent en musique. Le bout rode de l'horizon du poète leur plait Çà va très bien. Il devient populaire. Le poète s'entend. Mais ne va-t-il point s'aviser de publier qu'il est un vaincu !
               Las de la lutte ardente et toujours sans merci,
               Je suis sorti des rangs, résigné, mais sans haine ;
               Et j'ai dit aux vaincus mes frères : " me voici !
               Je veux ma part de paix éternelle et prochaine ! "
               Tranquille ayant jeté mon rêve sous les pieds
               Et mis sur ce que j'aime un funéraire voile,
               J'ai reposé mon front sur l'herbe des sentiers
               Pour regarder aux cieux ascender ton étoile !
               Parmi les oubliés arrêtés dans l'essor,
               Parmi les ignorés qu'un trop long rêve tue,
               Au front des nuits j'ai vu briller ton astre d'or …
               Celui que les destins ont vaincu te salue !


               Ce charabia c'était la bonne versification algérienne avec toutes les hardiesses d'images qui charment les clients de l'Athénée… " Le front sur l'herbe pour regarder aux cieux ", à Marseille on s'étonnerait ; en Alger c'est naturel ; on comprend.
               - Mais ce que l'on ne comprend pas, c'est qu'un homme soit las de la lutte ardente, car on est dans un pays d'ardents lutteurs jamais las,
               - mais ce que l'on n'admet pas, c'est qu'un homme se dise vaincu...même par le destin, ça jamais.

               A peine est-il permis d'accepter la victoire de la mort. Et encore est-ce pour lui demander des ailes afin de remonter au ciel.

               Le poète Henri Sans l'a bien compris, lui qui nous a dit :
               Comme l'oiseau meurtri par la terrestre fange,
               Notre âme erre, ici-bas, dans le regret des cieux
               Où n'ont pu la garder ses blanches ailes d'anges
               Trop frêles pour une âme au vol audacieux.
               Mais au seuil du tombeau refleurit l'espérance.
               Malgré l'exil amer où nous retient le sort,
               Nous trouverons enfin, dans l'ultime souffrance,
               Pour remonter au ciel, les ailes de la mort.


               Henri Sans est un poète qui, à la gloire tapageuse offerte aux artistes algériens par Paris, préfère les lauriers plus discrets d'Alger.
               Il me serait impossible de passer en revue tous les poètes jeunes et vieux, mâles ou femelles de l'Algérie… vraiment il y en a trop…
               Et c'est toujours quelque chose dans le genre de ce qu'on vient de lire.
               De vagues réminiscences d'harmonie. Dans le démarquage ça tient à peu près.

               Dans l'inspiration personnelle ça boîte. Et ça fait un rythme singulier ; un mélange d'images et d'idées amenées par les hasards du mot, du nombre de syllabes exigées. Et le terrible c'est que le climat porte au lyrisme.
               Ils se croient tous forcés de chanter. Un officier file dans le Sud, il faut qu'il rimaille. De braves garçons qui parfois écriraient bien en prose s'ils voulaient être simples et se contenter de dire bonnement ce qu'ils ont à dire, quand ils ont quelque chose à dire, éprouvent le besoin de se montrer ridicules par de mauvaises petites poésies… C'est une maladie qui se prend. Je me suis vu sur le point de l'avoir.
               On me fit heureusement lire quelques sonnets de M. Lys du Pac et ça m'a guéri.
               Tout cela est beaucoup plus mauvais qu'en Haïti où le climat porte aussi effroyablement à la poésie.

               Bref, si on voulait caractériser la déformation :
               - du rythme,
               - de l'harmonie et
               - du sentiment français dans la poésie vraiment algérienne on pourrait dire que les poètes de la race nouvelle ont fait de la lyre un bigophone et qu'ils en jouent tout le temps.

               Observez que je rends hommage à leur tempérament de gens de progrès. Je n'ai pas dit mirliton. Cette altération :
               - du rythme, de l'imagination, du sentiment
               Se complique d'une inquiétante déformation de la langue dans presque tous les écrits algériens. C'est l'impression que l'on éprouve à la lecture des journaux et des documents officiels.
               Je ne voudrais pas abuser des citations de la prose de M. de Peyerimhoff, mais cette prose est caractéristique et montre combien rapidement agit l'ambiance.

               Il n'y a pas besoin d'être " fils d'acclimaté " pour ne plus parler français. Je vous ai dit que ça se gagnait. Après peu d'années de séjour M de Peyerimhoff n'a plus rien, sur ce propos, à envier à M. de Soliers.
               Je vous avais lu les écrits de M. de Soliers et que vous avez gardé le souvenir de ses images telles que : " Les faits actuels qui seuls rentrent dans le giron de l'arithmétique. " (Rapport budget 1903) ou que : " les crédits reproducteurs. "
               (Rapport budget 1903) ou que : " Même soumis à une responsabilité atténuée le gouverneur ministre sera parfois emporté par les crises violentes qui éclatent certains jours sur les bords de la Seine. Mais ces crises deviennent de moins en moins fréquentes, et dans tous les cas le représentant de la France et de l'Algérie ne naviguera plus sur une mer constamment tourmentée où le plus habile pilote, après avoir doublé les récifs de Charybde, ( monstre marin de la mythologie grecque) n'est jamais bien sûr d'échapper aux gouffres de Scylla. (Monstre marin de la mythologie grecque.) (Rapport budget 1903).

               Vous jugez que c'est difficile, impossible. Mais M. de Peyerimhoff est un homme fort et ne veut se laisser battre sur aucun terrain par M. de Soliers. Lisez : " Il y a dans votre constitution un luxe de formalités, de précautions peut-être excessives qui ont pour but quoi ?
               De limiter vos pouvoirs ? Non, messieurs certains d'entre vous n'en ont peut-être pas encore mesuré toute l'étendue mais de canaliser vos efforts dans un sens véritablement pratique et efficace, de faire de vous, quoi ?
               Des pseudo-députés, d'autres conseillers généraux ? Non pas, les négotiorum gestores de la colonie entière.
               - Vous êtes une assemblée d'affaires, par opposition aux assemblées politiques,
               - vous êtes un conseil d'administration : délibèrent-ils dans la poussière de la place publique ? Le régime que l'on sollicite pour vous serait un brusque et dangereux tournant dans votre évolution et il contredit toute l'orientation et la demande que vous en feriez serait comme une indication alarmante que vous ne vous êtes pas compris vous-même. "


               Ailleurs il leur dit à ces bons negotiorum gestoribus : " Je vous prie Messieurs, de vouloir bien réserver à cette question toute la maturité et tout le recul qu'elle comporte. "
               Et c'est comme ça toujours…

               Dans ce qui l'on pourrait dire la littérature d'affaires, la littérature politique de l'Algérie on observe :
               - une pauvreté de pensée,
               - une confusion de conception,
               - une incohérence d'expression…

               Les mots sont désaffectés. On les emploie indifféremment.
               La richesse de notre langue, il semble que les Algériens la considèrent comme M. de Peyerimhoff notre budget " qu'ils doivent conserver avec elle des formes variables et détournées. "

               Il se passe également dans leur esprit quelque chose d'analogue à ce que l'on voit sur " les chantiers neufs ". L'ouvrier se sert instinctivement des outils.
               Comme il n'en a point beaucoup, il les adapte à tous usages. Quand la civilisation lui en donne beaucoup, l'habitude est prise. C'est la confusion.
               C'est le cas des mots de la langue française dans le vocabulaire de la nouvelle race. Ou bien l'Algérien emploie le même mot pour désigner les réalités les plus diverses, ou bien quand il veut richesse, variété, il confond.
               Tel un " moutchou " qui met les étiquettes marmelade sur les pots de cornichons et réciproquement ; la confusion qui caractérise leurs poètes dans l'emploi de l'image, qui leur fait dire que pour voir au ciel ils posent le front sur l'herbe du sentier, cette confusion nous l'observons dans l'emploi du mot ; elle est plaisante à la pêcherie et dans les cabarets mais je la trouve énervante dans les journaux, affligeante dans les documents officiels.
               Vous la pourrez constater souvent au cours de cet Ouvrage, car la documentation en exigera beaucoup de citations.

               J'ai lu dans le Siècle du 15 octobre 1898 :
               " La science moderne n'est pas restée indifférente aux déformations que la langue latine a subies sous la plume des Africains. Elle s'est plu à relever dans :
               - Saint Cyprien,
               - Tertullien et
               - le grand Augustin même,

               Les fautes de goût et les corruptions de langage dont leur style n'a pu se défendre, sous l'influence fatale du milieu.
               Il s'en faut de beaucoup que notre littérature, quant à présent, doive d'aussi grands noms à l'Afrique française.
               Dans l'ordre littéraire comme dans le reste, l'Algérie ne nous a pas encore été prodigue de grands hommes.

               En revanche notre idiome subit déjà de l'autre côté de la Méditerranée, une altération des plus fâcheuses. "
               Cette altération, sauf quelques puristes comme :
               - M. Casteran,
               - M. de Soliers,
               - M. Lys du Pac,
               - M. E. de Redon etc.,

               Qui croient avoir une solide syntaxe pour caresser leur rhétorique et leur éloquence, les Algériens en sont d'ailleurs très fiers.
               Dans les mois à gale bédouine on voit des colons qui portent leurs bourbouilles comme si les boutons en étaient glorieux
               Au régiment le vieux soldat qui a belle vérole en affecte supériorité sur les bleus.
               Ne parlant plus français l'algérien veut que l'immigré l'admire, et il force la note.
               Il y a dans la littérature algérienne un monsieur Musette qui a compris cela.
               Il leur a donné Cagayous. Ils ont applaudi. M. Musette a du génie.

               Voici les vers de Cagayous :
               Oullà ! j't'asseur' ci pas gai l'agzestence
               Quand ti n'hé pas ovrir la magasin
               Sans baroufa, sans fir la rospétance
               Et je si pas combien tant di potin !
               J'ti jeur, battel jé laiss' il marchandèses ;
               On franc cenquante on zoli patalon
               Et quarant' sos on dozène ' chimèses.
               Aouat ! Le monde y tourne la talon.
               Tpou ! Y na hal din ou din saloup'rie !
               Oullà ji vos asseur, ci dégotant,
               Vous avez pas fini cit plaisant'rie !
               Ti veux je crèbe ou jé bott' di vent ?
               Et nous, ti crois qu'nos sont didans l'bonhor.


               Et voici la prose de Cagayous :
               … Maintenant le monde qyuin commande c'est des chiqueurs, des trois quatre cinq et des fégnants. Bessif, faut que toi tu les casses et que tu mets nous autres à la place d'euss. Ti es réoublicain oui ou m…
               - double qué !
               - Ti es antijuif, anti riche, anti poulice, antitout ?
               - Et alorss, si moi je suis pas ça que vous disez, qui c'est qui l'est ?...


               Procés verbal.
               Mengo qu'il avait parlé mal à la sœur de Léon, Léon il a appelé grand bâtard à Mengo. Alors Mengo il a pris la rage et il a dit à Léon que sa sœur c'est une chouarrie, un wagon, un fourneau. Léon il est venu blanc et il a été sarché des témoins.
               Max Régis il a été élu. Vive lui ! Moi je n'ai pas porté pour de vrai ; j'ai pas écrit l'affiche. Lefant de p.. qui m'a volé le nom pour ch.. un œuf de coq en s'attrapant le coup de sang, si vrai qu'il y a un Dieu, si jamais je me le choppe j'y force qu'il écrit dedans la Lanterne jusqu'à temps qui s'apprend à parler algérien que tous les patriotes d'ici on le comprend.
               Des fois ça s'peut qu'c'est Lutaud !
               Cristo si ça serait lui.
               Depuis longtemps, tous ceux-là d'ici, les antijuifs et les antitout, y roupètent après un homme qui pense rien qu'à faire la misère à le monde. A cause de lui le commerce y s'en va à la baballah ; on s'ensassine à chaque moment ; darrière chaque type y suit un espion ; on n'a p as le droit de crier ça qu'on veut, sans que la police elle vous f…l le grappin dessus :
               - Tous les cafés, les bars,
               - les bodégas, les mignettes, les tchic-tchic,
               - les petits borozun ousqu'on mange l'olive et le serra y z'ont été fermés en soi-disant qu'on parle polétique Barberousse c'est rempli des endividus qui sont pères de famille et tout.

               En voyant ça la rage elle me mange le sang. Les camarades y me parlent.
               " Cagayous t'es pas un homme si tu laisses que ce m…. là y reste un mois de plus ici. Casse le ! Ho ! Que nous venons tranquilles.
               - Aspera, j'y réponds à la bande faut qu'y saute aussinon je perds la figure, mécago in dio.
               - J'ai fait venir mes camarades de l'ancien temps qui sont capables et je m'ai sorti ma Lanterne… Fant d'garce d'ensassin, qui s'a bouloté le chemin vecinal dedans l'hôtel Brandefort, y s'en rappelle pas ça lui !
               - Voleuse de sort, si je ne me retiens pas, je me le rouvre ! ça fait rien….

               Quand il a vu que moi j'y pisse au … et que mon journal il a pas peur d'aucun y s'a pris la cagade et il a demandé à son chef de Paris qu'il y sange la place tout de suite….
               Ententions, hein, si çuila qu'y vient y marche pas avec les antitout, je le prends pas en retraite, d'avant qui se salit la première chimise, nous se le traboquons. "


               Un pince-sans-rire du Temps fit un jour l'éloge de Cagayous. Depuis l'Algérie est persuadée que le héros de M. Musette par l'univers est admiré. Certes je trouve génial qu'un homme ait si bien compris à quel point l'Algérie a la hantise et le goût et l'amour de l'ordure.
               C'est un héros national ce type au nom symbolique, Cagayous.. Avec Pépète le Bien Aimé, il inaugure à merveille la série des glorieux qu'attend le Panthéon de la nouvelle race.
               Ils avaient à choisir dans la foule héroïque et magnifique des Français qui ont mis leur sang et leur labeur dans cette terre…
               Mais des types français pour ces littérateurs, pour ce public d'Algérie ne pouvaient symboliser la nouvelle race ; ils ont retenu Cagayous et Pépère le Bien Ailé !

               Et lorsque nous refusons notre admiration disant notre dégoût de ces pourritures, ils nous condamnent cuistres : Si d'ailleurs les cuistres osaient reprocher l'heureuse audace de son style à Musette, celui-ci, j'imagine, ne serait pas en peine de la justifier par l'exemple de grands maîtres tels que :
               - Montaigne, Mathurin Régnier, Vallès, Zola, Richepain.
               Créer ce type-là du grand art et j'oserais le dire de l'art purement classique…
               Toutes proportions gardées : - Corneille, Racine, Molière, la Bruyère ne fut pas autre chose.
Cela était signé Paul Gisel
et publié dans la dépêche algérienne le 17 juin 1899.
La vérité sur l'Algérie Jean Hesse. Édition 1905



JAUNISSES
De Jacques Grieu

      
       Le jaune, en sa couleur, est parfois mal perçu ;
       On préfère le rouge ou le vert, bien mieux vus.
       Pourtant, on ne dit plus " la couleur des cocus " !
       Et le mal " fièvre jaune " est pour nous disparu.
       " Franchir la ligne jaune " est en blanc devenu
       Et le jaune solaire est par tous attendu !
       Le fameux " péril jaune " est-il encor dans l'air ?
       On achète chinois en été comme hiver !

       Il est vrai que l'on souffre encor de la jaunisse
       Et que tout paraît jaune à ceux qui la maudissent.
       Comme les gilets jaunes et leurs perturbations
       Brandir un carton jaune annonce des sanctions.
       Bientôt les pages jaunes de nos vieux annuaires
       Comme feuilles d'automne iront au cimetière.
       Est-ce donc un hasard si tout ce qui vieillit,
       Avec le temps qui passe est devenu jauni ?

       Les alcools les plus blancs rougissent le visage
       Comme l'or le plus jaune apporte ses ravages.
       Vaut-il mieux rire jaune ou pas rire du tout ?
       L'humoriste se doit de plaire à tous les goûts,
       Mais n'est qu'un philosophe en train de rire jaune.
       Il nous faut pourtant rire et soigner nos neurones !
       Allons boire un " p'tit jaune " avec l'humeur badine,
       En chantant haut et fort le " Yellow Submarine " !

Jacques Grieu                  



Les Algériens demandent
un Roi de France en 1572.
Envoi de M. Christian Graille

               Le titre de cet article étonnera beaucoup de lecteurs qui, de prime abord, se refuseront à croire qu'en 1572, ou même à aucune autre date, les Algériens aient jamais pu songer à demander un Roi à la France.
               C'est en effet un incident fort étrange, et qui a besoin, pour qu'on l'admette, d'être accompagné des preuves les plus authentiques.
               On va voir, au reste, que ces preuves ne manquent pas.
               Mais avant de les produire, il faut rappeler l'état des affaires africaines vers la fin du XVIe siècle et lors qu'elles étaient encore assez intimement liées à celles de l'Europe, les États barbaresques jouant presque toujours un rôle dans les luttes soutenues par la Turquie, cette puissance prépondérante de l'époque.

               Les monarques contemporains, intéressés plus ou moins directement dans l'évènement que nous allons raconter étaient :
               - en France, Charles IX, de 1560 à 1575, et son frère le duc d'Anjou depuis Henri III,
               - à Constantinople, Selim II de 1556 à 1574,
               - en Espagne Philippe II de 1555 à 1598 et son frère naturel, Don Juan d'Autriche,
               - en Italie les papes Pie V et Grégoire XIII dont le premier mourut dans le courant de l'année 1572,
               - la sérénissime seigneurie de Venise,
               - enfin à Alger le pacha Arab- Ahmed, successeur d'Ali-el-Euldj dont il avait été l'esclave et qui administra la Régence depuis le mois de mars 1572 jusqu'en 1574.


               Parmi les autres personnages la plupart se feront assez connaître eux-mêmes, dans notre récit, par le rôle qu'ils y jouent.
               Mais il en est un que son importance rend tout à fait digne d'une mention préalable. C'est François de Noailles, évêque d'Acqs, Conseiller du roi en son conseil privé, ambassadeur de la France à Constantinople sous Charles IX.
               D'après la biographie universelle, né en 1519, il embrassa l'état ecclésiastique et devint évêque d'Acqs.
               Naturellement doué des talents diplomatiques qui semblaient inhérents à sa famille, il représente la France à Venise en 1558 et se fait céder la préséance par l'ambassadeur d'Espagne.

               Il est successivement envoyé avec la même qualité :
               - en Angleterre,
               - à Rome,
               - à Constantinople

               où il y rétablit la paix entre les Vénitiens et Sélim II qui attaquait Candie. (Ville d'Héraklion )
               Il y avait succédé à M. Grantrie de Grandchamp en 1571.

               François de Noailles fut consulté avec déférence par nos rois et régentes.
               C'est lui qui conseilla à Charles IX de faire la guerre à l'Espagne pour donner une diversion aux dissensions religieuses qui déchiraient alors la France.
               En 1584, à la mort de Guillaume d'Orange, il engagea vainement l'indolent et faible Henri III à accepter la proposition des Pays-Bas qui, trouvant les fils de Guillaume trop jeunes pour les gouverner, voulaient se placer sous la domination française. Il mourut à Bayonne en 1585 alors qu'il allait prendre les eaux des Pyrénées.
               Ses négociations, recueillies par l'abbé Vertot ont été imprimées à Paris (1763) en trois volumes.

               Après ces détails biographiques, et avant d'entrer tout à fait en matière, rappelons que l'alliance ottomane était dès lors une nécessité de la politique française parce qu'elle permettait de maintenir le culte chrétien à Jérusalem et de conserver l'accès de cette ville sainte à la piété de nos pèlerins.
               Elle était indispensable au développement du commerce avec le Levant qui intéressait surtout la Provence et le Languedoc.
               Enfin parce qu'on pouvait contrebalancer par elle la très grande influence de la maison d'Autriche qui, par succession ou usurpation, avait alors accaparé les États les plus importants de l'Europe.

               En 1570, la république de Venise était fort sérieusement menacée par Sélim II, empereur de Constantinople.
               Longtemps elle avait refusé de se croire le but des grands préparatifs militaires de ce prince ; mais il avait fallu se rendre à l'évidence et chercher à la hâte les moyens de résister à la formidable attaque qui la menaçait.
               Elle imagina de ressusciter, pour la circonstance et par le pape Pie V, la ligue catholique que Léon X n'avait fait qu'ébaucher au commencement de ce siècle.
               Ses efforts produisirent une puissante coalition composée :
               - de l'Espagne,
               - des États pontificaux et
               - de Venise.


               Une immense flotte, promptement rassemblée et mise sous les ordres de Don Juan d'Autriche, remporta le 7 octobre 1571, la mémorable victoire de Lépante.
               Si l'on se reporte aux maux et aux outrages que la chrétienté avait alors à supporter des Turcs et de leurs dignes auxiliaires, les pirates barbaresques, on comprendra l'immense cri de joie qui salua de toutes parts cette journée d'ailleurs si glorieuse. Le vénérable pontife de Rome, en apprenant que Don Juan d'Autriche venait ainsi d'anéantir d'un seul coup la marine ottomane, laissa échapper cette exclamation empruntée aux Saintes Ecritures : fuit homo missus à Deo cui nomen erat Johannes (il y eut un homme envoyé par Dieu dont le nom était Jean.)
               Mais dans la saison avancée où ce mémorable évènement eut lieu, il était à peu près impossible de recueillir sur-le-champ tous les avantages de la victoire.

               D'ailleurs la flotte des vainqueurs avait été fort maltraitée ; et, pendant que les Turcs regagnaient Constantinople pour y faire radouber ce qui leur restait de vaisseaux, les chrétiens se dirigèrent vers leurs ports afin de réparer leurs nombreuses avaries.
               La force des choses amena donc une suspension d'armes que les Ottomans mirent à profit avec une admirable activité.
               Digne ministre de son énergique souverain, le grand vizir réussit à relever les courages abattus de ses compatriotes et même à tempérer l'orgueil des ennemis vainqueurs.
               A l'amiral turc qui semblait douter que l'on pût se procurer les agrès nécessaires à l'équipement d'une nouvelle flotte, il disait : " Seigneur pacha, la richesse et le puissance de l'empire sont telles que, s'il y avait nécessité, on ferait :
               - des ancres d'argent,
               - des manœuvres de soie et
               - des voiles de satin. "


               Au vénitien Barbara qui prenait trop avantage du désastre de Lépante, il répondait : " En vous arrachant un royaume (Chypre), c'est un bras que nous avons coupé ; et vous en brûlant notre flotte vous n'avez fait que nous raser la barbe. Un bras coupé ne repousse plus mais la barbe rasée se reproduit avec plus de force qu'auparavant. "
               Malgré ces bravades et en dépit de l'opinion qui ne tarda pas à prévaloir parmi les chrétiens eux-mêmes, que la victoire de Lépante était un brillant mais stérile fait d'armes, l'empire turc était frappé au cœur, cet éclatant revers ayant entamé, aux yeux de ses défenseurs comme à ceux de ses ennemis, le prestige de puissance invincible qui avait fait jusque-là sa principale force !
               La blessure qu'il venait de recevoir ne parut pas mortelle d'abord parce qu'un grand empire ne succombe pas instantanément sous un seul coup, si rude que celui-ci puisse être.

               Cependant un observateur pénétrant et attentif eût pu pressentir dès lors que la bannière de l'Islam s'étant ainsi arrêtée dans sa marche envahissante, elle commencerait bientôt à reculer jusqu'au point où nous la voyons aujourd'hui.
               Les contemporains ont bien eu en quelque conscience de cet immense résultat de la bataille de Lépante ; mais ils ne s'en sont pas rendus nettement compte, principalement sur le littoral barbaresque.
               Avec les communications lentes et imparfaites de l'époque on n'y connaissait jamais que le gros des évènements, à de longs intervalles et avec toutes les altérations inhérentes aux informations tardives et incomplètes.

               Tout ce qu'on savait, par exemple, à Alger, au commencement de 1572, c'est que la flotte turque avait été détruite et que l'armada catholique était à Messine, sous le commandement de Don Juan d'Autriche, où elle dominait toute la côte septentrionale d'Afrique y jetant l'alarme, depuis Tunis jusqu'au détroit de Gibraltar.
               D'ailleurs parmi les projets que l'on prêtait au vainqueur de Lépante, celui d'une attaque contre Alger prenait surtout de la consistance.
               Donc, cette régence, menacée à l'Ouest et du côté de terre par les Espagnols établis à Oran avait tout lieu de craindre par mer une attaque de la flotte catholique, précisément dans un moment où la marine turque ne pouvait lui prêter aucun secours, retenue qu'elle était dans l'archipel par la nécessité de fermer à l'ennemi l'accès de Constantinople par les Dardanelles.

               C'est au mois de mai 1572 que l'on rencontre dans les documents européens la première trace de la demande d'un roi de France faite par les gens de la ville, ou peut-être même de toute la régence ; car alors et jusqu'assez près de notre époque, Alger signifiait à la fois la ville de ce nom et l'État dont elle était la capitale.
               Quoi qu'il en soit, voici ce document primitif très concluant : une lettre de Charles IX, roi de France, datée du 11 mai 1572 et adressée à l'évêque d'Acqs, notre ambassadeur à Constantinople où il venait de succéder à M. Grantrie de Granschamp :
               " M. D'Acqs, c'est pour vous avertir comme ayant ceux d'Alger délibéré d'envoyer par-devers moi me prier les prendre et recevoir en protection et les défendre de toute oppression que les Espagnols veulent faire sur eux et sur leur pays, je me suis résolu, M. d'Acqs, d'y entendre, m'ayant semblé ne devoir négliger cette occasion, quand ce ne serait que pour empêcher lesdits Espagnols s'en faire maîtres, comment ils feraient facilement, étant les villes et les places dépourvues de vivres et hors de moyens d'en recouvrer, à cause de la grande inimitié des Janissaires et des Maures, et très mal garnies de munitions de guerre pour se pouvoir défendre de cet orage, s'ils ne sont assistés par moi, qui serait très marri, en pareil cas, de n'employer les moyens que Dieu m'a donné.

               Tant pour mon intérêt particulier, qui serait très grand si lesdits Espagnols en étaient maîtres, que pour servir à l'amitié et bonne intelligence qui est entre le Grand Seigneur et moi.
               Au moyen de quoi, je suis résolu embrasser ceux dudit Alger et les recevoir en ma protection ; étant assuré que ce sera chose aussi agréable audit Grand Seigneur comme il m'en aura une très grande obligation ; et qu'en cette considération il sera très aisé que mon frère le duc d'Anjou, que j'aime, ainsi que lui pourra témoigner, en soi et demeure roi en lui payant le tribut accoutumé et duquel il demeure content.
               Ce que je vous prie c'est de faire noter ce que je fais pour lui en cet endroit, embrassant cette occasion en l'état où sont aujourd'hui ses affaires, afin qu'il se condescende plus volontiers à ce que je vous demande pour mon dit frère.

               Et si mon entreprise réussit, ainsi que je l'espère qu'elle fera si ceux dudit peuple continuent en cette opinion qu'ils m'ont mandée étant assuré que ledit Grand-Seigneur sera plus aise que ledit peuple soit entre les mains de mon dit frère lui en faisant telle reconnaissance que s'il s'était occupé par lesdits Espagnols, lesquels sans difficulté s'en saisiront, si je n'y mets la main. "
               (On n'a pas cru devoir reproduire ici l'orthographe surannée de cette époque ; la plupart des lecteurs n'en auraient eu que plus de peine à comprendre un style déjà obscur par ses tournures anciennes.)

               Les rares documents indigènes que j'ai eus à ma disposition sont absolument muets sur cette demande de la population algérienne.
               Il est vrai que les chroniqueurs musulmans, dont les récits sont déjà si brefs et décharnés à propos des évènements qui flattent le plus leur vanité nationale et leurs sentiments religieux, n'ont pas dû être fort empressés de transmettre à la postérité la mémoire d'une démarche d'ailleurs très peu orthodoxe au point de vue de l'islamisme et qu'une nécessité des plus pressantes a pu seule arrachée à leurs ancêtres.
               A défaut d'une mention expresse l'histoire locale peut-elle, du moins, fournir quelques indications.

               Et le fait de la grande inimitié des Janissaires et des Maures alléguée par Charles IX est-il établi, ne fût-ce qu'indirectement par des preuves admissibles ?
               Étant donnée la conduite systématique bien connue des Osmanlis (sujets du sultan) envers les indigènes de l'Afrique septentrionale, conduite qui a donné naissance au proverbe " de turc à more ", on peut bien supposer qu'en effet les Algériens supportaient impatiemment un joug d'origine assez récente et auquel ils n'avaient pas encore eu le temps de s'habituer.

               Toutefois une objection se présente : par une exception unique dans l'histoire du pays le pacha de cette époque Arab Ahmed, n'était ni un Turc ni un renégat selon la coutume mais un Arabe né à Alexandrie d'Egypte.
               En a-t-il été plus bienveillant pour ses compatriotes et plus populaire parmi eux ?
               Or d'après le témoignage de notre ambassadeur à Constantinople, outre les assassinats et les brigandages dont Arab Ahmed s'était rendu coupable envers nos nationaux, il maltraitait les habitants de son pachalick, même les Turcs à tel point que ces derniers envoyèrent à Constantinople pour se plaindre de lui, une ambassade où figurait quelques grands chefs arabes ou berbères.
               Cette démarche qui doit être postérieure à la demande d'un roi français, paraît avoir déterminé le remplacement d'Arab Ahmed par Ramdan que les Algériens avaient désigné au choix du Grand Seigneur, parce qu'il s'était élevé parmi eux et qu'on le savait homme de bien.

               Toutefois, ce changement n'eut lieu qu'en 1574.
               La disposition des esprits était en effet assez défavorable au pouvoir local sous Arab Ahmed pour expliquer la démarche des Algériens.
               Mais ce pacha n'arriva ici qu'au mois de mars 1572.
               La lettre de Charles IX est datée du 11 mai de cette même année ; l'état d'antagonisme qu'elle signale ne peut donc être uniquement le fait de ce gouverneur ; car il est impossible d'admettre que le mécontentement signalé et ses suites aient eu lieu aussitôt don arrivée.

               Évidemment, il n'avait pas eu le temps de se rendre impopulaire quand la démarche eut lieu.
               Son prédécesseur n'était pas beaucoup plus aimé que lui par les janissaires ; mais l'histoire ne dit pas qu'il ait été en mauvais termes avec les indigènes.
               En définitive, et à défaut de faits particuliers bien précisés par l'histoire de ces temps, on reste en présence de deux causes générales très suffisantes pour expliquer la résolution dont il s'agit en ce qui concerne les Algériens proprement dits :
               - C'est d'un côté leur aversion manifestée bien souvent par la domination turque et
               - de l'autre, les craintes que leur inspiraient la flotte catholique et les grands préparatifs que l'on croyait généralement dirigés contre eux.
               Quoi qu'il en soit de ces conjectures, le fait principal était bien certain, il ne reste plus qu'à en tracer le développement et les conséquences.

               L'évêque d'Acqs, notre ambassadeur à Constantinople était loin d'approuver le projet expliqué par la lettre de Charles IX et qui lui inspirait des craintes sérieuses pour sa sûreté personnelle.
               Ce fut donc avec de grandes précautions qu'il s'en ouvrit au ministère turc, de peur, comme il le dit, d'être mis par ces gens-là " en état tel que son souverain n'eut plus tiré service de lui ".

               Cependant, il semble d'abord regarder la chose, sinon comme facile, du moins comme faisable, jusqu'il écrit à ce sujet au duc d'Anjou pour lui adresse des recommandations et lui indiquer la manière de gouverner son futur royaume :
               " J'ai vu ce qu'il a plu au roi de m'écrire, de l'onzième de mai (lui dit-il) pour ce qui vous touche, dont le succès ne saurait être plus heureux que je le vous souhaite.
               Surtout je vous supplie très humblement de vous garder de la perfidie des Maures, et commander pour qu'il ne soit fait aucun déplaisir aux Turcs, ni en leurs mosquées et religion, ni en leurs personnes et bien, montrant que tout ce qui se fait de votre part ne tend qu'au bien et profit du Grand Seigneur, protestant de lui rendre son pays après que la guerre contre le roi d'Espagne sera finie, et qu'il vous aura remboursé des frais de l'armée que vous aurez employée pour le garder de tomber entre les mains de son ennemi.
               " Ce langage se doit tenir aux Turcs qui sont par de là et même au vice-roi qui y est à présent, afin qu'il n'ait occasion d'en faire de grandes exclamations par-deçà qui toutes tomberaient sur moi.
               C'est celui qu'il faudra gracieusement traiter, et néanmoins s'assurer de lui dextrement à toutes fins pour me retirer, si les choses passent en aigreur là et ici, comme il est bien malaisé qu'autrement il se puisse faire, vu l'insolence de l'homme de guerre français lequel se rend insupportable en pays de conquête.

               Dans une lettre datée du Constantinople, 8 et 14 août 1572, l'ambassadeur d'Acqs raconte au roi comment il s'y est pris pour entamer cette délicate affaire :
               " Sire, j'ai fait entendre au bacha ce que vous me commandiez par votre dépêche du onzième de mai. A quoi j'ai ajouté et diminué, selon qu'il me semblait être nécessaire pour votre service.
               Mais surtout je me garderai bien de lui dire la résolution que vous avez prise de vous emparer du royaume d'Alger car je suis assuré qu'aussitôt il m'eût mis en état que vous n'eussiez plus tiré service de moi ; encore ne le saura-t-il que trop.
               Bien lui ai-je dit que Monseigneur, votre frère, m'avait écrit que s'il plaisait au Grand Seigneur, lui donne ce royaume-là, qu'il emploierait plus volontiers sa vie et ses forces pour empêcher que le roi d'Espagne s'en emparât, et lui paierait le tribut accoutumé ou tel autre dont il se voudrait contenter.
               Et n'oubliai là-dessus de mettre en avant un grand présent bien pesant au Bacha, avec une grosse pension tous les ans.
               Sur quoi me fut répondu, pour le regard de cet article, que quand Monseigneur aurait employé son armée, de laquelle je disais qu'il vous avait requis d'être chef, à la conservation desdits pays, le Grand Seigneur lui ferait connaître quel prince il est qui fut tout ce que j'en pus arracher.

               Et là-dessus, me dit ledit Bacha qu'il était besoin que je fisse un arzé pour être communiqué à sa Hautesse, comme j'ai fait et croit qu'il le verra dans trois ou quatre jours.
               Mais je pense bien, selon le langage que ledit bacha me tenait, qu'ils n'ont gardé de mordre en cette grappe ; combien que de ce côté-là ne soit jamais venu par-deçà un seul écu au trésor du prince et que le vice-roi qui est ordinairement commis en la garde du pays, fasse entièrement son profit de tout le revenu de celui-ci.
               Qui me fait croire que ce n'est pas grand-chose, et que la domination des Maures et des déserts de Libye est aussi différente des belles et fertiles plaines de Flandre comme les pays sont éloignés l'un de l'autre.
               L'évêque d'Acqs résume son opinion en ces termes : " par ainsi, il est à craindre que ceux qui tournent les desseins de monseigneur (le duc d'Anjou) de ce côté, ne lui fassent prendre la paille pour le grain. "

               Le 20 août M. d'Acqs va voir le bacha pour avoir une réponse à son arzé.
               Son Hautesse se borne à promettre que si le duc d'Anjou protège Alger contre les Espagnols, il lui en fera telle récompense qu'il s'en contentera ; et peut-être sera-ce meilleure chose, dit-il, que l'affaire d'Alger.
               Sur quoi l'ambassadeur fait remarquer que le Roi et son frère ne sont pas princes qu'il faille allécher d'incertaines espérances et qu'il, faut refuser ou accorder nettement.
               Le Bacha, d'après les habitudes dilatoires de la chancellerie turque, conclut à un nouvel arzé que M. d'Acqs rédige bien qu'il n'en espère pas plus que de l'autre, malgré le gros présent et la pension qu'il a promis au Bacha.

               Autre audience, le 28 août et autres batteries diplomatiques.
               Cette fois Sa Hautesse était d'abord bien disposée à gratifier le duc d'Anjou du royaume d'Alger ; mais ayant communiqué la chose aux muftis et docteurs de l'empire, ainsi qu'il est d'usage en pareil cas, il s'est trouvé que leur religion était depuis longtemps déjà établie et exercée dans les mosquées de ce pays et la justice turque administrée par ses magistrats et officiers, il ne devait pas plus l'éclipser de cette partie de sa domination que de Constantinople même. " Et cependant pour l'assurance de sa bonne volonté, il promettait, dès à présent, vous (à Charles IX) délaisser toutes les conquêtes qui se pourront faire avec son armée de mer, tant en Espagne qu'en Italie. "

               L'évêque d'Acqs profite de la mort du roi de Pologne et de certaines conjectures favorables pour engager le duc d'Anjou à se porter candidat de ce côté…
               " Cette entreprise, dit-il, se trouverait sans comparaison plus grande et plus riche que celle d'Alger où il n'y a que des mutins et mal contents, sujets à révoltes ordinaires. "
               Par sa lettre des 4 et 6 septembre on voit que l'affaire est à peu près abandonnée et qu'on se borne à rechercher quelle aide et assistance on peut espérer du Turc, dans le cas où la France serait contrainte d'entrer en guerre avec l'Espagne.
               Cette affaire d'Alger est le cauchemar du pauvre évêque d'Acqs.
               Il l'avoue naïvement en ces termes dans une lettre adressée à Catherine de Médicis : " J'ai si grand peur de ce qui était porté par icelles (lettres de Charles IX) dont je tenais l'évènement pour tout assuré, qu'il me semblait que je ne serais jamais dehors assez à temps. "

               Par lettre du 30 octobre 1572 Charles IX se déclare satisfait et éclairci par les deux lettres que son ambassadeur à Constantinople lui a décrites sur l'affaire d'Alger. " Cette nouvelle occasion (l'affaire de Pologne) aura reculé le fait de la première, dit-il, de laquelle vous ne ferez autre instance pour cette heure. Toutefois vous ne laisserez de me mander quelle réponse le Grand Seigneur vous aura faite sur le dernier arzé que vous lui avez fait présenter par le premier bacha, ce qui nous éclairera entièrement de ce fait. "

               Dans une autre lettre écrite de Paris, 18 janvier 1573 Charles IX dit à l'évêque d'Acqs : " Les mutations survenues en mon royaume fait que je me donne grand' peine du refus qui m'a été fait dudit Alger, auquel j'avais été mû de penser, autant pour le respect de leur intérêt prévoyant ce qui en pourrait advenir, comme pour autre considération, n'étant marri avoir éprouvé en cette occasion ce que l'on peut espérer d'eux (les Turcs) interprétant toutefois le toit pour le mieux, et singulièrement la réponse du bachi sur les conquêtes d'Italie.
               Mais je suis fort déplaisant et mal content de votre parlement (de Constantinople) et que vous vous y soyez précipitamment rendu sans savoir mon intention. "
               La lecture attentive des pièces dont on vient de voir les extraits essentiels conduit à penser que la Porte ottomane n'a jamais eu un seul instant l'intention de laisser le duc d'Anjou se créer un royaume à Alger.
               Si même la chancellerie turque a bien voulu consentir à traiter cette affaire diplomatiquement, c'est que le Grand Seigneur avait alors un intérêt tout particulier à conserver l'alliance française et qu'il fallait à tout prix éviter de mécontenter Charles IX.

               La pensée qu'avait eue ce monarque de profiter d'une proposition plus ou moins sincère et sérieuse des Algériens pour fonder une royauté française sur la côte barbaresque se rattachait à des projets d'une haute importance qui l'ont grandement préoccupé.
               Il voulait faire de Toulon le centre d'une puissance navale imposante et méditait d'opérer à Marseille une véritable reconnaissance commerciale par la reprise et l'extension de ses rapports avec le Levant.
               Il voyait avec peine que des Génois et des Milanais étaient maîtres du commerce de cette place et que ces étrangers, après y avoir fait fortune, s'en allaient jouir chez eux des capitaux qu'ils avaient amassés.
               Le règne de Charles IX fut trop court et trop agité par les guerres civiles pour qu'il pût mettre ses projets à exécution.
               En ce qui concerne Marseille, la renaissance commerciale rêvée par lui n'avait pas encore eut lieu à un siècle de là, car voici ce qu'écrivait à Colbert le 20 juillet 1668 l'intendant des galères, Arnoul.
               On nous pardonnera cette digression en faveur de l'intérêt qui s'y attache :
               " Vous ne ferez jamais dans Marseille, par ceux de la ville, ce grand et beau commerce qui se devait, qui se pourrait et pour qui la nature semble avoir fait cette ville. Tant que l'on s'amusera aux Marseillais, jamais de compagnie.
               Ils se sont tellement abâtardis à leurs bastides, méchants trous de maisons qu'ils ont dans le terroir, qu'ils abandonnent la meilleure affaire du monde plutôt que de perdre un divertissement de la bastide.
               En apparence, ce n'est rien ; mais je soutiens que cela a ruiné la ville et la ruinera toujours.

               De maîtres qu'ils étaient du commerce, ils en sont devenus les valets, n'agissant presque plus que comme commissionnaires de messieurs de Lyon : encore tant tenu, tant payé ; et si vous voulez ce grand commerce, il faut faire compagnie d'autres gens que ceux de Marseille qui se contentent de faire valoir leur argent aux assurances et n'ont pas l'esprit porté aux grandes choses, bien qu'ils soient ambitieux.
               Vous les devez bien connaître par le peu de réussite de ce que vous souhaitez avec tant de justice et de raison : l'augmentation et la grandeur du commerce.
               Vous m'alléguez les Anglais et les Hollandais qui font dans le Levant pour 10 ou 12 millions de commerce ; cela est vrai ils le font avec de grands vaisseaux.

               Messieurs de Marseille ne veulent que des barques afin que chacun ait la sienne ; et ainsi, l'un réussit, l'autre non.
               J'ai beau dire et redire, leur alléguer vos raisons ; ils sont coiffé d'une autre manière et rejettent la faute de la perte du commerce sur le mauvais traitement qu'ils reçoivent en Turquie, dont je vous ai marqué qu'ils disent avoir déjà donné tant de mémoires.
               Je voudrais une fois les mettre dans leur tort ; je crois qu'il n'y a rien à hasarder, leur donner ce qu'ils demandent et les voir faire afin que le roi pût prendre une résolution à ce sujet.
               Je vois bien qu'avec le commerce vous avez la pensée de voir bâtir de grands vaisseaux afin qu'en cas de nécessité le Roi pût en être secouru.
               Ils sont d'un sentiment tout contraire, ils n'en veulent que des petits et souvent ne savent pas ce qu'ils veulent.
               Il n'y a pas eu moyen jusqu'à présent de leur faire dire s'ils veulent la franchise du port ou non…

               Je souhaite pour moi l'honneur de voir le Roi ici ; pour l'avantage de l'état de cette ville, que vous la voyiez, que vous la connaissiez. Vous l'aimerez et ferez pour elle tout ce qui se peut pour sa grandeur. "
               Colbert a mis en marge de cette lettre :
               " Tout ce raisonnement en bien comme en mal est vrai. Il ne faut pas espérer d'y remédier promptement ; il faut le combattre doucement et persévérer ; qu'à la fin on en viendra à bout. "

               Mais fermons cette longue parenthèse et revenons à notre sujet principal. Lorsque l'on a pris connaissance de la négociation suivie entre la France et la Porte ottomane, relativement à la demande d'un roi français faite par les Algériens, on se prend tout d'abord à regretter que : - le mauvais vouloir du Grand-Turc ,
               - les appréhensions de notre ambassadeur,
               - puis la Saint Barthélemy,
               - l'élection du duc d'Anjou au trône de Pologne
               - et d'autres causes encore aient fait avorter cette séduisante entreprise.


               Mais un examen approfondi fait voir que tout cela n'était qu'un vain mirage et que le roi français d'Alger eût-il été soutenu ici par une puissante armée chrétienne ne serait pas resté longtemps sur son trône :
               - Kabyles, Arabes, Turcs,
               - renégats, et ces derniers étaient alors fort nombreux et influents, quoique tous ennemis les uns des autres, se seraient promptement ralliés contre l'invasion étrangère.


               Tout cela aurait fini par un immense désastre et par l'occupation ruineuse et stérile d'un ou deux points du littoral, quelque chose comme Oran fut jadis aux mains des Espagnols et comme sont aujourd'hui les présides du littoral marocain.
               Il fallait le concours :
               - de la vapeur,
               - des chemins de fer et
               - du télégraphe électrique pour rendre cette entreprise possible et utile, en supprimant les distances et les obstacles maritimes.

               La conquête de 1830 a réussi parce qu'elle s'est faite au moment providentiel.
A. Berbrugger.
Revue africaine N° 25 Janvier 1864.

Réflexions sur la colonisation en Algérie.
Envoi de M. Christian Graille
Les Arabes.

               Depuis la conquête de l'Algérie, beaucoup d'ouvrages sérieux, bien faits et bien écrits ont paru :
               - sur la colonisation,
               - sur l'occupation plus ou moins limitée, sur les Arabes,
               - sur leurs mœurs
               - et leurs coutumes.

               Presque tous les auteurs semblent n'avoir eu qu'un but, celui de nous assimiler les Arabes pour les faire participer aux bienfaits de la civilisation.

               Sans méconnaître tout ce qui a été dit :
               - de beau,
               - de bien et
               - de bon au point de vue philosophique et philanthropique, nous ne pensons pas qu'il soit possible d'amener jamais les Arabes à changer :
               - leurs mœurs,
               - leurs industries et
               - leurs cultures.


               Il y a d'abord une raison majeure qui les tiendra toujours éloignés de nous, c'est leur religion.
               Le Coran en effet est leur code. Il comprend tout :
               - la politique, la justice, la morale.

               Quel que soit le progrès que nous leur offrions, il heurte le Coran et froisse le sentiment religieux d'un peuple qui croit à la mission de Mahomet et à l'authenticité du livre sacré.
               La religion de, le prophète de Dieu, suffit aux Arabes et justifie leurs mœurs qui conviennent parfaitement à leurs tempéraments.
               Ainsi, dans la famille, par exemple, base de toute société, la polygamie, repoussée par la morale politique des peuples d'Europe au climat tempéré, est une nécessité des peuples d'Afrique, soumis à un ciel de feu.
               Prétendre assimiler deux races aussi dissemblables en politique, en religion et en philosophie, c'est, selon nous, une utopie.

               C'est pourquoi nous croyons qu'il est préférable de laisser les Arabes user de la vie comme ils l'entendent, de les attirer au contraire à notre cause par de bons procédés, de profiter de leurs qualités car ils en ont de grandes :
               - La sobriété, la résignation, le courage,
               - et de ne pas les indisposer en cherchant à leur imposer des théories qui sont bonnes en Europe mais qui ne valent rien ici, parce qu'elles ont été élaborées pour des climats modérés, et non pour un ciel sans nuage comme celui qui règne en Algérie pendant sept mois de l'année.

               Il va sans dire que nous parlons que des Arabes.

               Quant aux Kabyles c'est autre chose :
               - cette race est laborieuse,
               - elle aime la vie sédentaire,
               - la culture des champs ;
               - elle est, de plus, industrieuses et
               - elle habite des villages.


               Elle possède donc une partie des qualités qui distinguent les nations européennes :
               - amour de la propriété,
               - de la famille et
               - du sol.

               Les Kabyles nous sont par conséquent assimilables en tous points ; c'est une affaire de temps.

Culture

               Il y a en Algérie deux espèces de terrains bien distincts :
               Le Tell et les Hauts Plateaux.
               Je ne parlerai pas du Sahara dont les oasis ne produisent que des dattes, quelques rares légumes et des objets spéciaux qui conviennent peu à l'Europe.
               Dans le Tell il y a des localités qui, par la nature de leur sol, par la configuration topographique des lieux et la faculté des arrosages durant diverses époques de l'année, peuvent, jusqu'à un certain point, être cultivées d'après les meilleures méthodes françaises ; c'est ce qu'on peut voir aux environs de :
               - Bône,
               - Guelma,
               - Philippeville,
               - Saint-Charles,
               - El Arrouch,
               - Le Hamma,
               - Constantine, etc.


               Quant aux plateaux où les eaux sont rares, il faut absolument adopter les errements arabes, si l'on ne veut avoir de grands mécomptes.
               Ce genre de culture présente, en outre, des avantages réels :
               1° il est moins dispendieux parce qu'il n'exige que des instruments simples, primitifs et d'une construction facile.
               2° les labours n'étant pas profonds, il ne faut que peu d'animaux pour les exécuter.
               3° il est moins fatigant et l'on remue une étendue relativement considérable en peu d'heures.
               4° il n'épuise pas la terre, puisque celle-ci présentant de grandes surfaces, on peut de temps en temps la laisser reposer.
               Toutes ces données sont d'autant plus à considérer dans le prix de revient que les transports sont toujours très onéreux.

               Pour diminuer les frais, il ne faut, selon nous, entreprendre de culture européenne que sur les grandes lignes de communication fréquentées par les charrois (transport en chariot), ou au moins ne pas s'écarter à plus de 15 ou 20 kilomètres pour que les charrois qui effectuent les transports puissent, dans la même journée se rendre aux voies carrossables et revenir le soir à la ferme ou au douar.
               C'est d'autant plus important que l'européen ne peut pas lutter avec l'indigène pour le bas prix de revient.
               Les Arabes obtiennent leurs produits avec huit ou dix fois moins de frais.
               C'est pourquoi nous pensons que les colons doivent de préférence rester dans le Tell, à portée des routes et des ports et leur abandonner les hauts plateaux.
               Notre idée n'est pas de vouloir supprimer aujourd'hui les établissements qui ont été construits dans les régions hautes, mais avant de créer d'autres centres, comme on le fait journellement, nous croyons qu'il serait préférable de compléter les groupes qui existent déjà, en augmentant ceux qui sont faibles et en les fortifiant de quelques solides blockhaus ou caravansérails défensifs.

               Chaque village en aurait un ou deux, suivant l'importance de sa population, et pour en mieux défendre les approches, ils seraient placés à l'extérieur.
               Nous ne sommes point non plus partisans des fermes isolées ; elles sont un embarras dans les moments difficiles, et elles courent des dangers sérieux ainsi que l'a prouvé récemment la dernière insurrection.
               La ferme française, qui de nos jours peut aisément subsister dans tout le Tell, n'est certainement pas viable sur les hauts plateaux et c'est pourquoi les colons y ont toujours végété, et que l'on y trouve encore actuellement tant de ruines récentes.
               La vie sédentaire n'y est pas praticable, car malheureusement à notre époque, la civilisation a créé aux Européens de trop grands besoins.

               Ces contrées ne peuvent convenir qu'aux peuples :
               - pasteurs,
               - sobres,
               - vivant de peu et
               - sans luxe.

               Ces vastes étendues leur permettent de changer de lieux de campement suivant les époques de l'année et les exigences de leurs troupeaux.
               Il en résulte que ces tribus ont forcément leurs stations d'hiver et leurs stations d'été. La mobilité avec laquelle elles doivent pouvoir se déplacer, explique parfaitement l'emploi des tentes.
               Si, au contraire, les Indigènes construisaient des maisons comme on leur conseille pour les attacher au sol, ils seraient obligés de les abandonner périodiquement pour suivre leurs troupeaux à certains moments sur des prairies lointaines.

               Il leur faudrait donc des habitations sur tous les points où ils ont de grands pâturages ou de fortes cultures.
               - Les frais de bâtisse et d'entretien de ces immeubles seraient énormes,
               - les pertes également, et
               - le prix de revient de leurs produits atteindraient des chiffres tellement élevés que l'écoulement en serait naturellement entravé.

               Les Arabes ont donc parfaitement raison de vivre sous la tente et de cultiver leurs terres comme ils le font.

               Nous disons de plus que le jour où ils se fixeront au sol des hauts plateaux en abandonnant leurs stations du Tell, ils dépériront inévitablement, parce que ces terrains sont presque tous dépourvus de bois, et de plus, manquent d'eau et de prairies pendant six mois de l'année.
               Voilà pourquoi il est de toute nécessité qu'ils conservent des terrains dans le Tell, en même temps qu'ils en ont sur les plateaux et voire même dans les Aurès et le Sahara.

               Un coup d'œil jeté sur les fermes des colons prouve à l'évidence que les Européens qui s'établissent en Algérie et qui y apportent les procédés de culture française et leur manière de vivre ne peuvent lutter avec les Arabes pour le bon marché.
               - Ils s'endettent pour la plupart généralement dès les débuts,
               - ont de grandes déceptions,
               - se ruinent la santé à travailler sous un soleil de plomb,
               - sont sous la griffe des usuriers qui les torturent.


               Et, bien après :
               - des ennuis,
               - des chagrins,
               - des privations et
               - des découragements ils meurent à la peine.

               Les Indigènes, suivant nous, sont plus dans le vrai et n'ont guère besoin que de quelques conseils pour se trouver en possession des meilleures méthodes applicables en Algérie.

               Nous avons remarqué dans nos excursions que l'Arabe néglige certaines précautions dont l'oubli lui cause un grand préjudice, et qu'il suffirait de lui signaler par l'intermédiaire des caïds et des cheiks pour les lui faire accepter.
               Il faudrait lui recommander :
               1° de ne pas abandonner son champ aux chances du hasard dès qu'il est ensemencé,
               2° de ne pas se dépouiller trop précipitamment de ses récoltes et d'en réserver pour les mauvais jours,
               3° de faire un choix de bonnes semences pour améliorer ses produits agricoles,
               4° d'abriter ses troupeaux dans des gourbis ou au moins sous des hangars,
               5° de soigner ses légères indispositions au début, et de ne pas se laisser miner par les fièvres.

Culture des champs

               Les terrains possédés par les Arabes étant très spacieux ne peuvent pas être fumés comme on le fait en Europe ; il y a donc obligation forcée d'en mettre une partie en jachères tous les ans.
               Ce repos donné à la terre lui permet de se refaire et de reconstituer lentement, par l'absorption de l'air, les éléments perdus par la production.
               En Europe où les populations sont plus denses, où les terrains sont pour ainsi dire tous cultivables, on a renoncé, avec raison, à l'emploi des jachères et l'on pratique, avec succès les assolements.
               Assoler des terres c'est les diviser en plusieurs lots et faire succéder régulièrement, ou à peu près, des récoltes différentes sur un même champ.
               Par ce moyen, chaque semence prend dans le même terrain les parties nutritives qui lui sont utiles pour croître et mûrir, et pendant que grandit ce nouveau végétal le sol répare les pertes qu'il a éprouvées par les cultures précédentes.

               Ce procédé très judicieux, applicable dans le Nord de la France et surtout en Belgique et en Angleterre, n'est pas admissible en Algérie, si ce n'est dans quelques parties privilégiées du littoral et du Tell.
               Il faut donc, en Afrique, avoir recours aux jachères puisque les fumiers font défaut. Moïse, ce grand législateur des Hébreux, esprit essentiellement pratique, avait déjà, de son temps, prescrit le repos de la terre tous les sept ans. Il dit formellement dans son précepte au peuple : " la septième année sera le Sabbat de la terre ; vous ne sèmerez point votre champ etc. "
               La jachère arrivait donc autrefois après six ans de culture ; c'est le système pastoral dans sa pureté primitive.

               Pour remédier un peu à la pénurie des fumiers, les Arabes ont l'habitude, lors des récoltes de n'enlever que les épis du blé et de l'orge et de laisser la paille sur pied, où elle sert de pâture aux bestiaux dans leurs parcours journaliers, et dont les débris, par leurs détritus fument ensuite la terre et lui redent une partie des matières organiques et minérales qui lui avaient été enlevées.
               Les Israélites n'agissaient pas autrement en Palestine ainsi que le constate le lévitique chapitre 23, verset 22.
               Et ce procédé leur venait certainement des Égyptiens qui devaient opérer de cette manière si l'on s'en rapporte aux hiéroglyphes des temples d'Égypte, qui représentent le peuples des moissons, debout, coupant le blé à mi-hauteur avec une faucille à la main.

               Il est à remarquer qu'on économise ainsi le transport de la paille au douar et celui du fumier au champ. Tout est donc pour le mieux puisqu'il y a tout à la fois :
               - économie de temps,
               - de fatigue et
               - de dépenses.

               Voilà pourquoi l'indigène n'a besoin ni de faucheuses, ni de faux et pourquoi la faucille lui est suffisante.

               Elle est moins fatigante à manier et l'homme fait, en outre, plus d'ouvrage dans la journée.
               C'est aussi pour engraisser le sol que les Arabes mettent le feu :
               - aux mauvaises herbes,
               - aux chaules,
               - aux broussailles.

               Il ne faut certes pas les critiquer d'un usage qui est logique, puisqu'il est aujourd'hui reconnu que les cendres fertilisent les terres.

               Laissons-leur donc leur mode de culture qui parait basé sur l'observation des faits recueillis dans la pratique et recommandons-leur :
               1° de sarcler leurs champs, c'est-à-dire, d'enlever les mauvaises herbes et les plantes nuisibles qui envahissent les blés, les orges et autres cultures.
               Cette opération doit avoir lieu quand les blés et les orges sont bien levès et qu'on peut encore les fouler impunément.
               Le sarclage ne doit venir qu'après une légère pluie qui permettra d'enlever sans peine les mauvaises herbes avec leurs racines.
               2° de mettre en réserve dans les silos, et pour les années de disette, le surplus des années abondantes, leur rappelant, à ce sujet, que sur quatorze récoltes il y en a toujours sept de médiocres, passables ou mauvaises, ainsi que l'agriculture en a fait l'expérience.
               C'est une donnée acquise à l'économie agricole et que Joseph a expliqué jadis au roi pharaon par la paraboles des sept épis pleins et des sept épis maigres.

Prairies

               L'Algérie possède des prairies naturelles mais pas en assez grand nombre cependant pour entretenir les nombreux troupeaux du pays.
               Celles qui existent peuvent être utilisées en hiver quatre à cinq mois au plus, et ensuite, les bestiaux végètent et ne mangent plus que quelques mauvaises herbes protégées avec peine des ardeurs du soleil par les pierres et les rochers auprès desquels elles vivent médiocrement.
               Il est donc essentiel d'arriver à créer des prairies artificielles au moyen de séguias (canaux d'irrigation) bien conduites comme savent le faire les Arabes qui, lors de leur première splendeur, ont été jadis nos maîtres en diverses contrées et notamment en Espagne, où leurs travaux d'irrigations servent encore de nos jours. On obtiendrait ainsi :
               - des luzernes,
               - trèfles,
               - sainfoins (plante fourragère) etc., dont les premières coupes seraient soigneusement ramassées et mises en meules pour la saison d'été ou d'automne, alors, que tout est brûlé ; les regains seraient consommés sur place.


               La conséquence immédiate de cette innovation serait l'amélioration de la race bovine.
               Si nous proposons de multiplier les séguias par quelques barrages , nous n'entendons pas conseiller d'immenses travaux pour obtenir :
               - des pièces d'eau,
               - des étangs ou
               - des lacs, parce que ces eaux, vu la faiblesse des ruisseaux qui devraient les alimenter, seraient rapidement absorbées par l'ardeur du soleil et l'on aurait bien vite des marais pestilentiels.

               Élevons simplement de petites digues et nous aurons des irrigations en nombre suffisant pour obtenir de belles prairies artificielles aux abords des cours d'eau.

               Ce sera une immense ressource pour les Arabes et on pourra, dès lors, leur interdire de paître leurs troupeaux dans :
               - les bois,
               - taillis et
               - broussailles

               Qui garnissent maigrement les pentes presque dénudées des montagnes et de leurs contreforts.
               - Les bestiaux,
               - les moutons et surtout
               - les chèvres sont la ruine des forêts.
               - Ces dernières vont jusque dans les anfractuosités des rochers les plus élevés brouter les arbustes et dévorer les bourgeons naissants.


               Le jours où ces animaux ne circuleront plus dans les bois et les broussailles, la végétation renaîtra facilement sur les montagnes, les eaux retenues un instant par les racines des arbres ne glisseront plus sur les pentes avec une rapidité dévastatrice et les terres ne seront pas entraînées dans les talwegs (ligne plus grande pente d'une vallée) pour de là être charriées à la mer.
               Quand les arbres se seront refaits, que les broussailles auront pris plus de force, on pourra sans crainte songer à reboiser, non par grande surface, mais par bandes parallèles à la lisière des bois.
               On plantera également les clairières des forêts de manière à augmenter l'épaisseur des bois ; les jeunes plants se trouveront ainsi protégés par les vieux arbres.

               Nous recommandons de planter de préférence :
               - des chênes,
               - des pins et surtout
               - des noyers,
               - des châtaigniers dont les fruits seront assurément d'une grande ressource dans les années difficiles lorsqu'à la suite de grandes sécheresses les tribus se retrouveront momentanément privées de céréales.


               Les idées émises plus haut se réduisent à ceci :
               1° favoriser largement et sans arrière-pensée où leur réussite est certaine ;
               2° détourner les colons des hauts plateaux où leurs établissements sont dans de mauvaises conditions et ne peuvent que péricliter, faute de bois et d'eau,
               3° laisser aux Arabes leurs stations d'été dans le Tell et leurs stations d'hiver reconnues indispensables à leur existence,
               4° ne pas les détourner de cette vie nomade qui seule leur permet de rester sur leurs terres de labour le temps juste nécessaire pour les ensemencer et les abandonner ensuite pour aller vivre ailleurs en attendant que l'époque de la moisson vienne les rappeler.

               Les auteurs qui parlent d'assimiler les Arabes et de les attacher au sol par des constructions à l'européenne oublient que les trois quarts des plaines ne sont habitables que durant quelques mois de l'année, qu'il faut les abandonner aux premières chaleurs pour gagner les montagnes sous peine de mourir de fièvre et de faim.
               Que l'existence y est impossible parce que les ressources tarissent en été et que si l'on persiste à vouloir tenir la position, on est réduit à boire de l'eau des mares qui donne bientôt des dysenteries et enlève rapidement les populations.

               On parle souvent de ce qui se passe en Amérique, et on vante sans cesse la prospérité de ces colonies lointaines comme une condamnation de notre système.
               A cela il n'y a qu'un mot à répondre : l'Amérique possède de grands fleuves constamment plein d'eau qui répandent la vie partout et en tous temps récompensent aussi les colons de leurs fatigues et de leurs efforts journaliers.
               En Afrique ce n'est pas cela. On a de l'eau pendant cinq mois et l'on en manque pendant sept mois.
               Ceci explique pourquoi les Européens ne peuvent, sans danger, se fixer sur les hauts plateaux et pourquoi aussi les Arabes les abandonnent à leur tour aux époques de sécheresse.

               Il ne faut donc pas se faire illusion, il vaut mieux dire franchement ce qui est que de laisser de braves gens courir après une chimère en s'installant de confiance là où ils sont fatalement condamnés à périr.
               Ce sont justement ces déceptions déplorables qui ont découragé les premiers venus, en ont fait mourir à la peine et ont éloigné les autres.

               Si nous voulons sauver la colonie :
               - occupons fortement le Tell,
               - appelons-y des colons agriculteurs,
               - vendons leur des terres à bon marché mais
               - ne les laissons pas monter sur les hauts plateaux où leur ruine est certaine.

               En leur disant nettement la vérité , nous rendrons, soyons-en persuadés service à tout le monde. Laissons de côté les utopies.
               Ne songeons pas à assimiler à ce qui ne peut pas l'être.
               Sachons faire comme les Romains qui ont toujours eu le bon esprit de laisser aux vaincus leurs mœurs et leurs coutumes, et qui poussaient en outre la sagesse jusqu'à savoir renoncer à leurs usages quand ils en trouvaient de meilleurs chez leur tributaires.
               Faisons tout pour attacher les Arabes à notre cause, car ce sont, ne l'oublions pas, d'intrépides soldats qui nous ont déjà prouvé sur vingt champs de batailles, qu'ils étaient à plus d'un titre dignes de toute notre estime et de toute notre sympathie. Ouvrons enfin de bonnes routes pour relier au plus vite à la côte les points extrêmes des hauts plateaux.
               C'est croyons nous, le seul moyen de faciliter l'écoulement des produits et de dominer ainsi, pour le commerce, le pays tout entier.

               Je conclurai dont en deux mots : Aux Européens le Tell (à l'exception de tout ce qui est nécessaire aux indigènes) , aux Arabes les Hauts Plateaux (avec leurs stations dans le Tell).
               Et avant vingt ans l'Algérie aura complètement changé d'aspect.
               Mais pour atteindre avec certitude ce but tant désiré, après lequel on court en vain depuis si longtemps par des essais mal définis, il ne faut pas que l'arrivée d'un nouveau chef puisse chaque fois tout remettre en question dans le pays.
               Car ces changements si fréquents n'ont cessé jusqu'à ce jour de jeter le trouble dans les esprits et la perturbation dans toutes les administrations :
               - politiques, civiles et militaires,
               - et même temps qu'ils ont malheureusement entravé le progrès parmi les habitants de la colonie, incertains qu'ils étaient du lendemain, inquiets de l'avenir.


               Il est donc nécessaire que la Mère Patrie adopte décidément un système connu de tous et l'impose ouvertement au gouverneur sans lui permettre de s'en écarter.
               Il faut qu'un programme bien élucidé par une commission de hauts fonctionnaires et de grands industriels soit enfin arrêté, une fois pour toutes, et qu'il soit désormais de rigueur pour tous ceux qui viendront prendre successivement la direction des intérêts de la colonie.
               Il faut, de plus, que notre ligne de conduite vis-à-vis de Arabes soit ferme et énergique, mais aussi loyale, afin qu'ils sachent également sur quoi ils peuvent compter et ce qu'ils ont à espérer de nous.
               D'autre part, il faut qu'ils soient bien convaincus, par nos actes, que nous voulons à tout jamais faire de l'Algérie une seconde France.
               Alors, mais seulement alors, l'opinion publique éclairée saura dans quelle voie l'on marche et le but qu'on se propose.

               A partir de ce moment, l'espérance se fera jour, la confiance renaîtra, et :
               - les colons sérieux,
               - les agriculteurs intelligents,
               - les vrais travailleurs,
               - les hommes entreprenants

               Arriveront sans crainte, amenant avec eux cette prospérité tant souhaitée qui règnera désormais du Tell au Sahara.

               En présence de ces heureux résultats, les Arabes rassurés à leur tour et tranquilles sur leur avenir, ne songeront plus à se soulever, parce qu'ils verront clairement que nous savons enfin ce que nous voulons et ils comprendront aisément que leur bien être futur dépend réellement de la présence continue de notre drapeau sur le sol algérien.
               Drapeau du reste essentiellement civilisateur puisqu'il porte dans ses plis les principes immortels proclamé pour la première fois par la France, il y a plus de quatre-vingt ans et pour toujours soutenus par elle :
               Liberté, Egalité, Fraternité.
Réflexions sur la colonisation en Algérie.
P. Zaccone capitaine au 7e de ligne, détaché aux affaires indigènes.
(Bureau arabe de Tébessa .) Édition 1872.



Étude sur la condition à faire
aux Étrangers établis en Algérie.
Envoi de M. Christian Graille

               La question des étrangers est une de celles qui intéresse le plus vivement l'avenir et la prospérité de notre grande colonie africaine.
               La population de l'Algérie se décompose, en effet, de la manière suivante :
               - Français : 272.622
               - Israélites : 47.677
               - Indigènes : 3.267.223
               - Tunisiens : 2.803
               - Marocains : 15.698
               - Etrangers européens : 219.920

               Dans cette dernière catégorie nous comprenons :
               - les Espagnols, les Italiens, les Anglo-Maltais, les Allemands.
               Mais ceux-ci, à vrai dire, sont Allemands malgré eux ; ce sont, pour la plupart, des Alsaciens qui n'ont pas pu opter. Ils sont nos compatriotes et demandent à reprendre leur place dans la famille française.

               Les étrangers européens occupent, on le voit, une grande place sur le sol algérien ; et on peut se demander avec une certaine inquiétude s'il n'y a pas lieu de laisser ainsi se développer une population étrangère qui pourrait devenir, à un moment donné, égale et même supérieure en nombre à la population française.
               Viennent certaines complications qui sont dans l'ordre des choses possibles, n'y aurait-il pas là un danger réel pour notre colonie ?
               Malgré cette superbe prophétie de Prévost-Paradol (journaliste et essayiste) " que l'Algérie serait pour la France un sujet de consolation et d'espoir ", il faudrait douter de son avenir si les Français n'y devenaient pas progressivement assez nombreux pour encadrer les autres éléments.
               Ce qu'il faut pour assurer l'avenir de notre colonie, c'est, avant tout, de faciliter l'immigration française, d'y envoyer le plus de Français possible ; mais les efforts tentés par l'Administration pour atteindre ce but au moyen de la colonisation officielle n'ont pas donné de résultats très satisfaisants.

               Avant d'examiner les conditions à faire en Algérie aux étrangers européens, il nous parait utile de dire un mot des Indigènes musulmans.
               Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865, qui vint régler en Algérie l'état des personnes et les formes de la naturalisation, déclarait les Indigènes, sujets français, tout en leur conservant leur statut personnel.
               Le gouvernement impérial voulait donner à ces populations une preuve de sollicitude et de confiance, qui, dans sa pensée, devait hâter leur rapprochement.
               Elles n'avaient qu'un pas à faire pour obtenir la plénitude des droits du citoyen français et l'on considérait ce pas comme devant être prochainement franchi.
               Nous savons ce que valaient ces illusions.

               La naturalisation des Arabes est une utopie ; on n'assimile pas les contraires.
               L'expérience a démontré que les idées de l'Occident ne sont pas faites pour l'Orient. Selon l'expression, de M. Charles Benoist (journaliste, homme politique, diplomate) les Indigènes de l'Algérie sont séparés de nous par une longue distance ; ils sont encore des Orientaux réfractaires aux bienfaits de notre civilisation, et ils ont toute une évolution à accomplir pour nous rejoindre, ou tout au moins pour nous suivre dans la voie du progrès.
               M. Renan (écrivain) l'a dit également : " Tous ceux qui ont été en Orient ou en Afrique sont frappés de ce qu'a de fatalement borné l'esprit d'un vrai croyant, de cette espèce de cercle de fer qui entoure sa tête, la rend absolument fermée à la science et incapable de s'ouvrir à aucune idée nouvelle à partir de son intuition religieuse. Vers l'âge de dix ou douze ans, l'enfant musulman, jusque-là éveillé, devient tout à coup fanatique, plein d'une sotte fierté de posséder ce qu'il croit, la vérité absolue, heureux comme d'un privilège de ce qui fait son infériorité.

               Ce fol orgueil est le vice radical du musulman ; l'apparente simplicité de son culte lui inspire un mépris peu justifié pour les autres religions.
               Persuadé que Dieu donne la fortune et le pouvoir à qui bon lui semble, sans tenir compte ni de l'instruction ni du mérite personnel, le Musulman a le plus profond mépris pour l'instruction pour la science, pour tout ce qui constitue l'esprit européen. "
               Entre les Indigènes et nous il y a deux obstacles :
               - une conception religieuse et
               - une conception sociale, et il faudra des siècles pour que l'assimilation des races, réclamée par des esprits plus généreux que clairvoyants, soit réalisable.


               Cependant si l'assimilation, au sens absolu, est l'œuvre des siècles, la politique française doit continuer l'œuvre civilisatrice qu'elle a entreprise.
               Elle a répudié avec honneur la colonisation avec extermination, elle a également renoncé à la politique de refoulement, il faut qu'elle persévère dans sa mission qui consiste à relever l'indigène, à le civiliser.
               C'est l'œuvre de mélanger des Indigènes à une population grandissante d'éléments européens et ainsi que l'a exposé M. Burdeau, dans son rapport sur le budget général de l'exercice 1892, " le but essentiel de notre établissement dans le Nord de l'Afrique, c'est d'y créer, avec le concours des étrangers européens assimilables, un groupe de Français qui puissent civiliser et rapprocher de nous les Indigènes."
               Douée d'une natalité souvent supérieure à la nôtre, augmentant d'une façon continue et par l'immigration et par l'excédent de naissances, cette colonie étrangère, par ses agglomérations de plus en plus denses, constitue sans doute au point de vue national un véritable péril.

               Dans les périodes de 1866 à 1872 et de 1872 à 1876, l'accroissement des étrangers a été beaucoup plus considérable que celui des Françaix mais de 1876 à 1881 une progression inverse s'est produite au profit de nos nationaux.
               Elle résulte de deux causes passagères : l'impulsion active donnée à la colonisation officielle et surtout la crise économique qui a provoqué dans les départements vinicoles du Midi un fort courant d'émigration vers l'Algérie.
               D'après le recensement de 1876, le nombre des Européens non Français s'élevait à 155.072 habitants et celui de nos nationaux n'était que de 155.363 ; ainsi, à cette époque, les étrangers égalaient le nombre des Français.

               Les chiffres du dénombrement de 1891 sont plus rassurants ; ils établissent en notre faveur une supériorité d'environ 40.000 unités.
               Mais étant donnée la force d'expansion de la population étrangère, il y a toujours lieu de redouter le retour d'une situation qui préoccupait, à juste titre, il y a quelques années les pouvoirs publics.
               Selon M Dain, professeur à l'école de droit d'Alger, qui a publié dans la revue algérienne et tunisienne une étude approfondie sur la naturalisation des étrangers en Algérie, le danger qui résulte de leur accroissement n'est pas le seul.
               Le groupement spécial des deux principales races immigrantes en révèle un autre plus menaçant encore pour l'avenir de notre influence.

               Tandis que les Espagnols envahissent la province d'Oran, l'immigration italienne se concentre principalement sur la province de Constantine. Il ne s'agit donc pas seulement d'empêcher la nationalité française d'être un jour débordée par l'élément étranger, il faut surtout :
               - désagréger ces groupes,
               - en détacher chaque années des fractions importantes,
               - et fondre dans une nationalité homogène les éléments disparates réunis en Algérie.

               Notre race, avec sa force d'assimilation, finira alors, par absorber des individus sans patrie, sans lien solide entres eux, et c'est par la naturalisation qu'on pourra obtenir ce résultat.

               Le gouvernement impérial avait déjà compris cette nécessité, et il avait eu recours au sénatus-consulte du 14 juillet 1865 qui, au moment où il fut promulgué, constituait un grand progrès sur la législation métropolitaine.
               D'après cet article, la naturalisation française pouvait être accordée sans admission préalable à domicile à tout Indigène musulman qui en faisait la demande et à tout étranger européen qui justifiait avoir résidé pendant trois années continues sur le territoire français.
               La mesure était large sur tout pour l'époque, les formalités étaient réduites autant que possible.

               Cependant le sénatus-consulte de 1865 n'a pas produit les effets qu'on en attendait. En 1884 c'est-à-dire dans une période de dix-neuf ans, il n'avait été accordé que 5.964 naturalisations sur lesquelles on comptait :
               - 4.754 naturalisations d'Européens,
               - 532 naturalisations d'Indigènes algériens,
               - 678 naturalisations d'Israélites tunisiens et marocains.


               Devant l'insuffisance de cette législation, le Gouvernement général de l'Algérie fit mettre à l'étude la question des modifications à y apporter et après une discussion approfondie, le Conseil de gouvernement a reconnu que nos efforts devaient tendre à faire rentrer dans les cadres des Français d'origine tous les étrangers qui, nés sur notre sol, déjà préparés par l'école et par l'usage de notre langue, étaient aptes à recevoir le bienfait d'une naturalisation de droit.
               L'École de Droit d'Alger avait élaboré, de son côté, un projet de loi qui fut transmis au Ministre de la justice, accompagné d'un remarquable rapport de M. Dain.

               Au terme de ce projet, étaient déclarés Français tout individu né en Algérie d'un étranger, à moins que dans l'année qui suit l'époque de sa majorité, il ne réclame la qualité d'étranger et qu'il ne justifie conservé sa nationalité d'origine par une attestation en due forme de son gouvernement.
               La loi sur la nationalité française du 26 juin 1889, dont les dispositions ont été étendues à l'Algérie, a consacré pour la France entière le principe dont on réclamait dans notre colonie africaine une application particulière.
               Toutefois le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 et les autres dispositions spéciales à la naturalisation en Algérie continuent de recevoir leur application (article 2 de la loi du 26 juin 1889.)

               Les dispositions de cette loi doivent donc se combiner avec celle du sénatus-consulte de 1865.
               Ainsi les étrangers pourront toujours obtenir la naturalisation après trois ans de résidence, sans être astreints, comme dans la Métropole, soit à une résidence de dix ans, soit à une autorisation préalable de domicile, mais il leur sera également possible, en vertu de la loi nouvelle, d'être naturalisés, au bout d'un an, dans les cas déterminés, lorsqu'ils auront préalablement été autorisés à établir leur domicile en Algérie.

               C'est ce que démontre très nettement M. Audinet, professeur à la faculté de droit d'Aix dans une étude sur la nationalité française en Algérie et en Tunisie, d'après la législation récente, étude publiée par la revue algérienne et tunisienne de 1889.
               Il ne faut pas méconnaître qu'on amène difficilement les étrangers à se faire naturaliser. Il ne suffira pas d'un texte de loi pour vaincre leur répugnance.
               Pour décider ceux qu'il est désirable d'assimiler, à répudier leur nationalité, il importe qu'ils aient un intérêt évident à se faire naturaliser.
               Il ne faut pas que la naturalisation ait pour conséquence de leur imposer certaines charges, et notamment le service militaire, sans leur assurer en retour des avantages appréciables.

               Les étrangers sont exclus des adjudications de terres domaniales. Cette exclusion est d'autant plus sensible qu'ils sont généralement avides de terres, et qu'ils sont intéressés à les acquérir directement de l'État qui les aliène à des prix relativement peu élevés.
               Depuis la loi de 1884, ils n'ont plus de représentants dans les conseils municipaux. Le désir de prendre part aux affaires communales pourra être un stimulant à la naturalisation chez un certain nombre de résidents étrangers ayant des intérêts dans le pays.
               Le titre de Français ainsi largement conféré créera le sentiment de la nationalité qui bientôt s'imposera à ces nouveaux compatriotes et on arrivera de la sorte à désagréger ces groupes compacts d'étrangers dont nous avons déjà signalé le danger.

               Avec la loi nouvelle, il y a lieu de l'espérer, nous pourrons obtenir d'excellents résultats, surtout chez les Espagnols qui n'ont pas contre nous de préjugés nationaux et qui ont contribué pour une grande part à la colonisation, principalement dans le département d'Oran ; mais elle n'est pas exempte de préoccupations pour l'avenir. Certes, les colons d'origine française sont très attachés à la France mais il en est d'autres, les Israélites naturalisés brusquement et en bloc par le décret du gouvernement de la défense nationale, et les fils des étrangers qui n'ont pas ce sentiment au même degré. Ils ne se considèrent pas tant comme des Français que comme des Algériens.

               Ainsi que l'a exposé M. Franck Chauveau au sénat, devant la commission d'études des questions algériennes, quand on leur demande s'ils sont Français, on entend souvent cette réponse de leur part : " Nous sommes Algériens. "
               Ce qui est certain, c'est que du mélange de toutes ces variétés du sang européen, la plupart méridionales, naît une nouvelle race, déjà fort reconnaissable. Nous ne pouvons la modifier et la frapper à notre image qu'en y faisant prédominer notre génie et notre langue par une immigration française de plus en plus nombreuse, choisie et persistante, qu'en y faisant passer un courant continu de sang français.

               Il serait bon également d'envoyer les Algériens faire leur service militaire en France afin de les mêler plus profondément à notre vie nationale.
               Il y aurait peut-être aussi quelque chose à faire en ce qui concerne l'enseignement, et il serait à désirer que l'instruction fût rendue obligatoire pour les étrangers comme pour nos nationaux, afin que ces jeunes gens :
               - nés en Algérie,
               - ayant grandi au milieu de nos compatriotes,
               - sachant notre langue aussi bien, si ce n'est mieux que l'idiome de leur ancienne patrie,
               - soient plus disposés à accepter la nationalité qui leur sera offerte à l'époque de leur majorité.


               Mais si l'école primaire a un rôle très considérable à jouer, celui de l'armée est plus grand encore. (Déposition de M. Wahl, professeur d'histoire au lycée Condorcet, devant la commission d'étude des questions algériennes.)
               Ajoutons que la crainte du service militaire n'agira que faiblement en Algérie ; pour les Espagnols ce mobile n'existe pas puisque la convention consulaire de 1862 les oblige en tout état de cause au service militaire dans l'un ou l'autre pays.
               Quant aux autres étrangers, ils auront presque tout intérêt à subir cette charge dans notre colonie où la durée du service actif est réduite à une seule année.
               En un mot, dans l'intérêt général de la colonie, il est à désirer que la population se fonde de plus en plus avec la population d'origine française et que les distinctions entre elles s'effacent chaque jour davantage.

               Il nous reste à examiner la situation des étrangers devant la juridiction française.
               Nos tribunaux, en Algérie, sont compétents dans tous les cas où ceux de la Métropole le sont eux-mêmes par exemple :
               1° lorsque la contestation s'élève entre Français et étrangers,
               2° lorsqu'elle s'élève entre étrangers qui ont été autorisé par le gouvernement à fixer leur domicile en France ou en Algérie,
               3° lorsqu'il s'agit d'étrangers qui invoquent un traité conclu entre la France et la nation à laquelle ils appartiennent,
               4° dans tous les cas où la compétence tient à la nature de l'affaire comme en matière commerciale ou en matière immobilière.

               Mais la compétence des tribunaux français d'Algérie n'est-elle pas plus générale ?
               La législation spéciale de l'Algérie n'a-t-elle pas apporté sur ce point quelque dérogation au droit commun de la métropole ? Ici se place la question de savoir si tous les étrangers qui résident en Algérie doivent être considérés comme autorisés à y fixer leur domicile et à jouir par conséquent des même droits civils que les Français. Il est généralement admis que le fait d'avoir fixé leur résidence dans la colonie et de s'y être créé des intérêts sérieux, ne les dispense pas de l'admission à domicile pour jouir des dispositions de l'article 13 du code civil.
               Cette interprétation est sage.

               Il convient d'observer en effet que les étrangers établis dans la colonie ne demandent que rarement ou même ne demandent jamais cette autorisation parce qu'elle ne leur est pas nécessaire pour obtenir la naturalisation ; or nous avons déjà signalé l'intérêt qu'il y a pour l'avenir de nos possessions africaines à faire rentrer dans nos rangs la population étrangère.
               Il est bien évident que ces étrangers seront moins empressés à solliciter le bienfait d'une naturalisation, si sans avoir à répudier leur propre nationalité, ils jouissent des même avantages que les citoyens français.
               Des textes formels leur accordent cependant certains droits que la législation métropolitaine refuse aux étrangers ordinaires.

               Ainsi aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du1 6 avril 1843 sur la procédure civile en Algérie, la résidence habituelle vaut domicile.
               En vertu de l'article 19 de la même ordonnance, ils sont dispensés lorsqu'ils sont demandeurs, de fournir la caution judicatum solvi (garantie foncière qu'un étranger est obligé de fournir lorsqu'il veut intenter une action en justice), et ils peuvent, lorsqu'ils sont défenseurs, l'exiger d'un demandeur étranger qui n'a ni résidence habituelle ni établissement en Algérie.
               L'article 21 les admet au bénéfice de la session des biens.
               Mais la disposition de l'article 2 a uniquement pour objet de modifier, en ce qui concerne l'Algérie, la règle d'après laquelle le défenseur doit être cité devant le tribunal de son domicile.
               Quant aux autres exceptions, elles sont toutes spéciales et il n'est pas possible d'en conclure que les étrangers résidant aient la pleine jouissance des droits civils. Cette théorie est celle de la cour de cassation et elle est partagée par quelques auteurs.
               Il est incontestable que les tribunaux français ont, en Algérie une compétence exceptionnelle à l'égard des étrangers.

               Cette compétence résulte de ce fait, qu'après la conquête qui a entrainé la suppression de la juridiction des consuls, les contestations qui s'élevaient entre étrangers ont été soumises à notre juridiction. L'ordonnance du 10 août 1834 qui a organisé la justice française de notre colonie a déterminé de la façon suivante la compétence des tribunaux qu'elle a établis : " Les tribunaux français connaissent toutes les affaires civiles et commerciales entre Français, entre Français et indigènes ou étrangers, entre Indigènes de religion différentes, entre Indigènes et étrangers, entre étrangers. "

               L'ordonnance du 22 octobre 1842, qui a remplacé, en la modifiant sur certains points, celle du 10 août 1834 est moins explicite. Elle dit simplement que les tribunaux français soient compétents entre toutes personnes à l'exception des Musulmans qui conservent la juridiction des cadis.
               Ce texte n'est, sous une forme plus concise, que la reproduction des dispositions de l'ordonnance de 1834, et il doit être interprété en ce sens que la juridiction de nos tribunaux s'étend, d'une façon générale à nos nationaux et aux étrangers, à l'exception des seuls Musulmans.

               Mais on n'est pas d'accord sur l'étendue de cette compétence. Selon certains auteurs, cette compétence est absolue et elle s'impose dans les contestations relatives à l'état et à la capacité des personnes aussi bien que dans celles qui concernent un intérêt pécuniaire, à la condition, bien entendu, que le défenseur, au moins, ait sa résidence en Algérie, ou qu'il s'agisse de droits ou actions ayant pris naissance dans la colonie.
               La jurisprudence au contraire décide que pour les contestations se rapportant à l'état et à la capacité des personnes, les tribunaux d'Algérie sont incompétents, comme les autres tribunaux français.
               Les raisons qui ont inspiré cette jurisprudence sont que dans les questions qui touchent au statut personnel, il faut appliquer les lois de la nation à laquelle appartiennent les parties.
               Or nos tribunaux, ignorant ou ne connaissant ces lois qu'imparfaitement seraient exposés à commettre des erreurs préjudiciables aux intérêts des parties ou dangereuse pour la bonne administration de la justice.

               On ne saurait méconnaître la valeur de cette observation.
               Dans des contestations de cette nature, il faut que le justiciable soit renvoyé devant ses juges naturels.
               Les tribunaux français ne sont institués que pour appliquer la loi française.
               Une dérogation à un principe de droit international tel que celui qui réserve à chacun statut personnel ne saurait facilement se présumer et c'est en vain que l'on rechercherait cette dérogation dans la législation spéciale de l'Algérie.

               Les ordonnances de 1834 et 1842 qui confèrent à nos tribunaux une compétence dans les affaires civiles et commerciales ne parlent pas des questions d'état et les termes qu'elles emploient semblent bien limiter la compétence aux intérêts exclusivement pécuniaires.
               Changer ces règles pourrait éloigner les étrangers, au lieu de les attirer, car on doit supposer aux immigrants le souci de leur nationalité d'origine et la volonté d'en conserver les lois. S'ils préfèrent les nôtres, ils en recevront le bienfait au moyen de la naturalisation qui leur est largement offerte.
Étude sur la condition à faire aux étrangers établis en Algérie par
M. Julien de Lassalle, sous-chef de bureau au ministère de la justice.
(Extraits du bulletin des sciences économiques et sociales du comité
des travaux historiques et scientifiques). Édition 1893.



Les dunes et le simoun.
Envoi de M. Christian Graille

               Ainsi que la Hollande, la Belgique et principalement les environs d'Odense, le Sahara possède des dunes immenses.
               Le sud de la province de Constantine en est particulièrement couvert ; elles atteignent là des hauteurs prodigieuses et s'étendent à perte de vue.
               Poussées et toujours augmentées par le vent du désert (le simoun),
               - elles vont, viennent,
               - se déplacent en un mot, avec une rapidité incroyable.

               Ces dunes mouvantes sont un réel danger pour le voyageur qui peut facilement s'y égarer, et sont un obstacle presque insurmontable pour la construction de lignes ferrées et même de routes.

               Depuis 1882, époque de l'annexion du M'zab, de grands travaux ont été entrepris par le génie militaire afin de faire des chemins de communication entre les différentes oasis du Sud ; mais il est certain que c'est peine perdue et que, dans quelques années, ces travaux qui auront coûté beaucoup, disparaîtront sous les sables absolument comme la plupart des ouvrages de ce genre exécutés par les Arabes avant notre arrivée.
               Plusieurs tentatives ont été faites, plusieurs essais ont été entrepris pour arrêter l'invasion des sables, mais devant une semblable force rien n'a réussi.
               C'est là la principale difficulté qui se présente tout d'abord devant le projet d'un chemin de fer transsaharien mettant l'Algérie en communication avec le Soudan ; il y en aurait bien d'autres encore, mais la question des sables serait certainement une des plus importantes.
               Le projet de mer intérieure du commandant Roudaire, s'il était exécutable, serait de beaucoup préférable à la ligne ferrée car non seulement on atteindrait le même but mais on trouverait peut-être là le moyen de fertiliser un pays immense qui ouvrirait alors des débouchés considérables.

               Le simoun ou siroco comme l'appellent les troupiers français est un vent qui devient brûlant en passant sur les sables du désert ; il souffle du Sud-Est et élève la température jusqu'à 45 degrés centigrades.
               Le simoun s'annonce par une grande tache brune qui couvre l'horizon et qui augmente continuellement jusqu'à ce que le vent se fasse sentir :
               - Le ciel s'obscurcit alors,
               - l'ombre des objets s'efface,
               - le vert des arbres paraît d'un bleu sale,
               - les oiseaux sont inquiets,
               - les animaux effrayés,
               - La chaleur devient suffocante,
               - le thermomètre atteint parfois jusqu'à 52 degrés,
               - Le sable est agité comme la mer et s'amoncelle en monticules.

               L'homme est contraint de se jeter à terre et de se voiler la face pour ne pas être étouffé ! Le passage du simoun dure souvent plusieurs heures, quelques fois même plusieurs jours.

               Pendant ce temps, il est impossible de faire quoi que ce soit ; tout est couvert par le sable que dépose le vent en passant.
               Aussi nos malheureux soldats sont-ils fort à plaindre lorsqu'ils sont surpris, dans une expédition, par cet épouvantable fléau.
               La marche se continue quand même, mais avec quelques peines on avance ;
               les fantassins sont épuisés, leurs pieds s'enfoncent dans le sol et la soif les torture ; afin de ne pas être aveuglés, ils se couvrent entièrement la tête avec leur chéchia et vont ainsi titubant comme des gens ivres !

               Les chevaux s'encapuchonnent, cherchant à respirer plus à l'aise et à éviter la poussière qui leur vient dans les yeux ; voyant à peine ils marchent d'une allure incertaine, allant tantôt à droite, tantôt à gauche, éternuant et soufflant afin de chasser le sable qui pénètre dans leurs narines.
               Les chameaux seuls supportent à peu près le simoun, leur marche en est encore ralentie, c'est vrai, mais enfin ils avancent, poussant de temps en temps leur cri guttural et sans avoir l'air de trop souffrir.

Voyage à travers l'Algérie : notes et croquis par Georges Robert.
Édition (1891)



PHOTOS DE BÔNE
Envoi de Pierre Latkowski
CONSTRUCTION DU PORT


LA VILLE VUE DU QUAI 1925



GRUE A VAPEUR


FORT CIGOGNE


LA CATHEDRALE, LYCEE MERCIER, TRIBUNAL, LA POSTE




RECEPTION OFFICIELLE DE CAIDS




DJEMILA
Brochure de 1950

Antique CUICUL
 

Louis LESCHI
Correspondant de l'Institut
Directeur des Antiquités de l'Algérie


DJEMILA
LA VILLE 1
8 - Arc sur le Cardo Maximus


9 - Arc sur le Cardo Maximus

                 La colonie de Cuicul (Djemila), sentinelle romaine au cœur d'un massif montagneux, entre Sétif et Constantine, se dresse dans un site d'une beauté sauvage. Des montagnes sombres, couleur de velours marron, qui, pendant quelques semaines, au printemps, s'adoucissent de reflets verts, bornent la vue de toute part. Mais l'austérité du cadre n'est pas sans grandeur, et le travail de l'homme y prend des proportions plus nobles. La ville elle-même s'étire sur un éperon de forme triangulaire qui va en s'amincissant et en s'abaissant vers le Nord. De part et d'autre, des oueds coulent au fond d'étroits ravins. Malgré tout, les constructeurs de la ville ont cherché à conserver à la cité naissante la régularité et l'ordonnance des colonies militaires, sans toujours pouvoir y réussir.
10 - Cardo Maximus

                  Le charme de Djemila provient d'abord des dérogations imposées par la nature des lieux à l'ordonnance classique. Une grande rue traverse la ville de bout en bout, mais elle n'est pas dans l'axe de la cité. Il faut un effort pour retrouver dans la partie la plus ancienne de la ville le quadrillage de Timgad, par exemple. Mais avec son beau dallage irrégulier qui recouvre au centre un vaste égout et que les traces de voitures ont meurtri, la rue est restée très vivante. C'était un fragment de la grande voie qui, dans l'antiquité, joignait à la mer les plateaux où poussait le blé. Vers le centre de la ville, elle s'ornait d'une porte monumentale aux colonnes corinthiennes engagées. A droite et à gauche, des trottoirs courent sous des portiques soutenus par des colonnes et des piliers. Le climat est rude, à Djemila. La neige y tombe avec abondance et le soleil d'été y est ardent : les portiques des rues assuraient aux habitants des promenades agréables par tous les temps et à toute heure du jour (Ph. 8, 9, 10)

                  L'arc qui enjambe la grande rue indique le voisinage du Forum. La place, à peu près carrée, a conservé intact son dallage sur lequel se dressent des bases de statues avec leurs inscriptions et, en avant des marches qui conduisaient au Capitole, un grand autel orné de sculptures. La face principale représente un génie ailé qui sort d'un grand vase à deux anses et qui tient des rinceaux de vigne. Serait-ce une allégorie ? Sur une face latérale se déroule le sacrifice d'un taureau. Le sacrificateur brandit sa double hache. Un bélier et un coq semblent attendre patiemment leur tour. Le feu est allumé sur l'autel qu'entourent les instruments du culte (Ph. 11, 15, 16).
11 - Forum Nord ou Vieux Forum

                  Le Forum, coeur de la Cité, est bordé de nombreux édifices. Du côté du Nord, la vue était barrée par la masse majestueuse du temple de Jupiter Capitolin, de Junon et de Minerve. Il n'en subsiste plus qu'une partie de l'escalier monumental qui y donnait accès, quelques bases et des tronçons de colonnes.
12 - Temple de Venus Genetrix


13 - Temple de Venus Genetrix vu du Cardo Maximus

                  Du côté de l'Est, s'ouvrait la Curie, salle où siégeait le Conseil Municipal. Un porche encadré d'inscriptions honorifiques la précède et donne sur le Forum, au pied même du Capitole. En face de la Curie, tout le côté Ouest de la place était bordé par une grande basilique judiciaire, construite vers 169, sous le règne de Marc-Aurèle Enfin un large portique à colonnes corinthiennes, surélevé de plusieurs marches, dominait la place du côté du Sud. La plupart des édifices et des inscriptions honorifiques datent du IIéme siècle de notre ère. A l'époque des Antonins, le centre de la ville était ici et toute l'activité politique, religieuse, administrative, judiciaire s'y déroulait au milieu de la flânerie des oisifs et de la curiosité des badauds.
14 - Temple de Venus Genetrix

                  Tout auprès du Forum, presque au centre de la ville, se dresse un petit temple de proportions si justes que dans sa petitesse il ne manque pas de majesté. Il n'en reste que quelques vestiges, mais ils produisent un effet charmant. De la rue, on accède à l'édifice par une arche ouverte dans un grand mur et un contraste s'établit entre cette architecture robuste et simple et la légère façade du temple. Le seuil franchi, on pénètre dans une vaste cour dallée, entourée sur trois côtés par un portique à colonnes, jadis couvert. Du côté du Sud, s'avance en saillie dans la cour le temple, en haut d'un perron de douze marches. Six colonnes en beau granit gris le précèdent. Du sanctuaire lui-même, il ne subsiste plus que le mur de façade, percé d'une vaste porte et d'une grande baie rectangulaire. Mal-gré les mutilations des colonnes, des chapiteaux et la disparition de la cella, ce qui reste est gracieux et un peu aérien, comme un fantôme de temple. Un fragment de la dédicace a été retrouvé et il est probable qu'il s'agit d'un temple de Venus, Venus Genetrix, la déesse protectrice de Rome, depuis que Jules César, qui se prétendait son descendant, avait conquis le pouvoir suprême. Les cultes de Vénus et de Rome furent associés plus étroitement que jamais sous le règne des Antonins et le temple de Djemila est peut-être le reflet d'un dévotion chère aux empereurs régnants. En face de la religion traditionnelle représentée par le Capitole, se dresse le sanctuaire d'une dévotion particulière, issue d'un effort politique pour maintenir et fortifier les liens spirituels de l'Empire (Ph. 12, 13, 14).
15 - Forum Nord
16 - Forum Nord ou Vieux Forum

                  Pour créer aux alentours du Forum, vers lequel à certains jours convergeait la foule des habitants de la cité et que les oisifs fréquentaient à toute heure, un cadre digne de leur patrie, les habitants de la ville ont rivalisé d'efforts. Ici, les portiques des rues sont plus soignés. Les accès de la place sont ornés de portes monumentales. La basilique civile, construite par Didius Crescentianus, s'ouvre de plain-pied avec la rue et, dès l'entrée, des inscriptions attestent la générosité du donateur. A juste titre, car cet édifice ne mesure pas moins de 48 mètres de long sur 14 mètres de large. Ouvert largement sur le Forum par quatre portes, il servait de tribunal, mais aussi par mauvais temps de lieu de réunion publique, en période d'élections par exemple.
                  La grande rue qui longe la basilique vers l'Ouest descend en pente rapide. Dans le mur de soutien de l'édifice s'ouvre une porte étroite qui donne accès à un vaste sous-sol, voûté sur des piliers massifs. C'est, précédée par un corps de garde, la prison, à proximité du tribunal.


17 - Forum Sud ou des Sévères

                  La ville, pour se développer, n'a pas pu s'étendre vers le Nord. Elle a dû, remontant les pentes, s'agrandir vers le Sud. Mais, de ce côté-là, une ceinture de remparts barrait l'éperon dans toute sa largeur. La ville a franchi le rempart et au IIIe siècle, un nouveau quartier a été construit qui, de faubourg, est devenu partie intégrante de la cité.
                  Les remparts franchis, la ville s'est sentie plus à l'aise et, devant les vieilles portes de la cité, conservées, l'une avec ses montants robustes, l'autre avec ses doubles arceaux, s'est étalée une grande place, beaucoup plus grande que le Forum et qui, aux époques où la ville a été la plus prospère, à peut-être servi de Forum à son tour. I1 y avait eu là, dès l'origine, un carrefour de voies. La route des plateaux à la mer a longé la place avant de la traverser, et là passait aussi la route de Cirta à Sétif. Cela explique toutes les portes qui ouvrent sur cette place. Par ailleurs, son ordonnance est très variée.
18 - Forum Sud ou des Sévères

                  Du côté Nord, elle était bordée par le rempart. Lorsqu'il a été, pour ainsi dire, désaffecté, on l'a utilisé habilement pour supporter un grand portique à colonnes, d'où l'on descend sur la place par un perron de onze marches. Le centre du portique est orné par une large fontaine. Du côté de l'Est s'ouvrait une rangée de salles qui étaient probablement des boutiques et qui supportaient une galerie couverte, prolongement à angle presque droit du premier portique. Au Sud, deux temples dominaient la place, adossés à une colline sur laquelle la ville s'étageait en gradins. Enfin, vers l'Ouest, à côté d'un petit temple dont il ne subsiste que deux gracieuses colonnes, se dresse un grand arc de triomphe. Une belle dédicace au dieu Mars, protecteur naturel de cette ville fondée par des militaires, orne le milieu de la place. Avec sa forme irrégulière, sa pente douce, son dallage conservé en grande partie, et surtout les édifices qui lui font un entourage d'une ordonnance composée et variée à la fois, cette place du IIIe siècle est peut-être le plus bel ensemble architectural de l'Afrique romaine (Ph. 4, 17, 18).
19 - Arc de Caracalla - Face Est

                  Le monument le plus célèbre de Djemila est sans doute l'arc de triomphe qui décore le côté Ouest de la grande place. Il a été érigé en l'année 216, en l'honneur de l'Empereur régnant Caracalla, de sa mère Julia Domna et de son père défunt Septime Sévère (Ph. 16, 19, 20). Leurs statues couronnaient le sommet où subsistent seules les bases.

                  Les façades, à deux étages inégaux ornés de colonnes corinthiennes, avaient des statues dans des niches. Tel qu'il est, l'arc a été restauré en 1921-1922 par le Service des Monuments Historiques. Mais il s'en était fallu de peu qu'il n'ait quitté son emplacement. Il avait résisté au temps, franchi les siècles et il était encore debout, quoique mutilé, lorsqu'en 1839, le duc d'Orléans, de passage à Djemila avec un corps expéditionnaire, le vit et conçut le projet de le faire transporter à Paris et ériger sur une place avec l'inscription : " L'armée d'Afrique à la France ". Trois ans plus tard, en 1842, tout était prêt pour le transfert, mais le 18 juillet 1842, le duc d'Orléans mourait et le Gouverneur

20 - Arc de Caracalla - Face Ouest

                  Général de l'Algérie, le Maréchal Valée, sut conserver le monument à Djemila. Il faut lui en savoir gré. La silhouette de l'arc, un peu grêle lorsqu'on le voit de profil, complète harmonieusement le bel ensemble de la grande place. Par-là on quittait la Numidie pour gagner les Maurétanies lointaines. A ses côtés s'élevaient un petit temple dont le perron a peut-être servi de tribune aux harangues et un vaste château d'eau, bien ruiné aujourd'hui, en arrière duquel s'ouvrait une basilique servant de marché aux étoffes.

21 - Temple Septimien

                  La colline qui, vers le Sud, domine la grande place, sert d'appui à un beau temple, le mieux conservé de Cuicul. Il se compose d'une vaste salle ouvrant par une porte monumentale sur un portique de six colonnes corinthiennes de dix mètres de haut. L'édifice est posé sur une grande plate-forme, bordée à droite et à gauche par des colonnades bien conservées, et à laquelle on accédait par un perron monumental de vingt-six marches.

22 - Temple Septimien

                  De chaque côté de l'escalier, s'ouvraient de vastes galeries en sous-sol, sortes de magasins. Ce temple majestueux qui domine la plus grande partie de la ville, une inscription nous en donne le nom et la date. Il a été dédié en 229, sous le règne de Sévère Alexandre, à la " Gens Septimia ", à la famille Septimienne, famille africaine originaire de Leptis Magna qui, en 193, était arrivée à l'Empire avec Septime Sévère. Peut-être y avait-il dans cet hommage magnifique, se mêlant au loyalisme des Africains romanisés, l'orgueil de compatriotes pour cette glorieuse destinée. Les effigies de Septime Sévère, le fondateur de la dynastie, et de Julia Domna, sa femme, se dressaient dans le temple, et leurs statues colossales ont été retrouvées en partie. On peut les voir au Musée de Djemila, oeuvres honorables de la statutaire officielle (Ph. 1, 2, 21, 22, 23).

23 - Temple Septimien

                  A l'Ouest du Temple Septimien avait d'abord existé un sanctuaire de Saturne dont on a retrouvé des vestiges, notamment les restes d'une colonnade. Sur ses ruines, entre 364 et 367, fut construite une vaste basilique civile qui contenait deux effigies à la Victoire. Elle donnait sur le Forum par un large perron précédé de quelques marches.

A SUIVRE



COMMENT C'ETAIT
Par M. Bernard Donville
   
            Chers amis,
            Avec la suite N° 7 de "Comment c'était", nous allons maintenant rouler sur des rails ce qui est plus difficile que sur la terre mais on va assurer ! Des algérois ,comme moi, ne se rendaient pas compte de l'apport considérable pour le bled que le maillage du train offrait. Les fellouzes, eux, semblaient bien l'avoir compris, intervenant sans cesse pour detruire notre travail...

            Oh le ramdam voire le ramadan. On n'a plus le droit d'ecrire en pataouète (non ce serait y faire insulte) ou en "laisse tomber" ! Les repoches y s'arrivent comme les missiles sur Gaza !
            Pour le N° 8, sur le Tram, un fichier sur les transports urbains algérois, avec en prime un baratin savoureux de chirstian Vebel.

            Avec le N°9, c'est l'eau de notre pays dit aride qui va nous interesser maintenant. Brievement nous verrons qu'avant nous les romains avaient bien défriché le problème . Très tôt après notre arrivée nous avons implanté des ouvrages d'art sur quelques rivières qui ont pu avoir bien des déboires. Simultanément nous avons abordé les problèmes des marécages conduisant à l'assainissement par exemple de la Mitidja .

            Mais nos premiers ennuis sur la construction des barrages se sont vite évaporés avec la réalisation d'ouvrages grandioses, surtout dans la vallée du Chelif. Je rappellerai qu'éjectés de chez nous , magnanimes, nous avons laissé à la disposition de nos successeurs le potentiel de 1500m3 d'eau par an et par habitant, potentiel qui a chuté à 698 m3 en 1998!!!.

           
            Assez d'amertume, bonne lecture et bonne santé pour tous
            Amitiés, Bernard

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Comment-c'était7 sncf

Comment-c'était8 tram

Comment-c'était9 hydrau


A SUIVRE


Le 1er Régiment Etranger de Parachutistes.
Eric de Verdelhan, Le 8 juillet 2021
Envoyé par Mme A. Bouhier.

        « …Les accusés appartenaient tous au 1er REP, régiment qui a tenu dans la sédition le rôle que l'on sait : neuf capitaines, deux lieutenants et un adjudant. Douze hommes en grand uniforme, la poitrine barrée d'innombrables décorations que leur ont values les quatre-vingt-onze citations, les seize blessures, qu'ils totalisent. Douze hommes en colère - une colère plus mêlée d'amertume que d'agressivité - et qui se voulaient aussi les apôtres du commandant Denoix de Saint-Marc, pour lequel tous ont réaffirmé leur admiration et leur fidélité. Ces officiers, âgés pour la plupart d'une trentaine d'années, ont dit les raisons de leur engagement dans le putsch…Ils ont de même répété leur souci d'éviter les effusions de sang… »
        (« Le Monde », 8 juillet 1961)

        Chez moi, sur mon bureau, trône une choppe de bière à l’effigie du 1er REP(1). Elle m’a été offerte il y a bien longtemps, à l’EAI(2), par un lieutenant qui était caporal au 1er REP au moment du putsch d’avril 1961. Cette choppe, je l’ai transformé en lampe : elle éclaire mes écrits, c’est un peu ma lampe d’Aladin puisqu’il arrive même qu’elle les inspire : la (re)lecture d’un article du Monde, en date du 8 juillet 1961, est venu me rappeler que le glorieux 1 er REP est né en juillet 1948, un an avant ma naissance, et j’ai eu envie de raconter son histoire, que trop peu de Français connaissent.
        Le régiment, qui n’était alors qu’un simple bataillon, est né en juillet 1948 à Khamisis, près de Sidi-Bel-Abbès. Il est formé et dirigé par le commandant Pierre Segretain(3) qui choisit le capitaine Pierre Paul Jeanpierre, qu'il a connu au Levant, pour le seconder.

        Le bataillon embarque sur le « Pasteur » le 24 octobre 1948 à Mers-el-Kébir et arrive en Indochine, à Haïphong, le 12 novembre. Durant toute la guerre d'Indochine, le bataillon, dispersé dans plusieurs postes, interviendra surtout au Tonkin, dans le nord de l’Indochine.
        Il intègre la Compagnie Parachutiste du 3ème REI du lieutenant Morin. Cette compagnie a servi de test, de cobaye, pour la création des Légionnaires-parachutistes, le 1er juin 1949. Les paras ont accumulé les exploits durant la seconde guerre mondiale, le Légionnaire « aéroporté » va devenir l’élite de l’élite : un combattant que les meilleures armées du monde nous envient.

        Coa-Bang : première mort du BEP :
        Les 17 et 18 septembre 1950, le bataillon saute sur That Khe, pour rejoindre le Groupement commandé par le lieutenant-colonel Lepage, parti de Lang Son pour secourir les éléments évacués de Cao Bang (défaite de la RC 4). Le 1er BEP se battra avec une fougue et un courage exemplaires. Il est presque totalement anéanti lors des combats dantesques autour de Dong Khe. Le bataillon est dissous le 31 décembre. Ses pertes au feu sont de 21 officiers, dont le commandant Segretain, son Chef de Corps, 46 sous-officiers et 420 légionnaires. Seule une trentaine d’hommes parviendront à rejoindre les lignes françaises, dont le capitaine Jeanpierre, (futur Chef de Corps du 1er REP).

        Et puis, le BEP ressuscite : Il est recréé le 18 mars 1951, avec le reliquat du bataillon originel, regroupé en compagnie de marche du 2ème BEP, et des renforts venus du 3ème BEP d’Afrique du Nord.
        Le nouveau BEP sera d’abord étoffé d’une 3ème compagnie de combat en novembre 1952, puis, le 1er septembre 1953, on lui attribue une compagnie de mortiers lourds.

        Diên-Biên-Phu : seconde mort du BEP :
        Le bataillon, après 56 jours de combats à 1 contre 3, puis 1 contre 10, sera a nouveau anéanti le 7 mai 1954, quand l’héroïque garnison de Diên-Biên-Phu dépose les armes faute de munitions (et de combattants valides), sans reddition et sans drapeau blanc : il a eu 316 tués durant la bataille (sans compter tous les prisonniers qui ne rentreront pas des camps-mouroirs vietminh).

        Les survivants du bataillon embarquent sur le « Pasteur », à Saïgon, le 1er février 1955 et débarquent à Mers-el-Kébir le 24. Adieu l’Indochine que les Légionnaires-paras quittent avec amertume et, pour beaucoup, l’impression de trahir une population qui croyait en la France. Ce départ presque honteux pèsera lourd sur leur décision, plus tard, de « franchir le Rubicon ».
        Le 1er septembre 1955, le bataillon s’étoffe : le 1er BEP devient 1er Régiment Etranger de Parachutistes, et s'implante à Zéralda dans la banlieue d'Alger.

        Le 6 novembre 1956, il participe à « l’Opération Mousquetaire » à Port-Saïd et Port-Fouad en tant qu'unité amphibie.
        Cette belle victoire des paras français (et britanniques) sur les troupes de Nasser, lors de la crise de Suez, se transformera en humiliation sur pression conjointe des USA et de l’URSS.
        Le régiment évacuera Suez entre le 10 et le 22 décembre 1956.
        Dès 1957, le régiment rentre en Algérie où il participe à la « bataille d'Alger » avec les autres unités de la 10ème Division Parachutiste du général Massu. La 10ème DP va rapidement éradiquer les réseaux de terroristes du FLN dont les attentats causaient de nombreuses victimes innocentes.

        La réussite de la « bataille d’Alger » va aussi ouvrir des débats sur la torture. Ces débats, dans lesquels on ne parle jamais des atrocités commises par le FLN, sont alimentés par les communistes, la presse progressiste et des prélats - catholiques ou protestants - de gauche. Plus d’un demi-siècle plus tard on salit encore l’Armée française en général, et les parachutistes en particulier, alors qu’on devrait les féliciter et les remercier d’avoir su ramener le calme dans Alger. Il faut savoir qu’en janvier 1957, Alger, qui était alors la seconde ville de France, a subi …112 attentats en un mois.
        Après la « bataille d’Alger » le REP retourne à son vrai métier et part en opération dans les djebels. Le régiment stationne à Guelma avant de revenir à Zéralda.

        Le 29 mai 1958, durant l'opération « Taureau 3 » dans la région de Bou-Amhdad, le régiment est durement frappé : le lieutenant-colonel Jeanpierre, son Chef de Corps, est tué au combat : son hélicoptère est abattu par les rebelles. Aux cérémonies de la levée du corps, le général commandant la Division déclare : « Je fais ici, devant ce cercueil, le serment solennel que le sacrifice du colonel Jeanpierre ne sera pas vain et que la terre qui reçut ce sacrifice restera française quoiqu’il advienne ».
        Ce serment, les Légionnaires-paras du 1er REP ne l’oublieront pas !

        Putsch du 21 avril 1961 : troisième mort du REP.
        À la veille du putsch d'Alger d'avril 1961, le lieutenant-colonel Guiraud, patron du REP est en permission. Le régiment est commandé par intérim par le commandant Hélie Denoix de Saint Marc, figure emblématique de la Légion(5). C’est ce dernier qui, à la demande du général Challe, engage le régiment au côté des autres unités putschistes. Il donne le coup d'envoi, le 21 avril 1961 dans la nuit.

        Le 1er REP occupe le Gouvernement Général et l'immeuble de la Radio-Télévision. Après deux jours de flottement, le putsch tourne au fiasco : le général Challe et le commandant de Saint-Marc prennent la décision de se rendre aux autorités. Hélie de Saint-Marc expliquera ses actes devant le Haut Tribunal militaire, le 5 juin 1961. Sa déposition, qui traduit sa loyauté et sa grandeur d’âme, a marqué toute une génération. L’intégralité de sa déposition figure dans « le procès du commandant de Saint-Marc » (5), livre que vient de m’offrir un ami ; elle est remarquable !
        Hélie Denoix de Saint Marc est condamné à dix ans de réclusion criminelle. Il passe cinq ans dans la prison de Tulle avant d'être amnistié par De Gaulle.
        Le pouvoir gaulliste aime les symboles forts ; il choisit de dissoudre le régiment le 30 avril (à la demande de Messmer, ministre des Armées et ancien Légionnaire), date anniversaire de la bataille de Camerone (30 avril 1863). Ce jour-là, la Légion Etrangère, en deuil, ne célèbre pas Camerone.

        Les paras du 1er REP quittent leur camp de Zéralda en chantant la chanson d'Édith Piaf, « Je ne regrette rien ». Depuis, cette belle chanson clôture souvent les agapes d’anciens Légionnaires (6).
        Une partie des cadres du 1er REP déserte et passe à l'OAS : le colonel Henri Dufour, son Chef de Corps en 1959 et 1960, les capitaines Sergent, Ponsolle et Le Pivain, les lieutenants Degueldre, Hays, de la Bigne, Godot, Labriffe, le sergent Dovecar…et beaucoup d’autres.
        Cette troisième mort du 1er REP sera la dernière ; le régiment ne sera jamais recréé.
        Son drapeau est décoré de la croix de guerre des TOE avec 5 palmes, toutes obtenues lors de la guerre d'Indochine. Trois de ses Chefs de Corps sont morts au combat : Le commandant Pierre Segretain, tué le 8 octobre 1950 sur la RC 4 ; le commandant Rémy Raffali qui commanda le 1er BEP en 1950, patron ensuite du 2ème BEP, mortellement blessé à Chuyen My Trong Ha (Tonkin) le 1er septembre 1952, il meurt le 10 septembre 1952 ; le lieutenant-colonel Pierre Paul Jeanpierre, tué le 29 mai 1958 dans la région de Gelma.

        La bibliographie sur ce magnifique régiment est riche. Je me permets de vous recommander : « Je ne regrette rien », de Pierre Sergent ; Fayard ; 1972. « Au champ d'honneur, vie et mort du chef de bataillon Pierre Segretain du 1er BEP », d'Étienne et Franck Segrétain ; Indo éditions ; 2010. (3)
        « Les champs de braises » d’Hélie de Saint-Marc ; Perrin ; 1995. « Les Parachutistes de la Légion - 1948 – 1962 », de Pierre Montagnon ; Pygmalion ; 2005. Mais il existe beaucoup d’autres ouvrages relatant les exploits de ce régiment d’élite.
        Actuellement, il n’existe plus qu’une seule unité de Légionnaires-parachutistes, le 2ème REP.
        En juin dernier, lors de pérégrinations en Corse, je suis passé devant le Camp Raffali, à Calvi, casernement du 2ème REP, puis, à quelques kilomètres du col routier le plus haut de l’île, au Chalet du Vergio où le 2ème REP effectue ses entrainements en montagne. Mon périple m’a également conduit à Bonifacio où trône, devant la citadelle, la statue créée en 1908 par Robert Delandre en hommage aux morts de la Légion Etrangère. Ce monument se trouvait jadis à Saïda. En juin 1962 la statue a été ramenée d’Algérie. Un an plus tard, la statue et son socle ont été reconstruits devant la citadelle de Bonifacio, première garnison de la Légion en Corse.
        C’est peut-être ce périple au pays de Bonaparte qui a inspiré cet article ?
        Je l’ai voulu sobre, par respect pour ces hommes qui ont choisi « les voies de l’Honneur ».

        Pour parler d’eux, je n’ai pas les trémolos pleurnichards de cet ex prof de gym « pieds noirs », (dont je tairai le nom). Devenu écrivain, pour vendre ses livres, il organisait des conférences durant lesquelles, avec sa faconde méridionale et un certain talent pour la comédie, il arrivait à émouvoir son public aux larmes en racontant la mort du 1er REP ou l’exécution du lieutenant Roger Degueldre.
        Il est vrai qu’il se présentait – carte aux couleurs de la Légion avec photo à l’appui – comme « capitaine honoraire de la Légion Etrangère » jusqu’au jour où quelques officiers légionnaires et/ou parachutistes ont découvert que ce paltoquet avait été…sergent-chef dans l’intendance.
        La « Commedia dell’arte » n’a pas sa place quand on évoque les trois morts du 1er REP ; un minimum de pudeur devrait s’imposer ! Je n’ai jamais servi à la Légion Etrangère – dont je suis membre ami - mais j’ai porté le béret rouge des « paras-colos » et j’ai, depuis cette époque, un profond respect et une admiration sans bornes pour nos frères d’armes à béret vert.
Eric de Verdelhan

        1)- REP : Régiment Etranger de Parachutistes ?
        2)- EAI : Ecole d’Application de l’Infanterie, basée autrefois à Montpellier(34), elle est maintenant à Draguignan (83), avec l’Ecole d’Application de l’Artillerie.
        3)- Pierre Segretain était le beau-frère du général Michel de Rocquigny, figure de légende des paras, ancien de Rhin et Danube, parrain d’une de mes sœurs.
        4)- Hélie Denoix de Saint-Marc, ancien déporté, était titulaire de la croix de guerre 1939-1945 avec 1 citation; de la croix de guerre des TOE avec 8 citations ; de la croix de la Valeur militaire avec 4 citations; de la médaille des évadés ; de la médaille de la Résistance ; de la croix du combattant volontaire de la Résistance ; de la croix du combattant ; de la médaille coloniale avec agrafe «Extrême-Orient » ; de la médaille de la déportation et de l'internement pour faits de Résistance ; et de quelques médailles commémoratives. Il a été fait Grand-Croix de la Légion d'Honneur, le 25 novembre 2011 par le président Sarkozy.
        5)- « Le procès du commandant de Saint-Marc » de Bernard Zeller ; Nouvelles Editions Latines ; 2021.
        6)- Détenu avec d’autres au fort de Nogent en mai et juin 1961, le lieutenant Henry Lobel enregistre une cassette des chants de la Légion étrangère. Plus tard, la cassette deviendra un 33 tours « Chants d’Honneur et de Fidélité ». Cet album sera édité à 300 exemplaires numérotés. Puis en 1970, un 33 tours sera diffusé par la SERP, maison d'édition de Jean-Marie Le Pen, ancien du régiment. En 2011, un coffret pour le 50 ème anniversaire intitulé « L'honneur d'un régiment » est produit : il comporte un CD, un DVD, et un livret de 64 pages « l'album souvenir illustré du 1er REP »


CLOUDAGE
De Jacques Grieu

       A mon âge avancé qu'on me dit canonique,
       La clique des PC, des MAC, l'informatique,
       Entre bug ou coupure et cent disparitions,
       Hante mes courtes nuits de sombres obsessions.
       Mais une solution, soudain venue du ciel,
       Est venue remédier à ma peur continuelle.

       Plus d'arnaques et d'hackers, destructions et oublis,
       Le miracle est bien là, le " cloud " change ma vie.
       Même si je ne sais où se trouve son nid,
       Il calme mes angoisses et rassure mes nuits.
       Tanière de mes œuvres, garage à poésies,
       Bien au chaud, tout là-haut, il sauve mes écrits.

       Une adresse égarée ? Rendez-vous oublié ?
       Vos photos disparues ? Un texte incomplet ?
       Une panne, une erreur ? Ne soyez plus anxieux :
       Le cloud, berger d'idées, est là, sûr et sérieux.
       Il faut " clouder ", vous dis-je ! Cloudons les yeux fermés !
       Quand tout sera " cloudé ", nous serons tous sauvés !

       C'est un " nuage ", dit-on, très haut en altitude,
       Veillant sur notre " ouaibe " en toute quiètude.
       Serait-ce un cumulus, un sirius, un stratus ?
       Toutes les météos, là-dessus, font… chorus
       Pour garder le silence et mieux cacher l'objet.
       Même les astronomes ignorent le sujet !

       Ce mutisme est bizarre et pourrait sembler louche,
       A de mauvais esprits faisant la fine bouche.
       Si chacun, comme moi, y stocke autant de choses,
       Le cloud doit être un monstre, un réservoir grandiose !
       S'il demeure invisible, est-il près de la lune ?
       Avec des hommes verts, du côté de Neptune ?

       Je n'ai donc plus besoin de mes clefs USB
       Que j'égare partout ou que je fais tomber.
       Ainsi le " cloudement " est bien LA solution,
       L'habile panacée, la géniale invention.
       Il faut savoir clouder, clouder avec ardeur :
       C'est en cloudant sans fin qu'on devient bon cloudeur.

       Et si on envoyait, dans le cloud, le covid ?
       Dans l'espoir qu'il y reste et prenne quelques rides ?
       Mais il profiterait pour tout contaminer,
       Y compris nos photos, nos œuvres et secrets !
       Faut-il y expédier nos hommes politiques ?
       Le risque serait gros qu'il tourne à l'amnésique !

       Le cloudage est donc bien, des octets, le gardien,
       C'est dans ce nuage-là que reposent les miens.
       Tous les réseaux sociaux n'ont qu'à bien se tenir,
       Et par leurs fakenews ne pourront plus sévir.
       Cloudons, cloudons ensemble et cloudons vers les cieux ;
       La cloudure pour tout et le monde ira mieux !

Jacques Grieu                  




HUMANITE DISCRIMINATOIRE
De M. M. Gomez,
Envoi de Mme A. Bouhier
LES PIEDS NOIRS N'ONT PAS OUBLIE  

                C'est de cette façon qu'en juillet 1962, on traita les rapatriés d'Algérie.
                Il m'apparaît comme instructif, pour les générations qui n'ont pas connu, ou mal connu, ces événements tragiques, de faire souvenir de quelle manière ont été accueillis ces Français lors de leur arrivée.
                26 juillet 1962, le maire de Marseille, le socialiste Gaston Defferre, accorde une interview au quotidien Paris-Presse l'Intransigeant. Sujet : l'arrivée massive des rapatriés d'Algérie.

                53 ans plus tard, il m'apparaît comme instructif, pour les générations qui n'ont pas connu, ou mal connu, ces événements tragiques, de faire souvenir de quelle manière ont été accueillis ces Français lors de leur arrivée, contre leur gré et emportés par le vent de l'Histoire, dans leur pays, leur patrie, la France.
                Le " bafouilleur marseillais ", Gaston Defferre, ne se prive guère de donner son avis : " Ils fuient. Tant pis ! En tout cas, je ne les recevrai pas ici. D'ailleurs, nous n'avons pas de place. Rien n'est prêt. Qu'ils aillent se faire pendre où ils voudront ! En aucun cas et aucun prix je ne veux des pieds-noirs à Marseille. "
                À la question " Voyez-vous une solution aux problèmes des rapatriés à Marseille ? ", Il répond : " Oui, qu'ils quittent Marseille en vitesse ; qu'ils essaient de se réadapter ailleurs et tout ira pour le mieux. "
                Mais Gaston Defferre n'est pas un cas isolé.

                Un sondage IFOP début juillet indique que 62 % des métropolitains refusent toute idée de sacrifice à l'égard des Français d'Algérie.
                Voici d'ailleurs un rapport découvert lors de l'ouverture des archives :
                Les Français d'Algérie qui débarquent en métropole font l'objet d'une froide indifférence, ou même d'appréhensions. On ne les connaît pas. On ne sait d'où ils viennent ni si ils sont "vraiment" français. Jugés premiers responsables du conflit qui vient de se terminer et qui a coûté la vie de trop nombreux soldats métropolitains, ils ne semblent pas "mériter" que l'on porte sur eux le regard compatissant que beaucoup espèrent.

                Conseil des ministres du 18 juillet 62, Louis Joxe s'exclame : " Les pieds-noirs vont inoculer le fascisme en France. Dans beaucoup de cas, il n'est pas souhaitable qu'ils retournent en Algérie ni qu'ils s'installent en France. Il vaudrait mieux qu'ils aillent en Argentine, au Brésil ou en Australie. "
                Pompidou, Premier ministre, appuie cette idée : " Pourquoi ne pas demander aux Affaires étrangères de proposer des immigrants aux pays d'Amérique du Sud ou à l'Australie ? Ils représenteraient la France et la culture française. "
                De Gaulle : " Mais non ! Plutôt en Nouvelle-Calédonie ! Ou bien en Guyane, qui est sous peuplée et où on demande des défricheurs et des pionniers ! "

                Le 22 juillet 1962, Gaston Defferre poursuit ses anathèmes sur Paris-Presse : " Français d'Algérie, allez vous faire réadapter ailleurs. Il faut les pendre, les fusiller, les rejeter à la mer… Jamais je ne les recevrai dans ma cité. "
                Dans le centre de Marseille, une inscription sur un grand panneau : " Les pieds-noirs à la mer. "
                À l'aéroport d'Orly, la direction interdit aux pieds-noirs d'emprunter l'escalier mécanique parce qu'elle estime que leurs valises et leurs ballots volumineux sont une gêne pour les autres voyageurs.

                Pas l'once d'une compassion parmi les responsables politiques français: " L'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs ", dit froidement de Gaulle, le 4 mai 1962, en Conseil des ministres.
                Un autre jour, à Peyrefitte qui lui expose " le spectacle de ces rapatriés hagards, de ces enfants dont les yeux reflètent encore l'épouvante des violences auxquelles ils ont assisté, de ces vieilles personnes qui ont perdu leurs repères, de ces harkis agglomérés sous des tentes, qui restent hébétés… ", le Général répond sèchement : " N'essayez pas de m'apitoyer ! "
                Parlant d'Edmond Jouhaud, l'un des généraux putschistes du 13 mai 1958 : " Ce n'est pas un Français, comme vous et moi, c'est un pied-noir. "

                Voilà, tout est dit. Ceux qui ne savaient pas le savent à présent. Quant à ceux qui n'ont jamais voulu savoir, qu'ils croupissent dans leur ignorance.

Manuel Gomez
via Bld Voltaire 31 juillet 2015


https://www.bvoltaire.fr/cest-de-cette-facon-quen-juillet-1962-on-traita-rapatries-dalgerie/


AFRIQUE SEPTENTRIONALE.
Gallica : Revue de l'Orient 1844, pages 78 à 81
WAD-REAG. - TUGGURT.


         La ville de Tuggurt est bâtie en amphithéâtre sur le plan légèrement incliné vers le nord-est d'une éminence qui Fait partie d'une chaîne de montagnes très-basses qui court du nord-ouest au sud-est; elle a à peu près la forme d'un trapèze. La partie supérieure de la ville est couronnée par la casbah, dans laquelle est situé le palais du bey. Cette forteresse est entourée du côté de la ville par un mur avec des glacis et un fossé ; elle communique avec elle au moyen d'une porte et d'un pont en pierre d'une seule arche. Du côté de la campagne, au sud-ouest, elle est assise sur des rochers qui dominent des ravins de 15 à 20 mètres de profondeur.
         L'escalade de ce côté n'est facile que dans un seul endroit, où l'on trouve un coteau qui part des montagnes, traverse le ravin, et se prolonge jusqu'au pied du mur d'enceinte.
         Ce point faible est défendu par une tour carrée d'environ 12 mètres de hauteur, et garnie de trois pièces de canon. Je crois, sans pouvoir l'affirmer, qu'il existe au pied de cette tour une poterne par laquelle le bey peut sortir dans la campagne sans passer par la ville.

         La ville défendue ainsi au sud-ouest par des rochers et la casbah l'est à l'ouest, au nord et au sud, par des murailles épaisses, mais en mauvais état, flanquées de tours carrées, et par un fossé de 12 à 15 mètres de largeur, qui sert de lit à une petite rivière formée par plusieurs sources de la montagne et de la ville, et qui, après avoir contourné les remparts à l'ouest, au nord et à t'est, va se perdre dans le lac Melgigg, après un cours de 20 lieues. On traverse cette rivière sur trois ponts en pierre d'une construction très-ancienne, et qui correspondent aux trois portes de la ville, la principale et la plus fréquentée au nord, les deux autres à l'ouest et à l'est.
         En entrant par la porte du nord, l'on trouve une petite place où se tient tous les jours le marche, assez bien fourni en tomates, aubergines, gombo, piments, plusieurs espèces de salades, des choux-fleurs énormes, des asperges et des artichauts sauvages, des courges, des melons, des pastèques, des pèches, des abricots, des oranges, des limons doux, des figues, des jujubes, des amandes, et plusieurs autres espèces de légumes et de fruits selon la saison. Les Arabes y apportent aussi des œufs, des volailles, et un peu de gibier. On y voit plusieurs baraques servant de boutiques à des bouchers qui vendent de la chair de chameau, qui est à peu près la seule viande dont se nourrissent les habitants du pays.

         Les rues de Tuggurt sont, comme je l'ai dit, étroites et tortueuses. Les maisons, qui n'ont qu'un ou deux étages, sont à terrasse ; elles ressemblent par leur disposition à celles des autres villes de la Barbarie. Les bazars sont petits et mesquins, on en compte cinq : celui des cordonniers, qui est le mieux fourni, où l'on trouve une assez grande quantité de babouches et de bottes jaunes et rouges : Le bazar des selliers, celui des tailleurs, et enfin deux autres bazars pour les marchands, l'un pour les couvertures et les étoffes de laine, l'autre pour les essences, l'épicerie et la mercerie.
         Les mosquées sont nombreuses, mais il n'y en a que deux de remarquables, tant par leur grandeur que par l'élégance et l'élévation de leurs minarets.
         Dans la partie haute de la ville, en face la casbah, l'on voit une grande p1ace où se tient tous les jeudis le marché des esclaves des deux sexes. Le prix d'une négresse varie depuis 20 jusque 60 gourdes d'Espagne, selon sa force, sa jeunesse et sa beauté; les nègres ont à peu près la même valeur.

         Le bey de Tuggurt ne bat pas monnaie la plus estimée dans le pays est celle d'Espagne, gourdes et quadruples; mais ceux qui en ont la conservent précieusement, et l'on ne trouve guère pour monnaie courante que le radoub, la piastre tunisienne, et les boudjous de l'ancienne régence d'Alger.
         Tuggurt faisait un grand commerce d'esclaves, qu'elle recevait de différent parties de l'intérieur de l'Afrique; elle en fournissait autrefois les marchés de l'Algérie et de Tunis. Depuis t'occupation française, ce commerce avait diminué ; mais cependant il était encore considérable, et l'on portait à 6,000 le nombre des esclaves qu'elle expédiait tous les ans à Tunis.
         Une partie de ces esclaves restait dans cette régence, et l'autre était exportée à Constantinople et à Smyrne. Aujourd'hui ce trafic doit être bien tombé, depuis que le bey de Tunis, par déférence pour l'Angleterre, et cédant aux pressantes sollicitations du consul général, sir Thomas Reade, qui est président honoraire de La Société pour l'abolition de l'esclavage établie à Paris, fit, en 1840, dans un beau mouvement de philanthropie, brûler les baraques en bois qui servaient au marché des esclaves, en défendit la vente aux enchères dans toute l'étendue de la régence, et en prohiba l'importation et l'exportation.

         Tous les habitants du Wad-Reag professent l'islamisme. Les juifs, que l'on trouve partout où il y a du commerce à faire et de l'argent à gagner, n'ont point pénétré dans cette province.
         La population de Tuggurt se compose de Maures, d'Arabes, de nègres libres ou esclaves mais ces races, mêlées aux anciens habitants du pays, se sont tellement confondues qu'elles ont perdu leur caractère primitif. Ces différents croisements ont produit, avec le temps, un peuple à part avec un type particulier ce sont des hommes grands, secs, presque sans barbe, leur peau est d'une couleur légèrement noirâtre. Ils sont mous, sans énergie, et d'une indolence excessive ; presque toute leur vie se passe, soit dans les bains, soit dans les cafés, à fumer leur pipe et à écouter le chant monotone des négresses qui s'accompagnent en frappant sur une espèce de petit tambour formé d'un pot de terre et d'une peau de mouton.
         Ils ont l'habitude de fumer avec leur tabac des feuilles de takouri, espèce de chanvre bâtard, qui, comme l'opium, possède des vertus somnifères. Cette plante les plonge dans un engourdissement continuel, et leur procure un sommeil d'extase et de béatitude.

         Les nègres esclaves sont chargés des travaux domestiques et de la culture des jardins; les nègres libres ont presque tous une industrie. Us forment la grande majorité des cordonniers, tailleurs et selliers on en compte aussi beaucoup parmi les marchands.
         Je remarquai dans ce pays une maladie que nous ne connaissons pas en Europe, et qui est bien commune à Tuggurt parmi les nègres seulement : c'est une espèce de dragonneau, qui diffère essentiellement de celui décrit par les auteurs sous le nom de ver de Guinée, vena Medina araborum de Médine.
         Ce ver se développe dans le tissu cellulaire sous-cutané il prend ordinairement naissance à la jambe, et remonte en spirale jusque sur la cuisse, soulevant la peau sur son passage, comme le ferait une grosse veine. Il y a même des cas, mais rares, où il dépasse la cuisse, contourne le bassin, l'abdomen, la poitrine, et arrive jusqu'au cou. Quelquefois aussi le même individu est atteint de deux dragonneaux, qui partent de chaque jambe, et dont les anneaux, toujours assez rapprochés, s'ils dépassent la cuisse, viennent se croiser sur l'abdomen et la poitrine. Ces cas sont presque toujours mortels, et le malade, après deux ou trois ans, meurt dans un état effrayant de marasme et de consomption.

         Pendant le court séjour que je fis à Tuggurt, je fus à même d'observer plusieurs cas de dragonneau simple, c'est-à-dire lorsque ce ver ne dépassait pas la cuisse; deux de dragonneau double, et un seul où le ver remontait jusqu'à l'ombilic.
         Dans les cas simples la guérison est facile, et voici le traitement que les médecins du pays emploient. Ils pratiquent à la peau une incision, si le ver se borne à la jambe ; deux, s'il arrive jusqu'à la cuisse, et enfin trois ou quatre, s'il se répand sur l'abdomen et la poitrine. Cette incision a toujours lieu à la partie moyenne du ver ou de chaque portion du ver, dans l'endroit où le tissu cellulaire est moins resserré, comme à la partie interne du mollet, de la cuisse, sur les cotes de l'abdomen et de la poitrine.

         Ils soulèvent ensuite le ver et le coupent en deux dans chaque incision. Chaque partie coupée est liée par un fil sur des petits rouleaux en bois, deux pour chaque segment de la plaie inférieure, et un pour le segment supérieur des autres incisions. Ces rouleaux sont maintenus sur les plaies au moyen d'un bandage approprié. Tous les jours ils dévident sur chaque rouleau quelques centimètres du ver, en opérant avec beaucoup de précaution quelques tractions légères, ayant soin de s'arrêter lorsqu'il y a résistance pour ne pas le rompre, car alors la partie rompue occasionnerait une inflammation chronique qui conduit quelquefois à la gangrène.
         Lorsque ce traitement est bien dirigé, ils parviennent souvent à extraire ce ver en entier au bout de vingt-cinq à trente jours.

         Ce ver, lorsqu'il est vivant, ressemble à un tronc nerveux il est blanc, filiforme, à stries longitudinales ; desséché, il devient d'un jaune fonce, de la grosseur d'une grosse corde de guitare.
         On m'a dit dans le pays que les nègres de Guinée étaient les seuls qui fussent affectés de cette maladie; qu'en général, ils l'apportaient avec eux, ou qu'elle se développait dans la première année de leur exportation ; que, passé ce temps, ils n'en étaient plus atteints.
         Les femmes de Tuggurt sont très-libres, elles peuvent sortir sans être voilées; il n'y a guère que les femmes des grands personnages qui portent le voile. Elles sont bien faites, d'une taille élancée sans avoir l'obésité des Mauresques des villes de la côte de Barbarie, elles ne manquent pas d'embonpoint. Leur peau, comme celle des hommes, est légèrement noire, leurs yeux sont vifs et brillants, leurs dents sont très-blanches, leurs traits sont assez réguliers; cependant elles ne sont pas jolies. Leur costume d'intérieur est léger et gracieux; quand elles sortent, elles s'enveloppent d'une couverture de laine blanche qui se drape sur l'épaule, et dont elles ramènent une des extrémités jusque sur la tête. On les dit vives, voluptueuses et très-débauchées, ce qui contrasterait singulièrement avec la mollesse et l'apathie naturelle des hommes.
         Le soir, elles se réunissent dans les jardins frais et ombragés qui entourent la ville, pour parler de leurs amours et raconter des histoires. Ces lieux sont souvent témoins de leurs rendez-vous et de leurs intrigues galantes.

LOIR-MONGAZON.


ARC DE TRIOMPHE :
Un genou à terre devant l’art… du néant

www.asafrance.fr
Envoi de l'ASAF 15 septembre 2021


       Pour avoir fait, jadis, l’éloge de l’inutilité, je ne m’élèverai pas contre des gestes vains, et encore moins contre la défense des causes et des combats perdus d’avance. À l’instar de Cyrano de Bergerac, je trouve que c’est encore plus beau lorsque c’est inutile. L’emballage de l’Arc de Triomphe pourrait ressembler à un poisson d’avril ou à une blague de potaches ; d’autres y voient une œuvre d’art puisqu’elle est présentée ainsi et qu’elle se situe dans la continuité des réalisations du célèbre Christo.

       Je ne rentrerai pas dans le débat de savoir si c’est de l’art – art qui ne tient, selon moi, que par le discours snob et vaniteux de quelques coteries et par un excellent plan de communication. Qu’importe si c’est de l’art et même de l’art éphémère. Là n’est pas l’objet de mon courroux.

       L’Arc de Triomphe n’est pas n’importe quel bâtiment. Non seulement il est consacré à perpétuer le souvenir des victoires des armées françaises de tous les régimes, mais il est aussi un immense cénotaphe où sont gravés des centaines de noms ayant servi l’armée ainsi que les noms de 158 batailles, et, depuis le 11 novembre 1920, il est la voûte qui surplombe la sépulture du Soldat inconnu.

       En permettant l’emballage de l’Arc de Triomphe, non par nécessité mais par goût de la provocation prétendue artistique, l’on admet officiellement que ce qui symbolise la gloire de la France peut être sujet à la temporalité des modes artistiques. Peu me chaut que l’intention ne soit pas maligne, j’y vois un immense genou à terre devant l’art du vide et de l’inutile.

       Cet emballage montre à quel point il n’y a plus d’unanimité dans le sacré national. Chacun appréciera selon ses goûts, c’est le relativisme de la considération. Le principe est acquis : l’art du rien ou du laid est au même niveau que la symbolique illustre de l’Arc de Triomphe. Il le dépasse même, en l’occurrence, puisque l’un efface l’autre.

       Nous connaissions déjà les souillures faites au château de Versailles. Ici, c’est carrément l’escamotage. L’emballage de l’Arc de Triomphe est une insulte aux gloires militaires, au Soldat inconnu et à tous les anciens combattants. C’est le symbole de l’effacement du prestige national. Le plus grave, c’est le silence des bonnes consciences car, apparemment, cela ne scandalise personne chez les ténors politiques.

       Pourquoi pas, demain, un immense sac poubelle pour emballer le palais de l’Élysée ? Chiche ! Après tout… Cette prétendue œuvre d’art n’apporte rien. Au contraire, puisqu’elle efface l’œuvre originelle.
       C’est peut-être de l’art, l’art du néant, mais c’est surtout un camouflage, un escamotage qui efface notre Histoire, qui vole le monument à l’admiration des Parisiens, de tous les Français et des touristes. En outre, c’est très irrespectueux pour tous ceux qui y ont leur nom gravé. C’est aussi un outrage au respect que l’on doit envers les combattants.

Charles-Henri d'ELLOY
www.bvoltaire.fr
14 septembre 2021
Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr



Quand les harkis étaient conspués par la gauche
Par Gabrielle Cluzel, 21 septembre 2021
https://www.bvoltaire.fr/quand-les-harkis-etaient-conspues-par-la-gauche/

Envoyé par Mme Nicole Marquet

         Ainsi donc, quelques jours avant le 25 septembre, journée d’hommage national aux harkis, Emmanuel Macron annonce une loi à venir « de reconnaissance et de réparation » à leur endroit. C’est fort, très fort, trop fort. Si fort que la droite réunie vacille, interdite, et doit reconfigurer son logiciel.
         Comment ne pas se réjouir, mais comment ne pas non plus flairer l’entourloupe à plein nez ?

         C’est Jacques Chirac, en 2003, qui avait instauré cette journée d’« hommage national aux harkis et aux forces supplétives ». C’est Julien Aubert, en juillet dernier, qui, avec 33 députés LR, avait, dans une tribune, demandé à Emmanuel Macron de faire un geste pour les harkis.
         Si l’on remonte encore plus loin, force et de reconnaître que c’est la droite, et souvent même la droite la plus dure, qui a prêché dans le désert pour les harkis. « Seul depuis le premier jour le Front national aura proclamé la vérité sur la honteuse trahison dont furent victimes ceux loyaux à notre France », écrit Jean-Marie Le Pen sur Twitter. Un attachement pour ces soldats musulmans, français jusqu’au sang versé, dans lequel a été élevée Marine Le Pen, et qui explique sans doute qu’aujourd’hui, son discours sur la miscibilité de l’islam en France soit moins catégorique que certains le voudraient.

         De fait, le peu de cas qui a été fait des harkis arrivant sur notre sol à la fin de la guerre d’Algérie est évidemment intimement lié au parti pris pro-FLN des élites politiques, médiatiques, intellectuelles de l’époque. Les harkis étaient perçus par leurs coreligionnaires indépendantistes comme des traîtres.
         Et étaient donc méprisés jusqu’en « métropole ». Pour avoir trop aimé notre pays et l’avoir défendu comme des Français à part entière, ils ont été, en somme, les premiers « Arabes de service », « collabeurs », « bounty », « nègres de maison », « native informant » – comme sont usuellement qualifiés, sur les réseaux sociaux, Linda Kebbab, Jean Messiha, Kamel Daoud, l’imam Chalghoumi, Rachel Khan… par l’extrême gauche – et l’ont payé de la pire des façons.
         Les seuls à avoir fait montre d’empathie pour eux ont donc été leurs frères d’armes, ceux qui avaient lutté à leur côté, et mangé le même « pain de la misère », pour reprendre l’expression du chanteur pied-noir Jean-Pax Méfret. Le massacre dont ils ont fait l’objet, la trahison sans vergogne des accords d’Évian, le sentiment tragique d’impuissance mêlée de culpabilité qui a étreint alors les militaires forcés de les abandonner n’ont du reste pas été pour rien dans l’engagement « OAS » de ces derniers (à l’instar du célèbre commandant Guillaume, alias le Crabe-Tambour).

         Oui, comment la droite, au sens large, pourrait-elle faire autrement que saluer le geste… et s’indigner en même temps (!) de l’ingénieuse schizophrénie d’un gouvernement capable, presque simultanément, de déposer une gerbe devant le monument des « martyrs du FLN » à Alger et de rendre hommage en des termes élogieux – « figure majeure de l’histoire contemporaine de l’Algérie » – à celui qui, en 2000, avait traité les harkis de « collabos », feu Abdelaziz Bouteflika.

         Que la France n’ait pas été à la hauteur est un fait, mais le sort des harkis sur notre sol est toujours plus enviable que celui, atroce, subi par ceux qui sont restés en Algérie. Algérie toujours prompte à battre la coulpe des autres mais qui n’a jamais reconnu ses exactions, fait repentance pour les dizaines de milliers de harkis et pieds-noirs morts ou disparus.
         Emmanuel Macron n’en a demandé aucun compte, comme si lever le voile sur les vrais tortionnaires reviendrait à donner du grain à moudre au moulin réactionnaire. Il préfère retourner comme une chaussette la cause des harkis à son profit ; soyons bons joueurs, reconnaissons que l’exercice est assez réussi ! Ce n’est pas leur statut ô combien honorable de soldat valeureux, patriote et sacrifié qui est mis en avant, mais celui d’Arabe musulman, auquel la France doit éternellement et ontologiquement demander pardon… même s’il a été assassiné par d’autres Arabes musulmans.
         Emballez, c’est pesé ! Le tour est dans le sac et vient s’inscrire astucieusement, ni vu ni connu, dans la grille de lecture antiraciste de la gauche. Chapeau, maestro ! Supplétifs les harkis sont, supplétifs les harkis restent, mais, cette fois, de l’armée électorale d’Emmanuel Macron.
Gabrielle Cluzel



LIVRE D'OR de 1914-1918
des BÔNOIS et ALENTOURS

Par J.C. Stella et J.P. Bartolini


                            Tous les morts de 1914-1918 enregistrés sur le Département de Bône méritaient un hommage qui nous avait été demandé et avec Jean Claude Stella nous l'avons mis en oeuvre.
             Jean Claude a effectué toutes les recherches et il continu. J'ai crée les pages nécessaires pour les villes ci-dessous et je viens de faire des mises à jour et d'ajouter Oued-Zenati, des pages qui seront complétées plus tard par les tous actes d'état civil que nous pourrons obtenir.
             Vous, Lecteurs et Amis, vous pouvez nous aider. En effet, vous verrez que quelques fiches sont agrémentées de photos, et si par hasard vous avez des photos de ces morts ou de leurs tombes, nous serions heureux de pouvoir les insérer.

             De même si vous habitez près de Nécropoles où sont enterrés nos morts et si vous avez la possibilité de vous y rendre pour photographier des tombes concernées ou des ossuaires, nous vous en serons très reconnaissant.

             Ce travail fait pour Bône, Aïn-Mokra, Bugeaud, Clauzel, Duvivier, Duzerville, Guelaat-Bou-Sba, Guelma, Helliopolis, Herbillon, Kellermann, Millesimo, Mondovi, Morris, Nechmeya, Oued-Zenati, Penthièvre, Petit et Randon, va être fait pour d'autres communes de la région de Bône.
POUR VISITER le "LIVRE D'OR des BÔNOIS de 1914-1918" et ceux des villages alentours :

 LA VILLE DE BÔNE A SUBI UNE MISE A JOUR TRES IMPORTANTE
AU MOIS D'AOUT 2020   

CLIQUER sur ces adresses : Pour Bône:
http://www.livredor-bonois.net

             Le site officiel de l'Etat a été d'une très grande utilité et nous en remercions ceux qui l'entretiennent ainsi que le ministère des Anciens Combattants qui m'a octroyé la licence parce que le site est à but non lucratif et n'est lié à aucun organisme lucratif, seule la mémoire compte :
http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
                         J.C. Stella et J.P.Bartolini.
 


NOUVELLES de LÁ-BAS
Envois divers


Arrivée record de migrants algériens sur les côtes espagnoles

Envoyé par Bruno
https://www.tsa-algerie.com/ arrivee-record-de-migrants-algeriens-sur-les-cotes-espagnoles/


Par Est-Républicain - l Par: Zine Haddadi 21 Sept. 2021


         Les cortèges des taxi-pateras, le nom donné aux embarcations clandestines par la presse espagnole, ont pris d’assaut les côtes espagnoles ces derniers jours.

         Selon l’activiste Francisco Jose Clemente Martin, membre de la délégation de l’ONG CIPMD à Almeria, les arrivées de migrants en provenance d’Algérie ont atteint un record durant ces trois derniers jours (vendredi, samedi et dimanche). Cette ONG est spécialisée dans l’indentification des migrants clandestins disparus au large des côtes espagnoles.

         Dans un post publié ce lundi 20 septembre sur sa page Facebook, il a annoncé l’arrivée de pas moins de 80 embarcations clandestines sur les plages d’Almeria, Murcie, Alicante ainsi qu’aux Iles Baléares, en provenance des pays du sud de la Méditerranée.
         Au total, plus de 1.000 migrants, en grande majorité Algériens, ont atteint les côtes espagnoles durant la période citée.

         Selon Francisco Jose Clemente Martin, le chiffre réel pourrait être beaucoup important : « Selon mes informations, il y a plus de 500 personnes qui n’ont pas été interceptées ».
         Les traversées de la Méditerranée à bord des embarcations n’est pas sans risques pour les migrants clandestins. Malheureusement, quatre décès sont à dénombrer parmi les candidats à l’émigration clandestine en Europe. Un seul d’entre eux a pu être identifié. Les vérifications sont toujours en cours pour identifier les trois autres.

         L’activiste espagnol annonce que plusieurs embarcations sont portées disparues. Elles sont en attente de confirmation de naufrages ou d’une interception de la part des équipes de sauvetage.

         Tous les migrants arrivés seront remis en liberté sauf les conducteurs des « taxi-pateras », selon lui. Ces derniers sont traduits devant la justice.
         Parmi les arrivants, plus de 80 personnes ont été soignées pour des problèmes liés à l’hypothermie, fracture, et malaise général léger.
         En 2020, plus de 11.000 clandestins algériens ont pu atteindre les côtes espagnoles sur un total de plus de 40.000 migrants de différentes nationalités.
Zine Haddadi           


Dans le cadre d’une stratégie nationale

Envoyé par Denis
http://www.lestrepublicain.com/index.php/annaba/item/ 9030548-vers-la-reintroduction-de-la-betterave-sucriere

Est républicain - Par : Zarrougui Abdelhak 14 Sep 2021

Vers la réintroduction de la betterave sucrière

          Dans la perspective de la relance de la culture de la betterave sucrière dans la wilaya d’Annaba, une réunion de travail a été tenue, jeudi dernier, au niveau du siège de la Direction des services agricoles.
          La réunion a vu la participation de cadres de la DSA, des représentants de la Chambre d’agriculture été d’instances du secteur à Annaba.
          Les modalités et les mécanismes d’introduction de la culture de la betterave sucrière ont été longuement débattus par les participants afin de trouver des points de commencement pour contribuer à la baisse de la facture d’importation.

           La réintroduction de cette culture betteravière a été décidée par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural, tout en tenant compte des conditions édapho-climatiques pour un bon rendement de cette culture.
          L’objectif de ces rencontres vise le développement de cette filière agricole, surtout pour ce qui est du développement de l’industrie de transformation et ce, vu son importance et sa capacité à contribuer à réduire la dépendance aux hydrocarbures.

          Selon les experts ets’agissant de la période optimale des semis, afin d’assurer un parfait développement de la plante de la betterave sucrière et notamment la racine, il y a deux périodes de plantation en octobre et février. Quant au rendement attendu, il est estimé à 50 t/h.
          Pour ce qui est des maladies qui affectent le tubercule, notamment les feuilles et les racines, et qui peuvent menacer la culture, il y a surtout les attaques de mouches, notamment la mineuse et la pégomyie, qui sont ravageuses, ainsi que les maladies cryptogamiques.
          « Donc, pour faire face à ces agressions, il y a un suivi phytosanitaire pour éviter la déperdition des feuilles du tubercule », explique un agronome qui se montre optimiste quant au rendement de la culture de la betterave sucrière à Annaba.
Zarrougui Abdelhak                   



Les sangliers envahissent plusieurs cités

Envoyé par Céline
http://www.lestrepublicain.com/index.php/annaba/item/ 9030600-les-sangliers-envahissent-plusieurs-cites


 Est républicain - Par : B.Salah-Eddine / 19 Sep 2021

Annaba

           Le malheur des uns fait le bonheur des autres. C’est ce qui passe depuis un certain temps dans la wilaya d’Annaba, submergée, depuis quelques temps, par des tonnes de déchets ménagers. En effet, en cette période de canicule aggravée par le grand problème d’insalubrité auquel sont confrontées de nombreuses cités urbaines du chef-lieu d’Annaba, des troupeaux de sangliers qui, attirés par les montagnes de déchets ménagers qui débordent en permanence des bacs à ordure se sont enhardies et envahissent en force dans les zones urbaines.

           Ainsi, plusieurs cités d’habitations, notamment celles implantées à la lisière du mont de l’Edough et aux confins de la plaine Ouest d’Annaba, à l’exemple des cités du 5 juillet, les Hongrois et Rym, ont été infestées par la horde de sangliers, signalent les riverains. Un phénomène qui est également vécu par les populations de certains quartiers du littoral Ouest d’Annaba (Belvédère, Ain-Achir et la Caroube), apprend-on.
           Ces habitants font ainsi face, la nuit venue, à ces « envahisseurs », dont le nombre va en s’accroissant, et ce, en raison de l’insalubrité extrême, qui caractérise les lieux suite au refus de l’EPIC Annaba propre de procéder à l’enlèvement des ordures ménagères, alors que les autres déchets de récupérations sont systématiquement pris en charge et écoulés cash, auprès des unités spécialisées.

           Excédés par cette situation, les habitants de la cité du 5 juillet 1962, ex-Les Hongrois, à la Plaine Ouest, sortent de leur mutisme pour dénoncer l’incompétence et pointent du doigt les responsables concernés, exigeant que des battues administratives soient organisées au plus en raison des risques. Des chefs de familles signalent le risque qu’ils encourent avec la circulation à des heures tardives de ces suidés.
           « Ces bêtes descendent du mont de l’Edough, à chaque tombée de la nuit, en quête de nourriture et se hasardent jusqu'aux abords des cités habitées pour y brouter dans les décharges d’ordures ménagères continuellement débordées par des produits de plus très caloriques et sous les regards impuissants des meutes des chiens », ont tenu à témoigner de nombreux habitants. Du côté de la plaine Ouest, de la cité du 8 mai 1945, Chabbia, Kheraza, Oued-Zied et Aïb-Amar, à la sortie d’Annaba aux abords de la route nationale 44, c’est pire. Car le danger guette à tout moment y compris les usagers étant donné que des cliques se déplacent en meutes pour rejoindre la zone humide des abords du lac Fatzara.

           Les habitants d’Ain-Chouga, jouxtant le lac Fatzara, à l’entrée de Berrahal, affirment que « ces derniers temps, les gens ici ne s’aventurent jamais dehors en soirée, sauf pour une urgence médicale, tant les lieux sont assiégés par des meutes de sangliers ». Pour beaucoup d’habitants, seule une battue administrative sera en mesure de mettre fin à cette situation de psychose.
B.Salah-Eddine                      


L’incroyable dégradation du pouvoir d’achat des Algériens en dix ans

Envoyé par Narcisse
https://www.tsa-algerie.com/ lincroyable-degradation-du-pouvoir-des-algeriens-en-dix-ans/

Par TSA-Algérie - Par: Y.D. —06 Sept. 2021


           Le salarié algérien peine à joindre les deux bouts, harassé de devoir faire face quotidiennement à une hausse des prix et des charges diverses avec un salaire qui vaut désormais pour la moitié de celui d’il y a une décennie. Même si, en réalité, il n’a pas changé !

           Tandis que la moyenne des prix des biens de consommations et des services a doublé en Algérie durant la dernière décennie, les salaires sont restés figés. Une anomalie économique dont la conséquence est d’avoir fait basculer des catégories sociales entières dans la précarité.
           Une étude comparative non exhaustive entre les prix moyens en 2010 et ceux en cours en 2021, répercutée par le président de l’association de protection du consommateur (Apoce), Mustapha Zebdi, montre l’étendue des dégâts que cette incongruité économique a provoqué chez l’écrasante majorité des Algériens. Le pouvoir d’achat des Algériens s’est détérioré d’une façon incroyable.
           Le comparatif a conclu notamment au fait que le salaire de 2010 a perdu 50% de sa valeur en 2021 du fait des hausses des prix.

           « Plus de la moitié du salaire mensuel a perdu de sa valeur »
           D’emblée un premier constat s’impose : « Plus de la moitié du salaire mensuel a perdu de sa valeur à cause de l’augmentation de la moyenne générale des prix ».

           Ces dix dernières années, la moyenne des prix des produits de consommation de base est passée du simple au double. Prenons l’exemple d’un kilogramme de lentilles dont la moyenne du prix est passée de moins 100 DA à 250 DA ; le prix du kilo d’haricots blancs passe de 160 DA à 270 DA.
           Quand le kilo de riz coûte aujourd’hui 150 DA en moyenne, il valait 80 DA il y a dix ans. Depuis un an, les prix des pâtes alimentaires ont connu des hausses vertigineuses, à la suite de la décision des pouvoirs publics de supprimer la subvention pour le blé tendre et le blé dur destinés à la fabrication d’autres types de farines et de pâtes alimentaires et couscous, avant de la rétablir.

           Le kilo de couscous, parmi les plats les plus consommés en Algérie, se vend actuellement à 170 DA alors que son prix était à un prix moyen de 90 DA. Les pâtes ont également vu leur prix bondir du simple au double, un demi-kilo coûte 75 DA au lieu de 40 DA.
           Le quintal de semoule est passé de 2 500 DA à 4 500 DA. Une boite de lait en poudre qui coûtait 220 DA passe à 350 DA. La tomate industrielle de 500grs a vu son prix bondir de 160 DA à 250 DA.

           Dans le registre des viandes, le constat est le même. De moins de 250 DA le kilo, le poulet est passé à 350 DA en moyenne (il se vend à plus de 400 DA/kilo depuis quelques jours, ndlr).
           Les sardines autrefois souvent présentes dans les assiettes des Algériens se font maintenant de plus en plus rares, et entre temps le kilogramme s’est envolé pour atteindre 1.000 DA (avant de baisser à 500-700 DA), alors qu’il était en-dessous de 250 DA.
           Il est très loin le temps où le kilo de sardine coûtait 100 DA. Boostée par la pandémie de la Covid survenue dès 2019, l’utilisation des produits d’hygiène et de nettoyage a augmenté et leurs prix ont connu des hausses importantes.

           Les tarifs d’électricité, après que le gouvernement Ouyahia eut fixé des tarifs suivant trois seuils de consommation, pèse désormais plus cher dans le budget des ménages.
           Ces derniers ont également ajouté d’autres ‘’charges’’ à leur budget comme les abonnements à Internet et les prix des smartphones, devenus indispensables. Tout comme le véhicule dont les prix ont plus que doublé en l’espace d’une décennie (2010-2021).

           Un véhicule qui valait 700.000 DA en 2010 coûte aujourd’hui plus que le double, et encore il faut le trouver. Une étrangeté quand on sait que le véhicule qui a roulé pendant dix années voit normalement son prix baisser sensiblement.
           Et depuis que les importations des véhicules neufs et le montage local de véhicule ont été suspendus, les prix des voitures d’occasion ont atteint des seuils inimaginables.
           Et quand bien un citoyen a la chance de posséder un véhicule, les charges qui sont inhérentes à l’entretien grèvent le budget. Le prix d’un litre d’essence est passé entre 2010 et 2021 de 19 à 45 DA.
           La hausse se répercute non seulement sur l’automobiliste, mais aussi sur le citoyen qui paie désormais plus cher le prix du transport.
           Les charges liées au loyer ne sont pas en reste, puisque un loyer mensuel qui était de 8 000 DA en 2010, coûte aujourd’hui le triple. Même si Mustapha Zebdi parle d’une moyenne nationale de 14 000 DA en 2021, beaucoup de propriétaires sous-déclarent le prix devant le notaire pour éviter de payer les impôts sur le montant réel. Les soins chez le médecin privé coûtent également plus chers pour les malades qui paient 2 000 DA pour une consultation.

           Enseignants et médecins montent au créneau
           L’érosion du pouvoir d’achat a poussé des catégories professionnelles à battre le pavé à plusieurs reprises pour réclamer des hausses des salaires. Dans l’éducation, les syndicats exigent un salaire moyen de 80 000 DA pour qu’un enseignant vive « dignement ».
           En 2007, le Cnapest (syndicat dans le secteur de l’éducation) avait réalisé une étude qui a fait ressortir que le salaire minimum pour une vie digne ne devait pas être en dessous de 50 000 DA.
           « Il va de soi que les besoins en 2021 ne sont plus les mêmes qu’en 2007. Aujourd’hui les besoins ont crû. La valeur du dinar en 2007 était plus élevée en comparaison avec la forte dévaluation actuellement. Les prestations sociales en 2007 étaient meilleures que celles de 2021, etc. Ce qui fait qu’il y a de nombreux aspects qui ont connu une dégradation, comparativement aux années précédentes », affirmait à TSA le porte-parole du Cnapest, Messaoud Boudiba, en mai dernier.

           En mai dernier, un collectif de quatorze syndicats de l’éducation avait observé une grève de trois jours pour dénoncer la détérioration du pouvoir d’achat des enseignants.

           Durant le même mois de mai, une autre catégorie professionnelle avait également tenu à faire entendre sa voix. Il s’agit des médecins généralistes et spécialistes de santé publique.
           « Le médecin aujourd’hui doit toucher au minimum 120 000 DA en début de carrière », nous affirmait en mai dernier le Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP).
           Après trente années d’exercice, le Dr Merabet a pu mesurer le degré de dégradation du niveau de vie du médecin de santé publique.

           « À la fin de la décennie 1980, le médecin touchait jusqu’à 6 fois le SMIG (salaire minimum garanti) qui était alors à 1 200 DA. Trente ans plus tard, le salaire d’un médecin généraliste du secteur public est de seulement 2,5 le SMIG (20 000 DA) », a exposé le médecin généraliste.
Y.D.                    


Des migrants clandestins algériens

Envoyé par René
https://www.algerie-eco.com/2021/09/19/ des-migrants-clandestins-algeriens-continuent-daffluer-vers-lespagne/


  - Par Algérie-éco - Par Ouramdane Mehenni -19 septembre 2021

Des migrants clandestins algériens continuent d'affluer vers l'Espagne

           Une embarcation de harraga à son bord 15 Algériens candidats à l’immigration clandestine, a brûlé, hier samedi, sur la plage de Mojacar, à Almeria, après y avoir accosté, selon les informations relayées par Francisco José Clemente Martin, spécialiste de la question de l’émigration clandestine en Espagne, sur sa page Facebook.

           Aucune victime n’est à déplorer et les raisons de ce départ du feu ne sont pas encore connues.

           Le même spécialiste a annoncé l’arrivée, hier soir, à Alicante, de trois (3) embarcations à leur bord 32 Algériens dont une femme enceinte.

           Par ailleurs, les services maritimes de la garde civile de Carthagène ont sauvé une embarcation avec 17 personnes à bord, dont des femmes et 4 bébés. Les mêmes services avaient intercepté, quelques heures plus tôt, 5 embarcations transportant 41 personnes dont 2 femmes.

           Les services maritimes de la garde civile de Cartagena, Murcia, ont sauvé 8 (huit) Algériens candidats à l’immigration clandestine, partis des côtes de Mostaganem, alors que dans la nuit de vendredi dernier, 9 harraga dont 2 femmes ont été secourus à Almeria.

           Les services maritimes de la garde civile de Formentera, îles de Baléares, ont sauvé une embarcation à son bord 12 harraga algériens.

           Le même spécialiste des questions migratoires a indiqué, mardi dernier, que plus de 700 candidats à l’émigration clandestine, dont plus de 600 Algériens – hommes, femmes et enfants – ont été interceptés, depuis samedi dernier, par la Guardia civile espagnole dans différentes villes côtières, dont Almería, Murcia, Alicante et les îles Baléares.
Ouramdane Mehenni                    


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De M. Pierre Jarrige

Chers Amis
Voici les derniers Diaporamas sur les Aéronefs d'Algérie. A vous de les faire connaître.
    PDF 148                                                  N° 149
    N° 150                                                N° 151
    PDF 149                                           N° 152
    PDF 150                                                     N° 153
     N° 154                                                  N° 154A
Pierre Jarrige
Site Web:http://www.aviation-algerie.com/
Mon adresse : jarrige31@orange.fr



Conte de Idries Shah
Envoyé par Fabien
Le coffre de Nuri Bey

    Nuri Bey était un Albanais réfléchi et respecté. Il avait épousé une femme bien plus jeune que lui. Un soir qu'il était rentré plus tôt que d'habitude, un fidèle serviteur vint lui dire : "Votre épouse, notre maîtresse, se comporte de manière suspecte. "Elle est dans sa chambre avec un coffre assez grand pour contenir un homme, qui appartenait à votre grand-mère. "Il ne devrait renfermer que quelques broderies anciennes. "Je pense qu'il pourrait renfermer autre chose... "Elle refuse de me laisser y regarder, moi, votre plus vieux serviteur."

     Nuri pénétra dans la chambre de sa femme : celle-ci se tenait tristement près du coffre en bois massif. "Me montrerez-vous ce qu'il y a dans ce coffre ? - Pour la seule raison qu'un domestique me soupçonne, ou parce que vous n'avez pas confiance en moi ? - Ne serait-il pas plus simple de l'ouvrir, tout simplement, et d'en finir avec les sous-entendus ? - Je ne pense pas que ce soit possible. - Est-il fermé à clef ? - Il l'est. - Où est la clef ?" Elle la lui montra. "Renvoyez le serviteur, je vous la donnerai." Le serviteur fut renvoyé. La femme remit la clef et se retira, visiblement inquiète.

     Nuri Bey réfléchit un long moment. Puis il appela quatre de ses jardiniers. Ensemble, à la nuit tombée, ils emportèrent le coffre, sans l'avoir ouvert, dans un recoin du parc, et l'y enterrèrent. La chose ne fut jamais évoquée par la suite.

     Cette histoire, qui donne envie d'en savoir davantage, et dont on dit qu'elle recèle une signification intérieure en dehors de son évidente morale, appartient au répertoire des derviches errants (Kalandars), dont le saint patron est Yusuf d'Andalousie (XIIIe siècle). Ces derviches étaient nombreux en Turquie autrefois. Dans Stambul Nights (publié aux États-Unis en 1916 et 1922), H. G. Dwight a développé l'histoire du Coffre de Nuri Bey.
Idries Shah




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