Un massacre qui change tout
Le soulèvement du Constantinois marque le début d'une autre guerre.

" …Depuis la mort de Didouche Mourad, la wilaya 2 est sous la tutelle de Zighout Youcef, secondé par Ben Tobbal. Début mai, des actions sur Constantine et Mila " célèbrent " les événements de mai 1945. Les paras de Ducoumau interviennent. Fin juin, sur la presqu'île de Collo, Zighout prépare un nouveau soulèvement qui, à la différence de celui du 1er novembre, doit avoir une assise villageoise et rurale. Le Constantinois est très engagé. De plus, " le moment est venu où plus personne ne peut supporter les humiliations subies" (V. Monteil). L'heure H est fixée au 20 août à midi. Ce jour-là marquera l'anniversaire au Maroc de la déposition du sultan Mohammed V. Le F.L.N. entend marquer sa solidarité vis-à-vis de ses voisins marocains et tunisiens.

Au gouvernement général, la rumeur filtre sous forme d'un renseignement de valeur " A1 " (de premier ordre), Le 18 août, Soustelle décide la mise en alerte des troupes. Le 20 au matin, dans a zone délimitée par Philippeville, Collo, Constantine et Guelma, les fellahs se rassemblent par milliers, armés de gourdins, de haches, de faux et de pelles. Les soldats de l'A.L.N. les encadrent revêtus de leurs uniformes kaki ou de leurs " bleus ". Une trentaine de villes ou villages doivent être investis. Les objectifs ont été étalés sur trois jours : le 20, les villes, le 21, les postes militaires (pour récupérer des armes), puis le 22, les colons et les. traîtres "... Les esprits s'échauffent, alimentés par les rumeurs de guerre sainte et de débarquement de l'armée égyptienne sur les plages de Collo...

A Philippeville, le projet est connu. Les taxis disparaissent dès 10 heures, les fonctionnaires et les ouvriers se sont arrangés pour partir en congé plus tôt que de coutume. A 10 h 15, les autorités sont averties d'un mouvement imminent. L'armée intercepte deux camions remplis de bombes et de récipients d'essence. L'église sonne l'angélus de la mi-journée. De la périphérie, par le faubourg de l'Espérance puis par la rue Clemenceau, l'artère principale de la ville, débouchent les émeutiers. Des civils sont massacrés, le camp d'aviation attaqué. Au bout de 40 minutes, des unités de parachutistes et de police interviennent et dégagent le quartier européen sur le point d'être investi. Il faut cinq heures d'assaut pour déloger, à la grenade et à la mitraillette, des hommes retranchés qui tirent sur Européens et musulmans. " La rapidité de la réaction a empêché que l'émeute ne dégénère en massacre ", écrit Le Monde.

A Constantine, huit bombes sont lancées quasi simultanément. La première éclate, à 11 h 45, dans un café-restaurant, touchant 14 personnes. Deux personnalités de l'U.D.M.A. sont assassinées. Les tueurs laissent un tract : Armée de libération nationale. Pour collaboration avec l'ennemi, prise de position contre la révolution, la juridiction de guerre condamne Abbas Allaoua à la peine capitale". Le neveu de Fehrat Abbas est abattu dans sa pharmacie, sa condamnation retrouvée dans les poches de son meurtrier. Belhadj Saïd, délégué à l'Assemblée algérienne, est grièvement blessé de quatre balles.

Soustelle, alerté, arrive dans l'après-midi du 20. A l'hôpital de Constantine, il découvre. des femmes, des garçonnets, des fillettes de quelques années gémissantes, les doigts sectionnés, la gorge à moitié tranchée", Certains centres isolés n'ont pu se défendre… À la mine de pyrites d'EL-Halia, aux environs de Philippeville, " les ouvriers européens, leurs femmes et leurs enfants, furent littéralement mis en pièces dans un déchaînement incroyable de sauvagerie ", il y avait là une cinquantaine de familles européennes qui vivaient isolées. Parmi les 37 victimes mutilées, " 10 avaient moins de 15 ans, une fillette de 9 mois, une autre de 4 ans, un gamin de 3 ans " (Jacques Soustelle).

Le 21, le gouverneur général visite AIn-Abid et Oued-Zenati. Des cadavres jonchent encore les rues. Des terroristes prisonniers, hébétés, demeurent accroupis et silencieux sous la garde des soldats. Les familles européennes épargnées sont encore réfugiées dans les mairies. Alignés sur les lits dans des appartements dévastés, les morts, égorgés et mutilés, dont une fillette de quatre jours... ". À Aïn-Abid, toute la famille Mello est massacrée. À Oued-Zenati, les Sénégalais endiguent en partie l'assaut des fellaghas. À Saint-Charles on égorge " promeneurs, femmes et nourrissons". Les passagers d'une voiture sont tués à la pelle et à la pioche. À EI-Harrouch, le muezzin, depuis son minaret, appelle au meurtre, À Collo, encore".

"Après l'émeute, la répression" titre Libération. Répercuté dans tout le Constantinois, le massacre de la mine porte au paroxysme la vague de vengeance. "Une abominable provocation", juge Camus, Dès le lundi 22 août, le gouvernement général communique : "Il a été formellement établi que les hommes d'un certain nombre de metchas - 10 au total- ont fourni la majeure partie des contingents [...] Ils sont coupables des assassinats et des atrocités commis.

" Au cours des opérations qui ont eu lieu ce matin lundi, vers 5 heures, les troupes engagées à la poursuite des rebelles ont procédé à l'évacuation des femmes et des enfants de ces mechtas, lesquelles ont été ensuite totalement détruites ", Les mechtas sont localisées grâce aux prisonniers interrogés et aux observations de l'armée. Soustelle estime que" d'un point de vue purement militaire, et dans une guerre "normale", rien n'aurait été plus justifié que de les détruire en les bombardant du haut des airs". Il opte pour les assauts de l'infanterie qui étrillent durement les rebelles. Des armes sont distribuées aux civils isolés pour leur permettre d'assurer leur propre défense.

Dans Le Monde du 25 août, Georges Penchenier écrit : "Le message publié par monsieur Soustelle, promettant aux fermiers isolés de les armer a eu pour effet immédiat de voir se lever partout des milices improvisées. Il n'est désormais plus de villages où les supplétifs ne participent à la "chasse" aux rebelles avec une passion qui confine parfois à la frénésie. " Sur l'aérodrome de Philippeville, un chef fellagha exécuté agonise pendant trois heures. Lors de la répression dans la mechta des Carrières romaines, "une cinquantaine de vieillards, de femmes et d'enfants ont été tués, à défaut des mâles, qui s'étaient enfuis la nuit précédente "... Le 29 août, le cabinet de Bourgès-Maunoury dément : "Les destructions des biens et des vies humaines sont exclusivement les conséquences des combats qui ont eu lieu le samedi 20 à midi "... L'envoyé spécial du Monde maintient : [...] j'ai été frappé du fait qu'aucune odeur ne se dégageait de cet endroit, ce qui est un peu étonnant s'il est vrai que la fusillade ait eu lieu samedi. j'ai constaté également que le sang coagulé était encore rouge... "

20 août 1955 : la France réalise

Le 23 août à Philippeville, l'atmosphère est encore très tendue lors des obsèques des victimes européennes. Le maire, M. Benquet-Crevaux, a recommandé à Soustelle et à Dupuch (préfet de Constantine), de s'abstenir...

Familes endeuillées autour d'une levée de corps.

"Lors de la cérémonie, le maire fait reléguer contre un mur les deux couronnes envoyées par le gouverneur et le préfet. L'un de ses collaborateurs accuse à grands cris le gouvernement de ne pas avoir voulu, en temps utile, armer les Européens. La foule conspue le préfet qui quitte le cimetière puis entonne la Marseillaise. Le maire arrache les rubans sur les couronnes, le secrétaire de mairie les piétine. "A Philippeville, on se souvient que, lors de la répression, le préfet Dupuch a fait soustraire, par camions entiers, des musulmans promis à la vindicte populaire. Soustelle retire au maire de Philippeville ses pouvoirs de police et instaure un commandement civil et militaire confié au colonel Mayer : le 1er R.C.P. ratisse le Constantinois. Le 30, des milliers de tracts sont largués pour rassurer la population.

Après la journée du 20 août, Soustelle, jusqu'alors partisan du réformisme, durcit sa politique. Dès le 24, 60 000 soldats, à peine libérés, sont rappelés. Le 26, Bourgès-Maunoury ministre de l'Intérieur, demande l'envoi de six bataillons en Algérie. Le 30, alors que 180 000 libérables sont retenus sous les drapeaux, l'état d'urgence est étendu à toute l'Algérie. Le 2 septembre, un bilan est publié : 123 morts (21 musulmans, 71 Européens, 31 militaires; côté rebelles, 1273 morts) non démenti jusqu'à ce jour, le F.L.N. parle de 12000 morts.

"Le 20 août 1955, c'est la fin du mythe des "opérations de maintien de l'ordre".
La France entre en guerre" (B. Stora).
" Guerre d'Algérie I, La collection du patrimoine.


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Mis en ligne le 20 août 2005