DE LA MEMOIRE D'UNE PIERRE

C. MAGGIORE
Dépêche de l'Est, lettre N° 27 du 15 mars 2001 (pages 6 et 7)

Sous son manteau de Macadam, parmi des milliers de congénères serrés les uns contre les autres, tous venus d'un même village d'outre Méditerranée, un pavé se souvient ... et il raconte ...

"Depuis la nuit des temps ; je n'avais été qu'une petite bosse de pierre qui émergeait d'un tapis de palmiers nains à flanc de colline ...
Devant moi ... : un paysage de rêve ... : une mer bleu azur miroitant sous le soleil dans le calme d'une petite baie cernée de montagnes ... !
Souvent, au cours des siècles, d'étranges navires, à rames ou à voiles, menés par des hommes de toutes races étaient "venus s'abriter là ...
Mais pour peu de temps car, pirates, commerçants ou aventuriers, ne faisaient que passer ... Aussi, malgré son charme, la petite anse était le plus souvent déserte.

"Et puis un jour, quelqu'un découvrit que sous moi, il y avait un trésor ... La roche dont j'étais fait, ainsi que toute la montagne, c'était du beau "Granite" bleu ... Pur et dur, il était convoité par toutes les villes et aussi les villages, pour chausser leurs rues ou avenues.
"Alors, dans ce coin perdu, des hommes vinrent de toutes parts pour tailler la pierre ... Un village naquit, qui grandit bien vite, un port fut construit, ... et bientôt, sous moi, la terre commençait à trembler de plus en plus souvent...

"Des mines ébranlaient ma montagne qui, peu à peu reculait, laissant une paroi à pic se rapprocher inexorablement de moi ...
"Et puis un matin, dans un grondement sourd, je basculais dans la carrière, tout près du bord de mer ... Et alors, je fus confié aux tailleurs de pierre ...
"Je me revois, coincé entre les jambes d'un brave transalpin qui chantait dans sa langue en me façonnant avec sa "massette" ...

"Et un jour, un grand navire de fer me prit dans ses flancs et m'amena en ce lieu .......

"On m'a dit que plus tard que j'étais à Marseille, et que la célèbre avenue où j'avais la "chance" de reposer sur mon lit de sable c'était "La Canebière" ! ...
"Chance ? Je ne sais pas trop ... mais, sous l'infime couche de bitume dont on m'a recouvert plus tard, je pense toujours à ce petit village d'Afrique qui, à mon départ, s'appelait encore "Herbillon" ...