AU FIL DE CINQUANTE ANNEES

Gaëtan DALAUT

Sur le balcon d’en face,
Un chien à la maison
Vers la rue où l'on passe
Aboie et sans raison.

Un oiseau dans sa cage
Chante sans se lasser,
Au dessous de l’étage
Le passant peut passer.

Que l’un très fort aboie.
Que l’autre chante bien,
Ils ignorent la joie
L’oiseau comme le chien.

Dans leur prison servile,
De vivre en liberté
Loin du bruit inutile,
Aux champs, à la clarté.

Le regret accompagne
Mon âme, pour sa part
Volant vers la campagne
Tout mon être repart.

De la grande nature
Plus d’un cher souvenir
Revenant en torture
Appelle un revenir.

La nature sauvage,
Je l’ai connue enfant
Comme on fait à cet âge,
L'observant triomphant.

Algérie ,espérance,
Meurad, Hamam Righa
Ma famille de
Ce pays l’attira.

Si loin des moindres villes,
Mon « Ravin des Voleurs »
De vos terres fertiles
Que j’aimais les valeurs.

Au milieu de la brousse
Qu’il fallait défricher
Afin que le grain pousse
Pour pouvoir l’ensacher.

Des douars Indigènes
Et de grandes tribus
Sans craintes et sans haines
Y vivaient en rébus.

Et les Petits Arabes
Etaient mes seuls amis,
Où sont mots et syllabes
De ce qui fut promis ?

Chênes zéens, yeuses,
C’était l’épais taillis,
Réserves giboyeuses
Aux sous-bois en fouillis.

Cailles et tourterelles
Chantaient dans le labour
Où les perdreaux rappellent
Dès le lever du jour.

Un aigle dans l’espace,
Qu’à peine on pouvait voir
Parfois comme une masse
Au loin se laissait choir.

Vêtu de simples blouses
Les jours heureux passaient
A cueillir des arbouses
Suivant ceux qui chassaient.

A chercher des tortues
Au point d’en oublier
Près de moi les battues
Forçant le sanglier.

A poursuivre un lièvre
Passant comme un boulet,
A sortir, en fièvre,
Un lapin d’un collet.

A rendre des visites
Aux camps des charbonnier,
Dans de sauvages sites
A suivre leurs âniers.

La nuit, celui qui jappe
Et glapit, le chacal,
sans que son cri me frappe
Rôdait, près du local.

Parfois une panthère
Dans la forêt miaulait
Et sa voix faisait taire
L’hyène qui hurlait.

De l’homme et de la vie,
Je ne connaissais rien.
Je n’avais nulle envie,
L’univers était mien.

Et puis les circonstances
Ont trahi le Colon
Avec les espérances
De mes oncles Vélon.

Et les fermes vendues,
Vers Alger reparti,
Adieu les étendues,
J’en ai pris mon parti.

Plus tard survint la Guerre,
J’en revins grand blessé
Me fixer à la terre
Le sort m’en a chassé.

Mondovi, Duzerville,
A Bône pour finir.
Dans ce dernier asile,
Que sera l’avenir ?

Mais d’anciens paysages,
Tels d’un ami quitté,
S’évoquent les visages
Dans ma captivité.