Eric-Hubert WAGNER

11 av Raymond VERGES

97420  LE PORT

ILE DE LA REUNION

02/62/42/09/82

06/92/86/95/14
courriel : eric.h.wagner@wanadoo.fr

 

 

                                                                        Monsieur le Président du groupe UDF

                                                                                A l’Assemblée Nationale

                                                                                        Hervé MORIN

 

 

                                                                                       Le 22 juillet 2004

 

 

 

                           Monsieur le Président,

 

 

 J’ai bien reçu votre courrier du 16/06/04 concernant la position de l’UDF au sujet de la Loi en faveur des « Rapatriés ». Je vous en remercie.

En ce qui me concerne, afin d’apporter à votre connaissance ma position sur le sujet, je vous adresse copie des courriers que j’ai envoyé il y a quelques mois à Monsieur le Président de la République, à Messieurs le Premier Ministre, le Ministre des Anciens Combattants, au Député rapporteur et aux Députés de la Réunion. Vous pourrez ainsi me donner votre point de vue sur ce que j’y exprime à propos de la dernière génération née en Algérie Française.

 

Concernant les termes de votre courrier, je les partage. Néanmoins, je ne vous apprendrai rien en vous disant que, après 42 ans de « tergiversations gouvernementales », pour rester respectueux et politiquement correct, les Français d’Algérie sont septiques, voire désabusés, dégoûtés et par conséquent, pour beaucoup, indifférents.

 En effet, ils ont été tellement salis, dénigrés, victimes d’ostracisme, sans, hormis confidentiellement ou sporadiquement, être légitimement défendus par leur pays, même lorsque des attaques virulentes leur étaient portées (en ce qui concerne les Harkis et certaines restrictions au sujet d’indésirables Pieds-Noirs O.A.S, comme si d’anciens F.L.N ne faisaient pas des allers-retours fréquents entre Alger et Paris, et des affaires !) du haut de l’Assemblée Nationale par un ami (se définissant ainsi) de la France, qu’ils ne croient plus, à tort et/ou à raison, en presque rien. L’hémicycle aurait du réagir d’une même voix forte en signe de réprobation pour la tenue de certains propos inadmissibles en un tel endroit symbolique de l’unité du pays, il n’en a rien été ! Qu’en aurait-il été en Algérie si, en mars 2003, le Président Chirac s’était livré à une telle lecture de l’Histoire du haut de la tribune de l’Assemblée de ce pays, s’il avait refusé de serrer la main de Yacef Saadi ? Quel tollé d’indignations l’aurait accompagné ! Entre amis, il ne peut y avoir deux poids, deux mesures.

Par conséquent, pour avoir la confiance de l’ensemble des Français d’Algérie, il va falloir des signes forts.

Je crois en les intérêts supérieurs de mon pays, au pragmatisme, au bons sens et à celui de la « real politic », aux vertus de la Réconciliation dont je suis un modeste artisan, MAIS, cela ne peut se faire sur le dos de quiconque de part et d’autre de la Méditerranée. En raison de cela, je sais que le tissu associatif, divers dans ses aspects et fort dynamique, est très à fleur de peau.

Puisque nous allons signer avec l’Algérie un Traité d’Amitié, il est du devoir d’un parti comme l’UDF de faire entendre la voix des Français d’Algérie auprès des gouvernements français et algérien afin d’être, à leur égard, un levier puissant dans la prise en compte de leurs légitimes aspirations.

Ces « provinciaux sans province » peuvent encore, pour un certain nombre de volontaires dont je suis, jouer un rôle actif tant en France qu’en Algérie pour donner toute son ampleur et son sens à ce Traité car nous sommes de France et enfants d’Algérie ! Je pense notamment aux deux dernières générations qui y sont nées, ainsi que la première de l’exil, très à l’écoute, curieuse et qui n’est pas fermée à des projets trans-méditerranéens.

Pour autant, puisqu’on parle dans ce Traité entre nos deux pays, de la place donnée à la Mémoire, puissiez-vous peser de tout votre poids, les interpeller sur des thèmes qui aujourd’hui encore empoisonnent la vie de nombreux de mes compatriotes, empêchant ainsi mes aînés d’avoir des rapports « normaux » avec leur terre natale, notamment sa partie officielle, d’être apaisés :

. La vérité sur la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962, sur le massacre des européens d’Oran le 05 juillet 62 et sur celui des Harkis jusqu’à fin 62 (accès aux archives);

. La libre circulation des Harkis en vertu des Accords (bafoués) d’Evian ;

. La mise à disposition, la consultation et l’échange des archives entre la France et l’Algérie sur les disparus Pieds-Noirs (3018 officiellement ce qui correspondait à l’échelle de la France métropolitaine d’alors à 120 000 disparus, l’équivalent d’une grande ville (!), certainement plus selon les historiens les mieux informés), sur les Harkis massacrés, et l’ouverture, pour les uns et les autres, des charniers répertoriés pour leur donner de dignes sépultures. A ce titre, on peut s’inspirer de ce qui se fait en Espagne concernant les charniers de la guerre civile de 1936 dont l’objectif est de réconcilier ce pays avec son Histoire. L’Algérie surtout, et la France à un degré moindre s’honoreraient de procéder ainsi par son sens humaniste valeur d’exemple en ces temps troublés, quand on ne s’en sert pas à des fins de règlements de compte. En Algérie, ce travail de réhabilitation d’une mémoire chatouilleuse est effectué, non pas encore par l’Etat, mais par un écrivain quinquagénaire soucieux de la responsabilité de sa génération, ancien officier de l’armée algérienne, Yasmina Khadra (« la part du mort », roman 2004 chez Julliard).

Il serait aussi juste que soient indemnisés, même à l’Euro symbolique, par le Gouvernement algérien, les ayants-droits de ces disparus. Un seul Harki et/ou un seul Pieds-Noirs ainsi exhumé pour être dignement enterré, serait un signe fort envers les Français d’Algérie afin que cette page douloureuse soit enfin tournée après avoir été lue.

Je n’oublie pas dans cette demande les 300 soldats du contingent jamais libérés et portés disparus.

. Une juste indemnisation jamais assumée par l’Algérie, pour les biens spoliés et utilisés à ses fins sans contre-parties aucunes, ainsi que les biens perdus aux cours de cet exode massif engendré par un climat de terreur organisée. Le calcul pourrait être ainsi proposé : 1200000 Français d’Algérie en 1962, 132 ans de labeur, 42 ans d’exil, 700 000 survivants en 2004 = 1200000 Euros x 132 x 42 ¸ 700 000 = 9504 Euros par personne née en Algérie, survivante. On pourrait alors proposer à ceux qui le voudraient, d’investir cette somme en quelque sorte récupérée sur le ré-échelonnement de la dette algérienne à l’égard de la France, dans des projets franco-algériens.

A l’Algérie de faire alors, avec nous à ses côtés si elle le souhaite, l’explication de texte utile à la compréhension par les Algériens d’une telle démarche « révolutionnaire » au moment où tant d’individus, là-bas,  réclament légitimement de leur pays, droits, vérité, justice (notamment au sujet des disparus, des embastillés de la guerre civile des années 90,des mal-logés, des exclus…);

. Un travail en commun d’écriture sereine et juste de notre Histoire commune. A ce titre, ce qui se fait en Afrique du Sud actuellement afin de faire œuvre de réconciliation et de justice, vaut qu’on s’en inspire ;

. L’état et le devenir de nos cimetières, lieux de mémoire et d’histoire, patrimoine algérien dont nous savons les décisions prises lors du déplacement du Président Chirac en mars 2003, mais lorsqu’on apprend par la presse algérienne, « Le Matin », au grand dam du journaliste en rendant compte, que le cimetière chrétien de ex. Fort National a été rasé sans autre forme de procès, on a de quoi être inquiet pour l’avenir et pour l’assurance de garanties pourtant données par la partie algérienne !

 

Ainsi pourra s’accomplir le deuil de l’Algérie et la définition de rapports nouveaux entre tous ses enfants. Les Français d’Algérie, dans leur ensemble, pourront alors léguer aux générations montantes, en gage d’avenir, autre chose que des regrets et de l’amertume, voire de la colère, participant ainsi pleinement à ce Traité d’amitié entre nos deux pays, Traité en lequel je crois. Je n’ai pas pour ma part de préalables dans ma démarche de renouement avec l’Algérie, mais je sais que tel n’est pas le cas d’un grand nombre de mes compatriotes.

Certainement trouverez-vous, Monsieur Morin, ces propositions « osées » et penserez-vous, à juste raison, que l’Algérie bloquera sur bien des points (combien de temps encore quand déjà bien des comptes et des explications sur l’Histoire lui sont demandées par son peuple rebelle ?) et qu’elle a bien d’autres urgences, priorités ? Bien sûr, mais cela participe à un ensemble où les choses se recoupent, se regroupent, se renforcent, et parce que la France, dans ce partenariat souhaité par les uns et les autres, a matière à faire valoir elle aussi ses « exigences ». Encore faut-il les faire entendre de nos amis Algériens qui exigent beaucoup de nous.

 

Monsieur Morin, puisque vous nous proposez d’être à notre écoute, voilà ce qu’un Pieds-Noirs de 42 ans, fidèle à ses racines, solidaire de sa communauté d’origine et tourné vers l’avenir, souhaitait porter à votre connaissance. Puisse ceci vous être utile dans sa compréhension et dans le soutien qu’elle peut espérer de vous, de votre groupe, au-delà de sempiternelles promesses dans lesquelles elle ne croit plus. Je me tiens à votre disposition si vous le jugez utile.

 

Veuillez agréer, monsieur le Président, l’expression de mes respectueuses salutations.

 

 

                                                            Eric-Hubert WAGNER